L’usage de substances psychoactives à visée sexuelle n’est ni récent ni spécifique à la communauté LGBT+. Le terme « chemsex » est la contraction de « chemical sex ». Il désigne la prise volontaire de substances psychoactives afin d’initier, faciliter, augmenter, intensifier ou prolonger les rapports et performances sexuelles. La pratique du « slam » correspond à la prise de substances par voie injectable dans ce contexte sexuel. Ces pratiques concernent principalement les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), en France comme à l’étranger.
Épidémiologie incertaine
Entre 2 et 5 % de la population générale prend un produit « la plupart du temps » ou « tout le temps » avant les rapports sexuels.1 Toutefois, l’ampleur que prend le chemsex parmi les HSH est à ce jour inédite et particulièrement préoccupante. Apparue au début des années 2000, elle fait désormais partie du paysage médico-social, notamment dans les services de maladies infectieuses, urgences, réanimation, addictologie et psychiatrie.
La grande hétérogénéité des prévalences rapportée dans la littérature (de 3,6 % à 93,7 %)2 rend difficile son appréciation chiffrée, qui dépend des terrains d’étude : population générale, service de maladies infectieuses ou sur les réseaux sociaux. Le chemsex ne concernerait qu’une minorité parmi les HSH, mais resterait fréquent et associé à des complications sévères pour les usagers.
La consommation de produits de synthèse lors de sessions de longue durée de sexe en groupe reste à ce jour anecdotique parmi les hommes hétérosexuels et les femmes.
Qu’est-ce qui explique l’ampleur de cette pratique ?
Plusieurs phénomènes peuvent expliquer l’ampleur prise par le chemsex.
Nouveaux produits de synthèse et polyconsommation
Tout d’abord de nouveaux produits de synthèse sont apparus, notamment les cathinones de synthèse (3 -MMC, 3 -CMC, 4 -MEC…) [encadré]. Cette classe de stupéfiants s’est rapidement imposée comme produit de prédilection pour les usagers de chemsex, notamment en France.3 Les autres substances consommées sont la méthamphétamine, l’acide gammahydroxybutyrique/gammabutyrolactone (GHB/GBL), les nitrites d’alkyle (poppers), la cocaïne et la kétamine (tableau).
Très souvent, il existe une polyconsommation de ces différentes substances. De plus, la plupart n’ont pas d’effet positif sur l’érection, et un usage complémentaire de médicaments indiqués dans les troubles de l’érection (sildénafil, tadalafil...) est fréquent, majorant le risque cardiovasculaire.
Influence des modes de rencontres
L’apparition des applications de rencontres géolocalisées à dessein sexuel (Grindr, Scruff…) a également contribué à l’essor du chemsex. Les usagers y trouvent en ligne des partenaires occasionnels et parfois s’y procurent des produits. Ainsi, Drückler et al. rapportent qu’environ un usager de ces applications sur trois pratique le chemsex.4 Cette prévalence élevée représente un écueil certain pour les patients qui entament une démarche d’arrêt des consommations.
Divers effets recherchés avec des motivations variées
Les effets recherchés dans la pratique du chemsex sont principalement :5
- l’augmentation du plaisir, de l’excitation, des sensations associées au sexe ;
- le prolongement de la durée des rapports sexuels, pendant plusieurs heures, avec des sessions de consommation de produits et de sexe s’étalant sur plusieurs jours ;
- la désinhibition, facilitant le rapport sexuel – beaucoup de patients évoquent avoir des rapports qu’ils n’auraient pas eus sans les produits ;
- la réalisation d’actes qui ne seraient pas pratiqués sans l’usage de substances, comme les pratiques qualifiées de « hard », mais aussi un rapport à la sexualité vécue principalement sous le spectre de la performance.
Dans le discours des patients consultant en addictologie, d’autres motivations émergent. Le caractère social de la prise de substances revient régulièrement. Il s’agit alors de lutter contre un sentiment d’ennui et de solitude. Les longues sessions de prises de produits sont ainsi l’occasion de ne pas être seul, malgré une qualité d’interactions sociales péjorées par les substances. Paradoxalement, le chemsex peut, sur le long terme, isoler l’individu : l’essentiel des relations se concentre sur les consommateurs, au détriment des autres. Pour beaucoup, l’usage de substances vise à renforcer la confiance en soi et permettre une intimité émotionnelle. Le caractère standardisé de la pratique est souvent perçu comme un moyen de lutter contre des angoisses concernant l’activité sexuelle ou l’image corporelle. Parfois, la prise de produits est réalisée au sein du couple comme stratégie de lutte contre un affadissement du désir. Enfin, l’escapisme (comportement de fuite et d’évitement vis-à-vis d’émotions ou cognitions désagréables) est fréquemment rapporté par les usagers. Chez nombre des personnes ayant un trouble d’usage de substances liées au chemsex, le début des consommations ou la perte de contrôle se situe à un moment de rupture ou de fragilité (deuil, séparation, chômage…). Les périodes de confinement liées à la pandémie de Covid-19 reviennent ainsi souvent en entretien comme le moment où le chemsex est devenu problématique.
