La Communauté de patients pour la recherche (ComPaRe) est une plateforme collaborative d’accélération de la recherche aux multiples facettes. Elle regroupe une e-cohorte de 58 000 adultes atteints d’au moins une maladie chronique, en France. Elle permet aux équipes de recherche publique d’utiliser des données déjà collectées ou d’en collecter de nouvelles. De plus, ComPaRe propose à une communauté de patients de s’impliquer dans la recherche. Son objectif central est de placer la parole des patients au cœur de la recherche afin de mieux répondre à leurs problématiques.

En France, 40  % des adultes, soit 20 millions de personnes, vivent avec une maladie chronique (asthme, diabète, insuffisance cardiaque, etc.).1 Pour les patients, vivre avec une maladie chronique est à l’origine d’un double fardeau, à la fois celui de la maladie (symptômes, handicaps, etc.) et celui du traitement (temps et énergie nécessaires pour prendre des traitements régulièrement, organiser des consul­tations et changer ses habitudes de vie). Pour la société, la prise en charge de ces maladies représente une part importante des dépenses de santé, soit environ 84 milliards d’euros par an, en France.1,2

La recherche clinique sur les maladies chroniques repose sur un modèle projet par projet, lent et coûteux  : il s’écoule en moyenne dix-sept ans entre une idée de recherche et l’application de ses résultats en pratique clinique. Pour chaque idée, les chercheurs doivent obtenir des financements spécifiques, des autorisations éthiques et réglementaires, mettre en place des moyens pour collecter des données, recruter de nouveaux participants, etc. Et ces étapes sont répétées pour chaque nouveau projet, dans une permanente construction/déconstruction de l’infrastructure de recherche.

Pour contourner ces obstacles, la Communauté de patients pour la recherche (ComPaRe) a été créée fin 2017. ComPaRe est une plateforme collaborative d’accélération de la recherche, portée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et l’Université Paris Cité.

Qu’est-ce que ComPaRe  ?

ComPaRe est une plateforme regroupant trois outils novateurs de recherche  : une e-cohorte de patients souffrant de maladies chroniques, une mise en commun des données existantes et des nouvelles collectes, ainsi qu’une communauté de patients avec des ambassadeurs.

Une e-cohorte de patients souffrant de maladies chroniques

ComPaRe est fondée sur une e-­cohorte de personnes adultes ayant au moins une maladie chronique (définie comme toute affection de santé nécessitant une prise en charge d’une durée de plus de six mois).3

ComPaRe innove sur plusieurs points.

Premièrement, à la différence des cohortes habituelles, le recrutement dans ComPaRe passe par l’information directe, et à grande échelle, des potentiels participants via les médias, les réseaux sociaux et les associations de patients partenaires. Ce modèle, ne reposant pas sur les médecins, permet de toucher des personnes géographiquement distantes, vivant éloignées des centres de recherche, et peut alléger le fardeau des soignants.

Deuxièmement, ComPaRe est une e-cohorte. Les participants s’incluent dans le projet via la plateforme en ligne dédiée (https ://compare.aphp.fr). Ils répondent à des questionnaires en ligne permettant de recueillir des critères de jugement («  Patient-reported outcome measures  », PROMs) et des critères d’expérience («  patient-reported experience measures  », PREMs), tous rapportés par les patients. Les données transmises directement par les patients sont ensuite enrichies avec des données hospitalières (entrepôts hospitaliers de données, etc.), médico-administratives (Système national des données de santé, etc.), provenant d’examens biologiques et/ou d’imagerie ou encore des objets connectés des patients (smartphones, montres connectées, etc.).

Troisièmement, ComPaRe a pour objectif d’étudier la multimorbidité. En effet, environ 50  % des patients souffrant de maladies chroniques en ont plusieurs. Par exemple, seuls 20  % des patients vivant avec le diabète n’ont que cette maladie.4 ComPaRe sort ainsi d’une logique de recherche en silos (recherche sur le diabète, recherche sur l’endométriose, etc.) et tient compte de l’ensemble des maladies, traitements et symptômes des patients dans ses recherches.

Enfin, dans ComPaRe, le suivi de chaque participant est adapté selon ses caractéristiques et ses maladies, avec un suivi général portant sur des éléments communs à toutes les maladies chroniques (observance, activité physique, sommeil, etc.) et un ou plusieurs suivis spécifiques aux maladies et traitements déclarés. Ces suivis spécifiques permettent la réalisation de cohortes nichées dans ComPaRe : par exemple, la cohorte ComPaRe Endométriose, qui compte plus de 14 000 participantes, est l’une des plus grandes études prospectives sur l’endométriose au monde et a été identifiée comme l’un des piliers de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose annoncée par le président de la République, en 2022.

