Pour comprendre la « révolution » liée à l’accès aux traitements modulateurs de CFTR et surtout à élexacaftor-tézacaftor-ivacaftor (ETI), il convient de rappeler le contexte initial.
Les propositions thérapeutiques n’étaient jusqu’alors pas liées au statut génétique du patient. Le pronostic de la maladie restait dominé par l’atteinte respiratoire, la transplantation pulmonaire étant la seule alternative au décès. Les patients avaient très tôt conscience d’une perspective de vie courte. Malgré une capacité grandissante à investir la vie sociale et professionnelle, ils étaient impactés par les contraintes de soins, présentant des taux élevés d’anxiété et de dépression.1 Avec l’arrivée de l’ETI, la communauté des patients se voit scindée en trois groupes aux perspectives différentes : les patients éligibles à l’ETI (largement majoritaires), les patients non éligibles, les patients transplantés pulmonaires (l’ETI n’ayant pas fait la preuve à ce jour de son intérêt chez ces derniers).
Amélioration à nuancer pour les patients éligibles
L’enquête française réalisée très tôt2 après l’instauration de l’ETI à titre compassionnel rapportait la rapidité de l’amélioration clinique et l’euphorie induite. Les témoignages relevaient « le regain d’énergie, une projection possible dans une vie familiale ou des perspectives professionnelles, l’allègement des contraintes de soins ». Des retours plus nuancés ont ensuite été recueillis quant à la perte de repères sociaux et médicaux. Les patients, notamment les plus âgés, se sont construits avec ce statut de personne malade ; leur place au sein de la fratrie, du couple, se voit remise en question. D’autres ont pu se mettre en danger, ne reconnaissant plus les signes d’aggravation ou ayant surestimé leurs nouvelles capacités physiques. Après des années d’injonction à un régime hypercalorique et riche en sel, des difficultés à adopter de nouvelles habitudes alimentaires sont observées. Le changement d’image corporelle n’est pas toujours bien vécu et fait l’objet d’une attention particulière chez les adolescents en tant que potentiel frein à l’observance.3 Avant l’ETI, les hospitalisations rythmaient la vie des patients. Du fait de l’espacement des visites et du moindre recours aux soignants libéraux, certains ont pu exprimer une sensation de vide ou d’abandon, quand d’autres ont apprécié ce temps libéré. L’enquête menée aux États-Unis rapporte un impact globalement très positif sur le bien-être des patients (fig. 1) mais moins net sur le bien-être mental (fig. 2). Les travaux d’A. Georgiopoulos4 confortent la possible implication de l’ETI dans la survenue de troubles anxiodépressifs, parfois sévères, chez une minorité de patients (pour la plupart avec des antécédents de dépression) durant les premiers mois de traitement. Des observations similaires ont été rapportées chez les enfants.5 Une diminution de posologie de l’ETI associée à la prise en charge psychologique et parfois médicamenteuse permet en général l’amélioration des symptômes.
Les patients font état le plus souvent d’une meilleure sexualité. L’ETI a un impact positif rapide sur la fertilité féminine, d’où plusieurs cas de grossesse non prévue : la décision de poursuivre ou non la grossesse sous ETI a pu être difficile. Grâce aux données rassurantes concernant l’impact de l’ETI sur le fœtus, davantage de femmes s’autorisent aujourd’hui à envisager la maternité et le nombre de grossesses augmente. Chez les enfants et les adolescents, peu symptomatiques, l’intérêt préventif de l’ETI n’est pas si « évident ». Son arrêt ou sa prise irrégulière doit être recherché en cas d’aggravation clinique.
Frustration pour les patients non éligibles
C’est le sentiment de « double peine » qui domine chez les patients non éligibles à l’ETI, renforcé par la large médiatisation des résultats. Cela accentue le sentiment de culpabilité souvent exprimé par les parents. Les patients redoutent une banalisation de la mucoviscidose et une perte d’expertise des équipes. Ne pas pouvoir, pour des raisons règlementaires, « au moins essayer l’ETI » a généré beaucoup de ressentiment. Les patients sont donc sensibles à l’élargissement récent du cadre de prescription ainsi qu’à la mobilisation d’importants moyens pour soutenir les projets de recherche vers d’autres voies thérapeutiques.
Déception pour les transplantés pulmonaires
Certains patients ayant bénéficié d’une transplantation pulmonaire ont pu exprimer l’amertume d’être passés « tout près » d’un traitement efficace moins contraignant que la greffe ; mais ils se réjouissent pour leurs pairs éligibles. Ils espèrent d’autres avancées thérapeutiques dans le combat contre le rejet chronique.
Impacts encore à évaluer
L’ETI apporte une formidable amélioration clinique et ouvre de réelles perspectives concernant l’espérance et la qualité de vie. Il est encore encore trop tôt pour en mesurer l’impact sur l’insertion sociale et professionnelle. La période de transition a pu fragiliser certains patients adultes sur le plan psychologique. Il est important de recueillir les effets indésirables, notamment psychiatriques. Le maintien de l’observance chez les plus jeunes sous modulateurs reste l’un des défis à relever.
2. Martin C. Patient perspectives following initiation of elexacaftor-tezacaftor-ivacaftor in people with cystic fibrosis and advanced lung disease. Respir Med Res 2021;80:100829.
3. Lyons E. Body image perceptions and elexacaftor/tezacaftor/ivacaftor (ETI) use in adolescents living with cystic fibrosis in the United States. P349. 46th European Cystic Fibrosis Conference. 2023.
4. Georgiopoulos AM. Management of neuropsychiatric symptoms in adults treated with elexacaftor/tezacaftor/ivacaftor. Pediatr Pulmonol 2023;58(7):1920-30.
5. Borawska-KowalczykU. Mental health after initiating triple CFTR modulators in a Polish paediatric cystic fibrosis centre. A preliminary report. P347. 46th European Cystic Fibrosis Conference. 2023.
6. Citters AD, Aliaj E, Cary J, et al. Highly-effective modulator therapies : Impact on the well-being of people living with cystic fibrosis and implications for the CF care model. Poster and podium presentation, North American CF Conference, Philadelphia 2022.