Parmi l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé (8 % des émissions nationales, selon le rapport du Shift Project « Décarbonons la santé »), le bloc opératoire a une responsabilité importante. Il est le principal consommateur d’énergie (ventilation, air conditionné), de matériel médical (consommable ou stérilisable) et le premier pourvoyeur de déchets.1 L’anesthésie est le principal émetteur direct de gaz à effet de serre via l’utilisation des gaz anesthésiques (halogénés et protoxyde d’azote).2

Consciente de son impact, l’anesthésie est l’une des premières disciplines en France à s’être saisie des problématiques écologiques, notamment grâce à sa société savante (Société française d’anesthésie-réanimation) qui a créé en son sein un comité développement durable, édité en 2022 des fiches pratiques destinées aux praticiens ainsi que des recommandations pour des pratiques professionnelles écoresponsables.3

Toutefois, l’impératif écologique ne doit jamais prendre le pas sur la qualité des soins ou l’hygiène, qui doivent prévaloir en toutes circonstances.

Intervention d’une équipe multidisciplinaire

Impliquer tous les métiers du bloc opératoire

Il existe, au sein du bloc opératoire, une diversité de métiers médicaux (anesthésiste, chirurgien) et paramédicaux (infirmier anesthésiste diplômé d’État [IADE], infirmier de bloc opératoire (IBODE], aide-soignant en milieu hospitalier [ASH], brancardiers). Les mesures de transition écologique impactent tous ces métiers et nécessitent la collaboration de tous. C’est pourquoi la première étape est de constituer une équipe pluridisciplinaire avec du personnel motivé par les questions de transition écologique (« green team »). Un soutien de l’encadrement et, plus généralement, une volonté de l’établissement sont également nécessaires pour une bonne communication avec les services logistiques, techniques et administratifs.

Idéalement, du temps est dédié pour les équipes à la mise en place et au suivi des mesures de transition écologique du bloc opératoire. Cela permet une meilleure adhésion au projet et une valorisation du travail effectué.

S’appuyer sur un conseiller en transition écologique

Certains établissements bénéficient du soutien de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) avec la mise à disposition pour trois ans d’un coordinateur en transition écologique et énergétique. L’Anap finance 150 postes sur le territoire français dont l’objectif est d’accompagner les acteurs de santé vers leur transition écologique en établissant un état des lieux et des axes prioritaires de travail. Les conseillers sont organisés en réseau animé par l’Anap et coordonnés par l’agence régionale de santé, afin de favoriser l’entraide et de mutualiser les actions des différents établissements. Il est intéressant d’inclure cet interlocuteur dans l’équipe car il peut aider à la mise en place de certains projets ou à leur suivi avec des indicateurs.

Diminuer la consommation d’énergie

Les centrales de traitement de l’air permettant le renouvellement de l’air des salles d’opération ainsi que la climatisation sont les principaux postes de consommation d’électricité au bloc opératoire et en radiologie interventionnelle.4 Elles peuvent être mises en veille la nuit, mais cela nécessite une collaboration étroite entre les services techniques et les services d’hygiène. Par exemple, au sein du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon, la mise en veille nocturne a permis une diminution de 12 % de la consommation électrique totale de l’hôpital.

Même s’ils sont plus anecdotiques au sein du bloc opératoire, l’extinction (et non la mise en veille) des ordinateurs doit être réalisée par les utilisateurs, ou bien centralisée par les services informatiques.

Optimiser l’utilisation des dispositifs médicaux et des médicaments

En finir avec le matériel à usage unique

Les dispositifs médicaux sont le premier poste d’émission de gaz à effet de serre du système de santé.

