Le cancer colorectal (CCR) se développe à partir d’une lésion prénéoplasique – le polype – qui passe par différents stades de dysplasie, avant d’aboutir à l’adénocarcinome invasif, sur une période de dix à quinze ans. La survie à cinq ans du CCR a augmenté ces trente dernières années : elle est actuellement de 63 % tous stades confondus. Cependant, elle reste bien plus élevée pour les stades précoces que pour les avancés.
Le dépistage permet de diagnostiquer la maladie à un stade précoce, accessible à un traitement curatif, réduisant ainsi la mortalité spécifique par CCR ainsi que l’incidence de cette maladie. En effet, après un test positif, la coloscopie met en évidence des polypes ou adénomes avant qu’ils ne dégénèrent en cancer dans 30 % des cas, et diagnostique un cancer colorectal à un stade peu évolué dans 8 % des cas.
Pourquoi dépister avant 50 ans ?
Les modalités actuelles de dépistage en France dépendent du niveau de risque, défini par la HAS selon les antécédents personnels et familiaux de polypes ou de CCR, de maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI) et de polypose génétique (algorithme en figure 1).
Les patients à risque moyen, âgés de 50 à 74 ans mais sans antécédent, sont invités tous les deux ans par courrier à réaliser un test de dépistage immunologique (Fecal Immunochemical Test ou TIF). Toutefois, certaines grandes institutions états-uniennes comme l’American Cancer Society, la U.S. Preventive Services Taskforce ou le collège américain de gastroentérologie recommandent depuis quelques années un démarrage du dépistage dès 45 ans. Les raisons invoquées : l’incidence des cancers entre 45 et 50 ans augmente progressivement, atteignant des chiffres similaires à ceux observés après 50 ans ; les modélisations montrent que la balance bénéfices-risques serait favorable. Or, peu sont les données « en vie réelle » sur le dépistage avant 50 ans.
Une large étude de cohorte
Le consortium Kaiser Permanente, présent dans huit États nord-américains, propose depuis peu un TIF aux patients de 45 à 49 ans. Ainsi, les médecins de cette organisation ont mené une étude rétrospective sur une cohorte représentative de la population pour évaluer l’intérêt de ces dépistages plus précoces dans leurs structures.
Pour ce faire, ils ont suivi de manière rétrospective tous leurs patients de 45 à 50 ans de Californie du Nord, de l’État de Washington et du Colorado ayant reçu entre janvier et septembre 2022 un kit pour réaliser un TIF. Les patients étaient exclus de l’étude s’ils souffraient de MICI, s’ils avaient subi une chirurgie du gros intestin ou de l’intestin grêle, réalisé un TIF précédemment, ou s’ils avaient eu un CCR. La cohorte finale comportait 267 732 patients (50,5 % de femmes), dont 79,9 % de 45 à 49 ans et 20,1 % de 50 ans.
Les critères de jugement principaux étaient le taux de réalisation du TIF (dans les 3 mois après sa distribution), sa positivité, le taux de réalisation de la coloscopie (dans les 3 mois suivant un TIF positif), les résultats de la coloscopie et le taux de TIF faux positifs.
Ces critères étaient comparés entre les patients de 45 - 49 ans et les patients de 50 ans, en prenant en compte plusieurs facteurs confondants (sexe, ethnicité, diabète, tabagisme, IMC, etc.).
Les résultats ont été publiés fin octobre dans Annals of Internal Medicine. Le taux de réalisation du TIF était un petit peu plus important chez les 45 - 49 ans que chez ceux de 50 ans (38,9 % vs 37,5 % ; adjusted risk ratio (aRR) = 1,05 ; IC95 % = [1,04 ; 1,06]).
La positivité du TIF était légèrement plus faible chez les 45 - 49 ans (3,6 % vs 4,0 % ; aRR = 0,91 ; IC95 % = [0,84 ; 0,98]), mais le taux de réalisation d’une coloscopie de suivi après un TIF positif était similaire entre les groupes. Enfin, les taux de résultats positifs de la coloscopie étaient similaires entre les deux groupes pour les adénomes à histologie avancée et les polypes à dysplasie de haut grade ; le nombre d’adénocarcinomes découverts était identique : 2,7 % vs 2,8 %.
Cependant, le taux de TIF faux positifs était plus élevé chez les 45 - 49 ans : 39,9 % vs 31,6 % (aRR = 1,23 ; IC95 % = [1,08 ; 1,40]).
Les auteurs concluent que les taux similaires de réalisation du TIF et de résultats positifs entre les personnes âgées de 45 à 49 ans et celles âgées de 50 ans sont un argument pour justifier de débuter le dépistage dès 45 ans. Cependant, étant donné le faible nombre de cancers trouvés dans l’étude et l’augmentation non négligeable des faux- positifs, les résultats méritent d’être confirmés par une cohorte plus importante.
Grancher A, Khiari A, Di Fiore F. Dépistage du cancer colorectal : quelles modalités en 2023 ? Rev Prat Med Gen 2023;37(1078);269-71.