À l’heure où un déconfinement se profile, les questions principales tournent maintenant autour de l’immunisation des patients et du risque de réinfection, pour éviter un second pic épidémique.
Que sait-on vraiment du SARS-CoV-2 ? Où en sont les recherches en cours ? À quand un vaccin ?
Les réponses du Pr Odile Launay, infectiologue à l’Hôpital Cochin, et directrice du Centre d’investigation clinique Cochin-Pasteur dédié à la recherche en vaccinologie.
La Revue du Praticien : Une minorité de patients évolue vers une forme grave de la maladie. À ce stade de l’épidémie, peut-on identifier des profils phénotypiques évolutifs ?
Pr O. Launay : En dehors des facteurs de risques connus aggravants (âge, maladies chroniques, obésité…), il n’y a pas à ma connaissance de facteurs prédictifs connus en lien avec le tableau clinique inaugural qui laisserait présager d’une évolution vers une forme plus ou moins sévère. Des études génétiques sont en cours chez des patients ayant fait des formes graves sans facteur de risque connu. Le séquençage du génome de ces patients permettra sans doute d’identifier des particularités génétiques qui accentuent la sévérité de l’infection par le SARS-CoV-2 ou, à l’inverse, qui limitent l’apparition de symptômes, parfois jusqu’à leur absence complète. Des scores pronostiques sont également en voie de développement, et en particulier le rapport PNN sur lymphocytes et d’autres marqueurs comme les D-Dimères et l’IL-6.
Rev Prat : Les hommes sont-ils plus à risque de formes sévères ?
O. L. : Oui les hommes sont plus à risque de formes sévères et de décès. Les premières publications chinoises notaient déjà cette différence de sex-ratio. L’hypothèse initiale était celle de facteurs confondants comme le diabète et le tabac. Le sexe semble être un facteur de risque finalement indépendant. La testostérone pourrait être un facteur hormonal aggravant ; ou à l’inverse, les estrogènes un facteur protecteur.
Rev Prat : quels sont les critères pour considérer qu’un patient est guéri ?
O. L. : Actuellement le critère de guérison est clinique (disparition des symptômes à l’exception de la toux qui peut persister). L’autre question est la durée de contagiosité. Les recommandations du Haut Conseil de la santé publique sont de mettre en place un confinement au moins 9 jours après le début des symptômes et au moins 2 jours après la fin des symptômes cliniques à l’exception de la toux. Le seul test utilisé actuellement est la PCR qui détecte le génome du virus mais ne permet pas de savoir si le virus est infectieux ou non. On mesure donc uniquement la durée d’excrétion virale. Sa sensibilité n’étant pas de 100 %, c’était une des hypothèses pour expliquer pourquoi chez certains patients considérés comme guéris (deux PCR consécutives négatives), on voyait la PCR se repositiver. Mais l’hypothèse d’un réservoir viral (ou portage chronique) n’est pas exclue, expliquant peut-être pourquoi certains patients ont une excrétion virale prolongée, les exposant au risque d’une réactivation virale. Personne n’est encore capable à ce stade de dire si une réinfection est possible.
Rev Prat : Un patient qui a été infecté peut-il se considérer comme définitivement immunisé ?
O. L. : Beaucoup de questions se posent encore. La première est de savoir si les anticorps développés par le patient sont des anticorps neutralisants ; et, si oui, faut-il un titre suffisant pour être protégé ?
De nombreux tests sérologiques sont en cours de développement mais on ne sait pas encore lesquels vont être fiables en termes de sensibilité et de spécificité pour pouvoir être utilisés pour dépister la population.
La deuxième question porte sur les mécanismes de protection. Même si les anticorps sont protecteurs, n’y a-t-il pas un autre mécanisme de protection cellulaire par le biais des lymphocytes CD8 cytotoxiques capables d’éliminer les cellules infectées et de permettre aux patients de guérir ? Cette hypothèse semble probable chez ceux qui ont fait des formes minimes, avec un faible taux d’anticorps, mais qui pourraient avoir développé une réponse en lymphocytes T CD8 cytotoxiques efficace.
Les patients ayant fait une forme modérée de la maladie seraient-ils plus à risque de refaire une réinfection ? On a envie de dire non car ces patients ont sans doute un système immunitaire qui répond bien. Mais il est encore trop tôt pour répondre !
Rev Prat : Les derniers travaux de modélisation de la pandémie de Covid-19 de l’Inserm suggèrent que moins de 10 % de la population française aurait été infectée par le virus. On ne peut donc pas compter sur une immunité collective ?
O. L. : L’immunité de groupe (au moins 50 % voire plutôt 60 ou 70 % de la population immunisée) serait en effet la solution pour lever le confinement sans risque et éviter un second pic épidémique. Le concept est simple : pour que la population dans son ensemble soit protégée, il faut qu’une certaine proportion de cette population soit immunisée contre le virus, soit parce qu’elle y a été exposée et a développé une réponse immunitaire, soit parce qu’elle a été vaccinée. En l’état actuel des connaissances, il est difficile de dire si le fait d’avoir été infecté par le virus (ce qui se traduira le plus souvent par une sérologie positive), signifie automatiquement que l’on est immunisé, et le cas échéant, pour combien de temps. Quoi qu’il en soit, on est aujourd’hui très loin d’une immunité de groupe et les mesures barrières doivent être respectées y compris par les personnes dont la sérologie est positive à la levée du confinement.
Rev Prat : Dans quel délai un vaccin pourrait-il voir le jour ?
O. L. : Jusqu’à présent il n’existe aucun vaccin spécifique contre un coronavirus. C’est donc un nouveau vaccin qu’il faut produire. Même si le virus a été très vite isolé, il faut le temps nécessaire pour pouvoir réaliser les essais cliniques chez l’homme, en toute sécurité. Plusieurs essais de phase I ont démarré (1 aux États-Unis, 2 en Chine et 1 en Allemagne), dont l’objectif principal est la sécurité et l’immunogénicité. Ce sont ensuite les essais de phases II et III qui permettront d’en tester l’efficacité. Tout cela prend du temps et il est raisonnable de penser que le premier vaccin ne verra pas le jour avant 1 an minimum, voire 18 mois… donc peut-être en septembre 2021.
Rev Prat : Certains proposent de revacciner contre le BCG ?
O. L. : C’est en effet une approche à l’étude : l’utilisation de vaccins vivants pour protéger contre les formes sévères de Covid-19. Ces vaccins ont des propriétés de stimulation non spécifique de l’immunité innée, et pour lesquels on a des données épidémiologiques en particulier chez les enfants. Dans certains pays où l’on vaccine avec des vaccins vivants, essentiellement contre la rougeole, la tuberculose mais aussi la poliomyélite, les enfants ont une mortalité infectieuse diminuée en particulier par infections respiratoires.
Concernant le BCG, il y a des données récentes qui montrent que lorsque l’on revaccine des adultes ou qu’on les vaccine, si les pays n’ont pas de politique de vaccination BCG, ces adultes font moins d’infections respiratoires et en particulier d’infections virales.
Plusieurs études ont commencé en Hollande et en Australie ; en France, on l’espère d’ici peu pour les patients particulièrement à risque que sont les personnels hospitaliers.
Alexandra Karsenty, La Revue du Praticien
O. Launay déclare des liens ponctuels (interventions ponctuelles et prise en charge lors de congrès) avec Pfizer, MSD, Sanofi Pasteur, Janssen et GSK.