Ces vingt dernières années, pour des raisons économiques (laboratoires pharmaceutiques), sociétales et juridiques (crise du prion), le matériel à usage unique a investi massivement le bloc opératoire. L’empreinte carbone liée à sa manufacture, son transport et le traitement de sa fin de vie se double d’une empreinte écologique du fait de filières de recyclage imparfaites. Le matériel réutilisable est, dans la plupart des cas, plus vertueux en matière d’empreinte carbone mais nécessite parfois une logistique plus complexe (remise en place de circuits de stérilisation) et un investissement car le matériel réutilisable est généralement plus cher à l’achat. Peuvent être mis en place, au bloc opératoire par exemple, les trocarts de cœliochirurgie,5 les lames de laryngoscope ou les plateaux badigeons ; ces dispositifs réutilisables ont une empreinte carbone plus faible et un coût moins important. S’il existe peu d’analyses du cycle de vie pour les dispositifs médicaux, la littérature scientifique s’enrichit d’année en année de publications aux méthodologies hétérogènes (plateaux d’anesthésie,6 ciseaux de cœliochirurgie, cupules…), permettant de comparer l’empreinte carbone et le coût des dispositifs jetables versus réutilisables.7

En revanche, il est recommandé de ne pas garder, pour un même dispositif, une version réutilisable et une version jetable.

Un autre exemple simple de matériel réutilisable est constitué par les tenues du personnel de bloc opératoire : celles en tissu sont à privilégier.8

On peut également diminuer la consommation de dispositifs médicaux en repensant les kits tout prêts (par exemple des kits d’anesthésie loco-régionale ou des packs chirurgicaux) pour les restreindre au strict nécessaire et éviter le gâchis important lié à la chirurgie (9  % du matériel servi sur table est inutilisé). Cette évolution nécessite évidemment la participation des équipes chirurgicales et d’infirmières de bloc opératoire.La question peut également se poser en dehors du bloc opératoire, pour les praticiens de ville ou dans les services de médecine pour, par exemple, les kits de suture, le conditionnement de compresses, la nécessité ou non d’utiliser des gants stériles en fonction du geste.

Éviter le gaspillage médicamenteux

Le gaspillage de médicaments est également un sujet majeur, notamment ceux préparés pour l’urgence (atropine, suxaméthonium). Vingt à 50 % des médicaments préparés à l’avance en anesthésie seraient jetés.9 Lors d’un audit interne dans le service anesthésie-réanimation du GH Diaconesses Croix Saint-Simon, il a été ainsi estimé que jusqu’à 5 litres d’atropine par an étaient jetés. Une bonne solution à ce problème est l’utilisation de seringues préremplies, qui ne seront utilisées qu’en cas de nécessité.10 L’information et la sensibilisation du personnel pour éviter que les médicaments ne soient préparés trop en amont (stratégie du « just in time ») permet également de diminuer le gaspillage.

La question du conditionnement des médicaments doit aussi être posée (ampoules de 20 mL, 50 mL ou 100 mL).

Enfin, il est préférable, lorsque cela est possible, de privilégier la voie orale plutôt que la voie injectable pour l’administration des traitements (en particulier les traitements antalgiques) :11 la prise orale de paracétamol est quinze fois moins émettrice que son admi­nistration intraveineuse.

Les médicaments non utilisés doivent être incinérés (donc jetés dans les poubelles ou, mieux, éliminés via une filière spécifique). Ils ne doivent en aucun cas être jetés dans les évacuations d’eau.

Problématique de la gestion des déchets

La problématique des déchets est souvent la première à interpeller le personnel de santé même si elle ne représente que 5  % de l’empreinte carbone du système de soins.1 La meilleure stratégie est évidemment de réduire au minimum les déchets, mais que faire de ceux restants ? On estime, par exemple, que la pose d’une prothèse de genou entraîne la production d’environ 13 kg de déchets.12

Trier efficacement les Dasri/Daom

Les déchets d’activité de soins à risque infectieux (Dasri) sont incinérés à plus haute température et avec un coût plus élevé et ont donc une empreinte carbone trois fois supérieure à celle des déchets ménagers.1 Il est possible de réduire drastiquement la quantité de Dasri en sensibilisant le personnel à ne mettre dans cette filière que les déchets effectivement à risque infectieux.

La suppression des sacs jaunes des salles de bloc opératoire semble être une mesure efficace afin de diminuer les Dasri et favoriser la filière des déchets assimilables aux ordures ménagères (Daom) pour les déchets sans risque infectieux.

Privilégier le recyclage

La mise en place de filières de recyclage est également intéressante afin de revaloriser notamment les métaux (inox, aluminium et cuivre), le verre lorsque cela est possible et le plastique. L’association Les P’tits Doudous, créée en 2011 par Nolwenn Febvre (IADE), est une des pionnières en la matière  ; elle propose de réutiliser l’argent du recyclage des déchets pour acheter notamment des doudous pour les enfants hospitalisés.13La mise en place de filières de recyclage doit se faire en lien avec un prestataire de déchets qui collecte (en fonction de la quantité) et recycle certains déchets.

