L’ingestion de corps étrangers (CE) représente environ 4 % des indications d’endoscopie en urgence. On distingue les impactions d’aliments, les CE mousses, ceux tranchants ou pointus, ceux toxiques (piles plates par exemple) ou magnétiques.

Les impactions alimentaires concernent essentiellement les adultes et sont accidentelles dans 95 % des cas. Une maladie œsophagienne sous-jacente, fréquente, doit être recherchée. Les ingestions de CE non alimentaires concernent surtout la population pédiatrique, 75 % des cas survenant avant l’âge de 5 ans. Chez l’adulte, l’ingestion de CE non alimentaire peut être intentionnelle en contexte psychiatrique ou carcéral ou chez les passeurs de drogue (« mules » ou body packers).

La majorité des CE ingérés sont évacués spontanément. Une extraction endoscopique est toutefois nécessaire dans 10 à 20 % des cas, et une intervention chirurgicale pour extraction ou traitement d’une complication dans 1 % des cas seulement.1

Éléments à recueillir à l’interrogatoire et à l’examen clinique

Le recueil rigoureux de l’anamnèse est indispensable pour orienter correctement le patient et décider d’une prise en charge adaptée. Il faut préciser le type de CE (nombre, matière, forme), l’horaire d’ingestion, les antécédents digestifs (chirurgicaux, blocages alimentaires, dysphagie d’apparition récente) et les symptômes.

Les symptômes surviennent majoritairement lorsqu’un CE est bloqué dans l’œsophage (souvent au niveau du tiers supérieur) ou lorsqu’une complication apparaît. Les signes, variés, ne sont pas toujours en relation avec la localisation du CE : sensation de blocage, vomissements, dysphagie, odynophagie, douleur rétrosternale. L’aphagie (avec impossibilité d’avaler ses sécrétions salivaires) est un signe de gravité qui suggère une obstruction œsophagienne complète.

Les signes de complication à rechercher sont une fièvre, une tachycardie, un emphysème sous-cutané, une tuméfaction cervicale, une anomalie auscultatoire pulmonaire, un syndrome occlusif, un syndrome péritonéal.1,2

L’interrogatoire du jeune enfant peut être limité. En pratique, tout symptôme ORL ou digestif haut d’apparition brutale et inexpliquée peut être lié à une ingestion de CE chez l’enfant en bas âge.3,4 

Qui adresser pour une prise en charge urgente ?

Tout signe clinique de complication doit faire adresser sans délai vers un service d’urgence en relation avec une garde ou astreinte d’endoscopie et de chirurgie. L’extraction endoscopique d’un CE doit être réalisée selon les délais suivants (figure) :

  • en urgence immédiate (dans tous les cas en moins de 6 heures et idéalement en moins de 2 heures) pour les CE œsophagiens mousses mais responsables d’aphagie et/ou localisés au niveau du tiers supérieur de l’œsophage, les CE pointus ou tranchants et les CE toxiques (piles plates [encadré]) ;
  • dans les vingt-quatre heures pour les CE œsophagiens mousses sans aphagie ;
  • dans les vingt-quatre heures pour les CE gastriques de grande taille (plus de 6 cm de long et/ou 2,5 cm de large chez l’adulte), si un ou plusieurs aimants et un autre corps ferro-magnétique (risque de fistule) ont été ingérés.

Dans tous les cas, il convient de laisser le patient à jeun et de ne pas tenter de le faire vomir. Les traitement médicamenteux des impactions alimentaires (antispasmodiques ou glucagon) n’ont pas fait la preuve de leur efficacité par rapport au placebo. Leur utilisation ne doit donc pas retarder la prise en charge endoscopique.2

Pas d’imagerie systématique

Aucun examen complémentaire de biologie ou d’imagerie ne doit retarder la prise en charge endoscopique. 

La réalisation de radiographies de face, de profil si besoin, cervico-thoraciques et abdominales est parfois conseillée pour déterminer la présence, la localisation, la taille, le nombre et la forme d’objets radio-opaques (notamment chez l’enfant).

Le scanner est préféré en cas de signes de complication (emphysème sous-cutané, tuméfaction cervicale...).1,2

Prise en charge temporisée en externe : qui est concerné ?