Risques liés à la pratique du chemsex
Le chemsex expose à des risques pour la santé de plusieurs ordres.
Intoxication aiguë
Tout d’abord, les complications aiguës liées à l’intoxication aux produits : les effets délétères de chaque substance (tableau) sont potentialisés par la polyconsommation, qui peut inclure des substances moins spécifiques (alcool, cannabis, ecstasy/MDMA, benzodiazépines…). Les accidents surviennent également lorsque la nature de la substance consommée n’est pas connue. Cette situation n’est pas rare, les produits pris étant volontiers ceux proposés par les partenaires.
Les complications somatiques les plus fréquentes sont les suivantes :3
- syndrome neurologique aigu lié à l’intoxication (insomnie, agitation, tremblements et mouvements anormaux, confusion), pouvant aller jusqu’au coma (dans 95 % des cas lié au GHB) ;
- troubles cardiovasculaires : hypertension artérielle, tachycardie, précordialgies, plus rarement syndrome coronarien aigu.
Infections sexuellement transmissibles
Le chemsex est une pratique à haut risque pour la santé sexuelle. Il est associé à entre 3 et 10 fois plus de rapports sexuels non protégés et participe probablement à la recrudescence actuelle des infections sexuellement transmissibles (IST).6
La pratique du slam*, avec échange du matériel d’injection, est ainsi à très haut risque de transmission du virus de l’hépatite C.
Concernant le risque de transmission du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), l’arsenal de prévention est bien investi par les usagers. Ainsi, les HSH pratiquant le chemsex ont plus souvent recours à la prophylaxie antirétrovirale VIH (PrEP : pre-exposure prophylaxis ou prophylaxie préexposition) pour se protéger du VIH que les autres.7 La prise en charge antirétrovirale pour les personnes vivant avec le VIH garantit la non-transmissibilité sous condition d’une charge virale indétectable.
Glissement vers l’addiction
Du point de vue qualitatif, une détérioration de la vie sexuelle est souvent décrite conjointement au chemsex. La sexualité sans produit est vécue comme insipide, voire devient impossible. Pour certains patients, la sexualité se résume alors à la prise de produit seul, avec ou sans support pornographique. Une bascule d’un usage sexuel à une consommation de type dépendance et sans sexualité est également possible.
En effet, les conséquences psychiques du chemsex sont potentiellement sévères. Les conséquences sur la santé mentale sont ainsi identifiées comme les plus délétères par les usagers.8 Tout d’abord du point de vue addictologique. Les produits psychostimulants utilisés sont très pourvoyeurs de craving**. Cela participe pour beaucoup à la pérennisation des conduites addictives. Le craving pour les produits mais aussi envers l’injection chez les slammeurs est souvent ce qui met le plus en difficulté les patients en demande d’aide. L’intrication entre envie de consommer et désir sexuel est une spécificité du chemsex : les usagers ont souvent du mal à distinguer les deux lorsqu’ils ont un craving. L’usage est rarement continu initialement et plutôt réservé au week-end. L’intervalle sans consommation peut se réduire rapidement chez certains patients. Il en résulte un trouble d’usage de substances qui s’installe. La complexité et la différence avec d’autres addictions résident dans la composante comportementale sexuelle. L’usager consomme initialement les produits comme support à une activité sexuelle. Chez les usagers problématiques, l’activité sexuelle devient un prétexte à la consommation de produits et c’est l’envie de consommer qui prend le pas sur l’aspect sexuel. Chez certains, des comportements de dépendance aux produits apparaissent : consommation le matin pour limiter les effets du sevrage, déconnectée d’une activité sexuelle, par ailleurs devenue inexistante.
Effets psychiatriques des substances
Les substances consommées dans le cadre du chemsex ont également des effets psychiatriques. De manière aiguë, les principales complications sont des symptômes anxieux, dépressifs ou psychotiques (hallucinations, idées délirantes de persécution, par exemple). La plupart du temps, ces symptômes disparaissent rapidement et ne sont pas l’occasion d’une consultation médicale. Dans certains cas, notamment en présence d’une vulnérabilité psychotique, le tableau peut évoluer vers une pharmacopsychose. Ce trouble psychotique induit par une substance peut advenir à l’occasion d’une prise aiguë ou chronique de substances. Il est à haut risque de trouble du comportement avec comportement auto-agressif, voire hétéro-agressif, et motive souvent un passage au service d’accueil des urgences. Les symptômes cèdent la plupart du temps rapidement avec un traitement antipsychotique, mais ils nécessitent parfois une hospitalisation prolongée en psychiatrie.