Cas particulier de l’anesthésie : les gaz à effet de serre

L’anesthésie constitue un cas particulier avec l’émission directe de gaz à effet de serre via les gaz anesthésiants (halogénés et protoxyde d’azote) [tableau].14 Selon les publications, l’anesthésie représenterait de 0,1 à 0,01 % des émissions mondiales.

Desflurane

Le desflurane est un gaz halogéné utilisé pour l’entretien de l’anesthésie. C’est un gaz avec un pouvoir de réchauffement global (PRG) à cent ans de 2 720 fois celle du CO2. Les recommandations pour les pratiques professionnelles suggèrent donc en premier lieu de supprimer le desflurane pour ne garder que le sévoflurane dont le PRG est inférieur et l’utilisation clinique comparable.3 L’aspect réglementaire imposera bientôt la suppression du desflurane, qui sera interdit en 2026 (déjà interdit en Écosse).

Protoxyde d’azote

Le protoxyde d’azote est également un gaz à effet de serre avec une durée de vie dans l’atmosphère très longue (cent quatorze ans) et un effet de déplétion sur la couche d’ozone. Le principal secteur émetteur de protoxyde d’azote est de loin l’agriculture. Néanmoins, il ne faut pas négliger son émission par le système de santé (1 à 3 %).15 Le protoxyde d’azote est utilisé en anesthésie comme adjuvant des gaz halogénés pour potentialiser l’anesthésie. En pratique courante, il est de moins en moins utilisé, notamment à cause de la majoration des nausées et vomissements postopératoires. Son utilisation peut se faire en médecine de ville, en salle de médecine ou même dans les cabinets dentaires afin de réaliser des gestes inconfortables. Dans ce cas, il est distribué en bouteilles sous forme d’un mélange équimolaire avec de l’oxygène. 

Dans certains blocs opératoires, il est directement apporté par des centrales de gaz via des réseaux muraux. Les respirateurs du bloc opératoire sont donc directement reliés au réseau de protoxyde d’azote (comme au réseau d’oxygène). 

Il est à présent recommandé de déposer les réseaux muraux de protoxyde d’azote ainsi que les centrales car, même en cas de non-utilisation, il existe des fuites sur les réseaux, qui représentent jusqu’à 90 % de la consommation de protoxyde d’azote.16 Cela nécessite l’aval de la commission des fluides de l’établissement et l’intervention du biomédical ainsi que la remise à jour du parc de respirateurs. Cette dépose des réseaux muraux est très souvent une source d’économies pour l’hôpital (coût du gaz et coût de l’entretien et de la surveillance des centrales), ce qui peut être un argument supplémentaire.

Alternative à l’anesthésie inhalée

L’anesthésie par voie intraveineuse totale par propofol semble être une bonne alternative, puisqu’elle permet une réduction d’environ 20 % de l’empreinte carbone par rapport à une stratégie mixte avec des halogénés.17 Mais le propofol possède une toxicité directe sur les milieux aquatiques, qu’il convient d’évaluer plus précisément. De plus, son utilisation est pourvoyeuse de plus de déchets plastiques (seringues, tubulures).

Dans tous les cas, les experts recommandent le monitorage de la profondeur de l’anesthésie afin de diminuer la consommation des hypnotiques.

L’anesthésie loco-régionale, lorsqu’elle est possible, semble être également plus vertueuse en matière d’émissions de gaz à effet de serre.18

Fédérer autour de la transition écologique au bloc opératoire

Au total, la transition écologique au bloc opératoire est tout d’abord un sujet d’équipe et il semble important de fédérer autour de ce sujet afin de remporter l’adhésion du plus grand nombre. C’est une problématique transdisciplinaire et il est important d’avoir du temps dédié pour pouvoir s’engager dans les missions de transition écologique au bloc opératoire. La mise en place des mesures, de leur suivi et la sensibilisation du plus grand nombre aux actions réalisées demandent un investissement et de la motivation mais sont très fédératrices.