Il est possible de prendre en charge en externe les patients asymptomatiques ayant un CE intragastrique mousse, non toxique, de petite taille (inférieure à 6 cm de long et/ou à 2,5 cm de large chez l’adulte). La majorité de ces patients expulsent, en effet, le CE spontanément. Ils doivent néanmoins être informés que l’apparition de douleurs abdominales, d’une fièvre ou d’un syndrome occlusif doit les faire consulter en urgence. 

Une extraction endoscopique est nécessaire si le CE reste visible dans l’estomac sur la radiographie trois à quatre semaines après l’ingestion.1,2

Suivi après extraction du corps étranger

Jusqu’à 75 % des patients ayant eu une impaction alimentaire ont une pathologie œsophagienne sous-jacente, comme une sténose (environ 50 %, souvent peptique), plus rarement un cancer ou un trouble moteur œsophagien. 

Si l’œsophage paraît normal, et pour ne pas méconnaître la fréquente œsophagite à éosinophiles (40 % des cas), des biopsies doivent être réalisées en cas d’impaction alimentaire, soit en urgence, soit de façon élective en cas de résolution spontanée.

En cas d’ingestion de corps étranger non alimentaire, la prise en charge des situations prédisposantes (appareillages dentaires inadaptés, maladies psychiatriques, conseils aux parents pour les enfants en bas âge) permet de limiter la récidive.1

Cas particuliers : stupéfiants et pile bouton

Pas d’endoscopie en cas d’ingestion de stupéfiants

L’extraction endoscopique de stupéfiants en cas d’ingestion ou insertion (vagin, rectum) dans le cadre de trafic illicite (« mules » ou body packers) est absolument contre-indiquée. Les patients sont en effet exposés au risque d’overdose fatale en cas de rupture des contenants (cire, préservatif...). 

L’évacuation spontanée doit être facilitée (en milieu réanimatoire) et si besoin réalisée chirurgicalement. 

Les stupéfiants sont à confier à la pharmacie, pour destruction documentée.1

Ingestion de pile bouton : urgence absolue !

Les lésions digestives induites par les piles plates (brûlures électriques, caustiques, puis nécrose) peuvent engager le pronostic vital. Leur gravité et leur fréquence croissante ont conduit la Haute Autorité de santé à publier récemment des recommandations.3 L’ingestion d’une pile bouton chez l’enfant, notamment de moins de 5 ans, doit être suspectée devant tout symptôme digestif haut, ORL ou respiratoire inexpliqué. Il s’agit d’une urgence absolue. 

L’orientation du patient doit être décidée en concertation avec le médecin régulateur du SAMU, qui prévient le service d’urgence. Selon les cas, elle se fait vers un centre de recours d’endoscopie ou de chirurgie thoracique (notamment s’il y a des signes de gravité, comme un saignement digestif, une détresse respiratoire, un malaise). Si l’ingestion n’est pas certaine, de simples radiographies doivent être réalisées sans retarder une extraction endoscopique, qui doit être la plus immédiate possible (délai de moins de 2 heures) [encadré].

Encadre

Ingestion de pile bouton 

Toute suspicion d’ingestion est une ingestion jusqu’à preuve du contraire.

Le patient est orienté en coordination avec le SAMU.

Le service accueillant le patient doit être informé de son arrivée.

L’extraction endoscopique est une urgence absolue.

Références 
1. Dray X, Camus M, Becq A. Exérèse des corps étrangers du tractus digestif supérieur. EMC Gastroentérologie 2020;0(0):1-8.
2. Birk M, Bauerfeind P, Deprez P, et al. Removal of foreign bodies in the upper gastrointestinal tract in adults: European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Clinical Guideline. Endoscopy 2016;48(05):489-96.
3. Haute Autorité de santé. Diagnostic et prise en charge des enfants ayant ingéré une pile bouton ou une pile plate. 2022.
4. Thomson M, Tringali A, Dumonceau J, et al. Paediatric Gastrointestinal Endo­scopy: European Society for Paediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition and European Society of Gastrointestinal Endoscopy Guidelines. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2017;64(1):133-53.

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