Dans les suites de la consommation, beaucoup de patients éprouvent une « descente ». Il s’agit d’une tristesse franche durant trente-six à quarante-huit heures, qui peut être accompagnée d’idées suicidaires, et dont la résolution est spontanée. Ce dernier aspect permet de distinguer la descente d’un syndrome dépressif.
Ces effets aigus sont à différencier des fragilités psychiques préexistantes et éventuelles comorbidités du chemsex.
Comorbidités psychiatriques
Chez les patients demandeurs de soins, la pratique du chemsex est très souvent associée à des troubles psychiques. Parmi les patients reçus à la consultation spécialisée de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, 82 % ont une comorbidité psychiatrique.9
Il existe une prévalence importante, quoique variable, de diagnostics d’épisodes dépressifs parmi les personnes pratiquant le chemsex. Entre 12 et 50 %10 des chemsexeurs présentent un diagnostic clinique d’épisode dépressif.
Entre 10 et 20 % des patients ayant des conduites de chemsex ont un trouble anxieux généralisé. La consommation de substances est utilisée comme anxiolytique, vis-à-vis de l’activité sexuelle, source d’angoisse de performances.
Il n’existe pas d’étude de grande ampleur permettant d’établir une cartographie fine des autres troubles psychiatriques.
Une attention particulière aux signes cliniques de psychotraumatisme autour de la sexualité doit être portée systématiquement auprès des personnes pratiquant le chemsex. Dans notre étude, 30 % des patients rapportent ainsi des violences sexuelles dans l’enfance.9
Prise en charge délicate et pluridisciplinaire
La crainte du jugement face à la pratique du chemsex est la principale réticence vis-à-vis de la prise en charge.8 Elle se conjugue parfois avec une crainte de réactions homophobes de la part de professionnels du soin, alimentée par des expériences négatives. Il est donc essentiel que les patients bénéficient d’une écoute empathique de professionnels formés sur le sujet.
Au vu des prévalences élevées parmi les HSH consultant en maladies infectieuses, le dépistage d’un trouble d’usage de substances dans un contexte sexuel devrait être systématique. Le fait que la question soit abordée simplement et directement par le soignant indique au patient une connaissance et une disponibilité à entendre une éventuelle détresse vis-à-vis du chemsex.
La distinction entre un usage occasionnel et un trouble d’usage nécessitant une prise en charge en addictologie n’est pas toujours évidente. Certains critères cliniques, comme le fait de ne plus avoir de sexualité sans produit, la pratique du slam ou la prise de produits seul en dehors de l’activité sexuelle, indiquent souvent une détresse. Par ailleurs, ce sont fréquemment les conséquences du chemsex sur le fonctionnement social, psychique, relationnel ou professionnel qui peuvent orienter l’usager vers les soins.
Dans l’idéal, toutes les structures spécialisées en addictologie devraient pouvoir prendre en charge des usagers de chemsex. En réalité, l’identification de lieux ou de soignants spécialisés (consultations in situ dans le service des maladies infectieuses, soins communautaires, centres spécialisés ou réseau de praticiens libéraux…) favorisent la réussite de l’adressage pour prise en charge.
Un dépistage des comorbidités psychiatriques est essentiel chez toute personne consultant pour chemsex. Comme c’est la règle avec les doubles diagnostics, le traitement d’une dépression, d’un trouble anxieux ou d’autres troubles psychiatriques améliore la prise en charge addictologique et réciproquement.
De même, il est impératif que les personnes consultant pour une pratique de chemsex soient prises en charge dans un service de maladies infectieuses et puissent bénéficier de dépistages réguliers, de stratégies de prévention, incluant la PrEP, ainsi que du traitement des infections sexuellement transmissibles.