Une plateforme pour répondre à de multiples questions de recherche

ComPaRe permet à toute équipe de recherche publique de répondre à des questions de recherche sur les maladies chroniques, soit en utilisant des données déjà recueillies, soit en demandant la collecte de nouvelles données, par exemple via l’ajout de nouveaux questionnaires en ligne (figure).

Les études nichées dans ComPaRe peuvent concerner tout ou partie de la cohorte (patientes souffrant d’endométriose, patients âgés, patients sous corticothérapie au long cours, etc.). Elles peuvent répondre à des questions différentes  : études descriptives ou étiologiques, développement de nouveaux critères de jugement rapportés par les malades, voire évaluation thérapeutique à partir de données observationnelles en mettant en avant un essai cible («  target trial emulation  ») ou via des essais contrôlés randomisés nichés dans la cohorte.

La plateforme peut également faciliter l’identification de patients éligibles à des études hors ComPaRe, que ce soit pour des recherches fondamentales, sociologiques ou cliniques.

ComPaRe facilite et accélère la recherche pour les chercheurs car un certain nombre de démarches réglementaires et techniques y sont mutualisées. L’infrastructure de collecte des données existe déjà, et des patients éligibles à ces études nichées sont préalablement inclus dans ComPaRe. On estime que ComPaRe peut diviser par trois le temps nécessaire pour mettre en place et réaliser un projet de recherche.5

Dans ComPaRe, une donnée est collectée une fois et est utilisée à de multiples reprises. De même, le patient rejoint un seul projet de recherche mais répond à des questions multiples sur sa ou ses maladies.

Une communauté de patients avec des ambassadeurs

ComPaRe implique les patients dans toutes les étapes de la recherche, afin de passer d’un modèle de recherche décidé uniquement par des chercheurs et médecins à un modèle participatif impliquant largement les patients. Dans ComPaRe, plus de la moitié des participants souhaitent s’impliquer davantage que par la simple réponse à des questionnaires en ligne, en participant, par exemple, à des comités scientifiques, à la sélection des recherches menées sur ComPaRe, à l’analyse des données et à la diffusion des résultats.

Pour rendre opérationnelle cette volonté, le programme Ambassadeurs de ComPaRe a été lancé en 2021. Il propose un espace d’interaction sur les projets de recherche entre les équipes de ComPaRe et les patients, afin de mieux comprendre les attentes des participants. Aujourd’hui, près de 350 patients se sont engagés dans ce programme et échangent quotidiennement avec l’équipe ComPaRe.

ComPaRe est également soutenue par 70 associations de patients qui sont régulièrement informées et consultées sur les évolutions du projet.

ComPaRe aujourd’hui

En octobre 2024, ComPaRe comptait 58 000 participants, 785 000 questionnaires en ligne complétés et 23 millions de données collectées. Ces données sont utilisées par plus de 270 chercheurs en France, dans plus de 95 projets de recherche (dont 20 cohortes et 2 essais contrôlés randomisés nichés dans la cohorte). À titre d’exemple, voici quelques études marquantes de ComPaRe.

Idées des patients pour améliorer leur prise en charge

En 2018, 1 600 patients ont répondu à la question ouverte suivante  : «  Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans votre prise en charge  ?  ».

L’analyse des données, réalisée conjointement par des patients et des chercheurs, a permis d’identifier 3 600 idées groupées en 150 propositions d’amélioration des consultations, des hôpitaux et du système de santé en général.6 Ces résultats ont été utilisés, avant même leur publication, par le gouvernement afin de construire le plan Ma santé 2022.

Dans une seconde étude, un deuxième échantillon de 3 000 patients a évalué l’importance de chacune des idées précédemment identifiées, et un groupe d’experts (médecins, directeurs d’hôpitaux, politiques en charge des questions de santé) a évalué leur faisabilité. Cette seconde étude a permis de cartographier des idées d’amélioration importantes pour une majorité de patients souffrant de maladies chroniques et réalisables à faible coût.7