Références
1. MacNeill AJ, Lillywhite R, Brown CJ. The impact of surgery on global climate: A carbon footprinting study of operating theatres in three health systems. Lancet Planet Health 2017;1:e360-e367.
2. Sulbaek Andersen MP, Sander SP, Nielsen OJ. Inhalation anaesthetics and climate change. Br J Anaesth 2010;105:760-6.
3. Société française d’anesthésie réanimation. Guidelines for reducing the environnement impact of general anesthesia. Recommandations de pratiques professionnelles. 2022.
4. Chua AL, Amin R, Zhang J, et al. The environmental impact of interventional radiology: An evaluation of greenhouse gas emissions from an academic interventional radiology practice. J Vasc Interv Radiol 2021;32:907-15. 
5. Boberg L, Singh J, Montgomery A, et al. Environmental impact of single-use, reusable, and mixed trocar systems used for laparoscopic cholecystectomies. PLoS One 2022;17(7):e0271601.
6. McGain F, McAlister S, McGavin A, et al. The financial and environmental costs of reusable and single-use plastic anaesthetic drug trays. Anaesthesia and Intensive Care 2010;38(3):538-44. 
7. Drew J, Christie SD, Tyedmers P, et al. Operating in a climate crisis: A state-of-the-science review of life cycle assessment within surgical and anesthetic care. Environ Health Perspect 2021;129(7):76001. 
8. DiGiacomo JC, Odom JW, Ritota PC, et al. Cost containment in the operating room: Use of reusable versus disposable clothing. Am Surg 1992;58(10):654-6. 
9. Rinehardt EK, Sivarajan M. Costs and wastes in anesthesia care. Curr Opin Anaesthesiol 2012;25(2):221-5. 
10. Atcheson CL, Spivack J, Williams R, et al. Preventable drug waste among anesthesia providers: Opportunities for efficiency. J Clin Anesth 2016;30:24-32. 
11.  Bouvet L, Juif-Clement M, Breant V, et al. Environmental impact of intravenous versus oral administration materials for acetaminophen and ketoprofen in a French university hospital: An eco-audit study using a life cycle analysis. Can J Anaesth 2024;71(11):1457-65. 
12. Stall NM, Kagoma YK, Bondy JN, et al. Surgical waste audit of 5 total knee arthroplasties. Can J Surg 2013;56(2):97-102. 
13. Association Les P’tits Doudous. Des soignants engagés pour les enfants opérés. https://lesptitsdoudous.org 
14. Ishizawa Y. Special article: General anesthetic gases and the global environment. Anesth Analg 2011;112(1):213-7.
15. Andersen MPS, Nielsen OJ, Wallington TJ, et al. Medical intelligence article: Assessing the impact on global climate from general anesthetic gases. Anesth Analg 2012;114(5):1081-5.
16. Hafiani EM, Teilhet M, Camus F, et al. Evaluation of a protocol to reduce the environmental impact of anaesthetic gases. Br J Anaesth 2024;133(6):1489-91.
17. Bernat M, Boyer A, Roche M, et al. Reducing the carbon footprint of general anaesthesia: A comparison of total intravenous anaesthesia vs a mixed anaesthetic strategy in 47,157 adult patients. Anaesthesia 2024;79(3):309-17.
18. Gordon DW. Environmental impact of anesthetic drugs. Curr Opin Anaesthesiol 2024;37(4):379-83. 

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Résumé

La transition écologique est un des défis des équipes du bloc opératoire. Plusieurs axes de travail sont possibles et nécessitent une multidisciplinarité, du temps et de la sensibilisation auprès de tout le personnel du bloc. Il est nécessaire de travailler sur la sobriété énergétique (ventilation, chauffage et air conditionné principalement), de repenser l’utilisation du matériel à usage unique et de diminuer le gaspillage médicamenteux. Les déchets générés doivent être revalorisés ou recyclés dès que cela est possible dans des filières spécifiques. Il existe aussi une problématique propre à l’anesthésie liée aux gaz utilisés : la suppression du desflurane et du protoxyde d’azote est maintenant recommandée par la Société française d’anesthésie-réanimation. Dans tous les cas, c’est un travail fédérateur pour une équipe qui s’inscrit dans une mission d’intérêt général et pour les générations futures.