Du point de vue addictologique, la prise en charge du chemsex s’articule selon plusieurs volets :
la réduction des risques s’adresse aux patients n’étant pas dans une démarche d’arrêt des produits. Elle consiste alors à essayer de diminuer la nocivité de la pratique à l’aide de conseils pouvant être prodigués par des soignants mais aussi par des structures associatives et des pairs aidants ;
la prise en charge pour les patients souhaitant une abstinence vis-à-vis des produits est différente. Pour certains, une hospitalisation pour sevrage est souhaitable, notamment en cas de consommation quotidienne de substances. Pour d’autres, elle est indispensable, comme dans le cas de la dépendance au GHB (risque de syndrome de sevrage sévère avec crise d’épilepsie). L’addiction étant une maladie évoluant de manière chronique, un suivi au long cours est nécessaire pour le maintien de l’abstinence. Une prise en charge en psychothérapie peut être indiquée. Les groupes de soutien de pairs sont une stratégie ayant démontré son efficacité.11 Il n’y a pas de pharmacothérapie de type substitutive existante. Une étude randomisée et contrôlée a montré une diminution des pratiques sexuelles à risques et de la consommation de méthamphétamine à la suite de l’introduction de mirtazapine.12
Prendre en compte santé sexuelle et psychique
Face à un phénomène aussi complexe que le chemsex, une prise en charge multidisciplinaire est nécessaire. Au vu de la dangerosité de la pratique et de sa fréquence, un dépistage systématique parmi les publics cibles est nécessaire. Cela implique une formation de tous les professionnels prenant en charge ces publics. Considérer les spécificités communautaires est nécessaire face à ce fléau qui s’inscrit dans la durée.
Cathinones de synthèse : de nombreuses substances (réf. 13)
Parmi les cathinones de synthèse, les plus utilisées sont la méphédrone (4 -MMC), la méthylone, la 3,4 -méthylènedioxy-pyrovalérone (MDPV), la 4 -méthylméthcathinone (4 -MEC), la 3 -fluorométhcathinone (3 -FMC), la 4 -FMC, la buphédrone, la butylone, la pentédrone, l’α-PVP (flakka) et la naphyrone. Elles se présentent sous forme de poudre cristalline la plupart du temps et sont essentiellement consommées par voie orale (« bombing » : ingestion de poudre dans une feuille de papier à cigarette roulée comme un parachute), par voie intranasale (« sniff »), par voie intrarectale (« plug ») ou par voie intraveineuse (« slam » : qui signifie claquer, en raison de la montée rapide et intense de l’effet psychoactif). D’autres modes d’administration comme la voie inhalée (fumée) ou ophtalmique ont été rapportées.
Les effets recherchés varient selon la substance consommée et la voie d’administration. En comparaison avec la cocaïne, 50 % des consommateurs rapportent des effets plus intenses avec la méphédrone et 60 à 75 % une durée d’action plus longue. Environ la moitié des usagers pensent que cette dernière est moins addictogène.
2. Tomkins A, George R, Kliner M. Sexualised drug taking among men who have sex with men: A systematic review. Perspect Public Health 2019;139(1):23-33.
3. Batisse A, Eiden C, Deheul S, et al. Chemsex practice in France: An update in addictovigilance data. Fundam Clin Pharmacol 2022;36(2):397-404.
4. Drückler S, van Rooijen MS, de Vries HJC. Chemsex among men who have sex with men: A sexualized drug use survey among clients of the sexually transmitted infection outpatient clinic and users of a gay dating app in Amsterdam, the Netherlands. Sex Transm Dis 2018;45(5):325-31.
5. Glynn RW, Byrne N, O’Dea S, et al. Chemsex, risk behaviours and sexually transmitted infections among men who have sex with men in Dublin, Ireland. Int J Drug Policy 2018;52:9‑15.
6. Pufall EL, Kall M, Shahmanesh M, et al. Positive voices study group. Sexualized drug use ('chemsex') and high-risk sexual behaviours in HIV-positive men who have sex with men. HIV Med 2018;19(4):261-70.
7. Tomkins A, George R, Kliner M. Sexualised drug taking among men who have sex with men: A systematic review. Perspect Public Health 2019;139(1):23-33.
8. Bourne A, Reid D, Hickson F, et al. "Chemsex" and harm reduction need among gay men in South London. Int J Drug Policy 2015;26(12):1171-6.
9. Blanc JV, Burdairon JD, Malandain L, et al. Attachment and mental health of men having sex with men engaging in chemsex: Is substance abuse only the tip of the iceberg? J Homosex 2023:1-20.
10. Sewell J, Cambiano V, Speakman A, et al. Changes in chemsex and sexual behaviour over time, among a cohort of MSM in London and Brighton: Findings from the AURAH2 study. Int J Drug Policy 2019;68:54-61.
11. Knight R, Karamouzian M, Carson A, et al. Interventions to address substance use and sexual risk among gay, bisexual and other men who have sex with men who use methamphetamine: A systematic review. Drug and Alcohol Dependence 2019;194:410-29.
12. Coffin PO, Santos GM, Hern J, et al. Effects of mirtazapine for methamphetamine use disorder among cisgender men and transgender women who have sex with men: A placebo-controlled randomized clinical trial. JAMA Psychiatry 2020;77(3):246-55.
13. Laqueille X, et al. Addictions et comorbidités psychiatriques. Rev Prat 2018;68(6):676-9.