Réinventer les mesures d’évaluation de la sévérité du vitiligo

Habituellement, la progression du vitiligo est évaluée par la surface de peau touchée chez les patients. En 2022, les chercheurs de ComPaRe ont interrogé 240 patients sur la perception de la sévérité de leur maladie en fonction de l’atteinte (ou non) de zones visibles, telles que le visage et les mains. Cette étude a montré que les patients accordaient plus d’importance à leur maladie lorsqu’elle touchait des zones visibles. Cette étude a eu un impact important dans la communauté des chercheurs sur le vitiligo et a remis en cause les mesures actuellement utilisées en pratique et en recherche clinique.8

Critères de jugement à mesurer dans les essais sur la dépression

Les études cliniques sur la dépression mesurent l’efficacité des traitements en utilisant des critères tels que la sévérité de la dépression. En 2018, les chercheurs de ComPaRe ont interrogé plus de 3 000 patients souffrant de dépression, avec la question  : «  Que devrait changer votre traitement antidépresseur   ?  ». Leurs réponses ont permis d’identifier 80 domaines (64 liés aux symptômes et 16 liés au fonctionnement) importants pour les patients, dont certains ne sont actuellement pas considérés dans les essais cliniques (douleur mentale, isolement social, retour au travail, etc.).9

Un outil de recherche unique

ComPaRe est un instrument de recherche quasi unique au monde par sa flexibilité et sa capacité à générer des données massives pour répondre à un grand nombre de questions de recherche. L’objectif est de recruter 100 000 personnes d’ici à 2028. Dans un futur proche, il est prévu d’enrichir les données rapportées par les participants de ComPaRe avec leurs données médico-administratives provenant du Système national des données de santé (SNDS). Ceci permettrait, par exemple, de mieux analyser ces données, qui sont souvent limitées par le fait qu’elles n’ont pas été prévues à des finalités de recherche (par exemple, un certain nombre de facteurs de confusion tels que le poids, les habitudes de vie des patients ou la sévérité des maladies ne sont pas présents dans ces bases de données).

La philosophie de ComPaRe est de placer la parole des patients au cœur de la recherche afin de répondre, avec la meilleure rigueur possible, aux problématiques qui leur semblent importantes. 

Références
1. Chassang M, Gautier A. Les maladies chroniques. Les avis du Conseil économique social et environnemental. Juin 2019. https://urls.fr/7sr85a
2. Cicolella A. Santé environnementale et maladies chroniques, le coût de l’inaction. Economie Polit 2018;80(4):17‑29.
3. World Health Organization. Stop the global epidemic of chronic disease: A practical guide to successful advocacy. 2006. https://urls.fr/0We86U
4. Barnett K, Mercer SW, Norbury M, et al. Epidemiology of multimorbidity and implications for health care, research, and medical education: A cross-sectional study. The Lancet 2012;380(9836):37‑43.
5. Tran VT, Ravaud P. Collaborative open platform E-cohorts for research acceleration in trials and epidemiology. J Clin Epidemiol 2020;124:139‑48.
6. Tran VT, Riveros C, Péan C, et al. Patients’ perspective on how to improve the care of people with chronic conditions in France: A citizen science study within the ComPaRe e-cohort. BMJ Qual Saf 2019;28(11):875-86.
7. Tran VT, Diard E, Ravaud P. Priorities to improve the care for chronic conditions and multimorbidity: A survey of patients and stakeholders nested within the ComPaRe e-cohort. BMJ Qual Saf 2021;30(7):577‑87.
8. Merhi S, Salameh P, Abboud M, et al. Facial involvement is reflective of patients’ global perception of vitiligo extent. Br J Dermatol 2023;189(2):188‑94.
9. Chevance A, Ravaud P, Tomlinson A, et al. Identifying outcomes for depression that matter to patients, informal caregivers, and health-care professionals: Qualitative content analysis of a large international online survey. Lancet Psychiatry 2020;7(8):692‑702.

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Résumé

En France, environ 40  % des adultes vivent avec une maladie chronique. La Communauté de patients pour la recherche (ComPaRe ; https ://compare.aphp.fr) est une e-cohorte de 58 000 adultes atteints d’une ou plusieurs maladies chroniques, en France. Ces personnes répondent, de chez elles, à des questionnaires en ligne permettant de recenser des critères de jugement et d’expérience rapportés directement. ComPaRe est également une plateforme collaborative d’accélération de la recherche permettant à n’importe quelle équipe de recherche publique d’utiliser des données déjà collectées ou d’en collecter de nouvelles. À ce jour, plus de 270 chercheurs utilisent des données de ComPaRe dans plus de 95 projets de recherche sur des maladies spécifiques, sur les maladies chroniques en général ou sur la multimorbidité. Enfin, ComPaRe est une communauté de patients qui s’impliquent dans la recherche.