L’incidence du diabète de type 1 (DT1) est en augmentation. Sur la période 2015 - 2017, le taux d’incidence chez les moins de 15 ans était d’environ 20/100 000 par an selon les dernières données de Santé publique France, avec une hausse de l’incidence d’environ 4 % par an sur les dernières années.
Aujourd’hui, la moitié des diagnostics de DT1 chez l’enfant font suite à une acidocétose inaugurale. Or cette dernière est associée à une surmortalité par rapport à la population générale, à un retentissement neurocognitif à court et moyen terme et à un risque plus élevé de déséquilibre glycémique et de complications à long terme.
Mais le stade clinique de la maladie (stade 3 caractérisé par une insulinopénie profonde et une hyperglycémie à jeun et postprandiale) est précédé de stades asymptomatiques débutant des mois ou des années auparavant. Ces derniers sont caractérisés par une auto-immunité anti-îlot (stade 1), définie par la présence d’auto-anticorps témoignant d’un processus actif de destruction des cellules bêta, associée, au stade 2, à des altérations biologiques de l’insulinosécrétion. Il est donc possible de détecter l’auto-immunité avant l’apparition des symptômes, et de dépister ainsi la présence d’un DT1 préclinique.
Pourquoi faut-il dépister le DT1 ?
Dans sa prise de position récemment publiée, la Société francophone du diabète (SFD) explique que dépister le DT1 aux stades précliniques permettrait :
- de prévenir l’acidocétose inaugurale, les hospitalisations prolongées et la dégradation rapide de l’insulinosécrétion résiduelle qui est responsable d’instabilité glycémique et d’un risque supérieur de complications à long terme ;
- de corriger les facteurs de risque modifiables (obésité, sédentarité) qui accélèrent la progression vers le stade 3 et raccourcissent les périodes de rémission ;
- d’instaurer une prise en charge précoce en dehors de l’urgence et d’anticiper les difficultés d’adaptation à la maladie.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une démarche de prévention au sens strict (il n’est pas possible aujourd’hui d’éviter la progression vers le stade clinique), elle aurait ainsi l’avantage de prévenir les nombreuses complications d’un diagnostic tardif.
De plus, l’existence de perspectives thérapeutiques capables de retarder cette progression offrent des arguments supplémentaires en faveur du dépistage. À ce jour, une immunothérapie (le teplizumab, autorisé en 2022 aux États-Unis) a montré dans des essais cliniques une capacité à retarder de 2 ans la progression vers le stade 3 ; d’autres molécules en cours d’étude ont montré un bénéfice sur la préservation de l’insulinosécrétion.
Pour ces raisons, les experts de la SFD plaident pour la mise en place d’un programme de dépistage du DT1 au niveau national en France. De tels programmes ou des expérimentations existent déjà dans d’autres pays, pour les personnes ayant un risque génétique voire en population générale (États-Unis, Allemagne, programmes de l’Union européenne...). En Italie, une loi votée en 2023 prévoit un dépistage du DT1 et de la maladie cœliaque dans la population générale âgée entre 1 et 17 ans.
Modalités pratiques et rôle du MG
Pour qui ?
La SFD propose d’effectuer ce dépistage dans la population ayant un risque génétique, concrètement les apparentés au premier degré de personnes ayant un DT1 (enfants, parents, frères et sœurs, demi-frères/sœurs) :
- une première fois entre 2 et 4 ans ;
- en cas de résultat négatif, une deuxième fois entre 6 et 8 ans puis entre 10 et 12 ans ;
- pour les plus de 12 ans, un seul dépistage est jugé suffisant (pas de répétition si premier résultat négatif).
Cette démarche est particulièrement justifiée chez l’enfant car le diagnostic précoce permet de préserver une insulinosécrétion résiduelle. Elle aurait aussi un intérêt à l’âge adulte, mais la limite supérieure d’âge n’est pas consensuelle.
Comment ?
Le dépistage devra comprendre le dosage d’au moins deux auto-anticorps parmi : IAA (anti-insuline), anti-GAD (anti-glutamic acid decarboxylase) et anti-IA- 2 (anti-tyrosine phosphatase). En pratique, le dosage des anti-GAD et des anti-IA- 2 peut être réalisé en première intention car plus faciles à mettre en place, même si en théorie les IAA et anti-GAD devraient être préférés (ce sont les plus souvent retrouvés à la séroconversion).
Un résultat positif doit être confirmé dans les 3 mois suivants par un dosage individuel de tous les quatre auto-anticorps : IAA, anti-GAD, anti-IA- 2 et anti-ZnT8, quel que soit le dosage choisi initialement.
La détection d’au moins deuxa uto-anticorps marque l’entrée dans la maladie, même si encore infraclinique.
La détection d’un seul auto-anticorps (pré-stade 1) sur deux prélèvements séparés impose une surveillance par dosage des quatre auto-anticorps, associé si possible au dosage d’une glycémie postprandiale et de l’HbA1c :
- chez les moins de 3 ans : semestriel pendant 3 ans, puis annuel pour 3 ans supplémentaires ; puis : en cas de persistance d’un auto-anticorps positif, suivi ultérieur tous les 2 ans jusqu’à 12 ans ; en cas de séroréversion, même calendrier de suivi que pour les cas négatifs cités ci-dessus ;
- chez les 3 ans ou plus : annuel pendant 3 ans ; en l’absence de progression, même calendrier de suivi que pour les cas négatifs ;
- adolescents et adultes : une fois tous les 3 ans, ou annuel si facteurs de risque (obésité, génotypes HLA de classe II de prédisposition, autres maladies auto-immunes). Pas de suivi ultérieur en l’absence de progression au bout de 6 ans.
Quel rôle pour le MG ?
Dans la campagne nationale de dépistage imaginée par la SFD, les médecins généralistes auraient une place centrale, notamment par :
- la prescription des dosages ;
- l’annonce du diagnostic et l’orientation vers le diabétologue ou centre expert en cas de résultat positif ;
- le suivi des personnes ayant un premier résultat négatif, ou un seul auto-anticorps (pré-stade 1) en communication éventuelle avec un centre expert.
En amont de toute prescription de dosage, l’appui d’un centre hospitalier expert régional serait indispensable afin de mieux répondre aux questions des personnes concernées et des médecins souhaitant prescrire le dépistage.
Enfin, si ce programme de dépistage était mis en place, la SFD juge fondamental de prévoir en amont une formation spécifique pour les médecins prescripteurs, ainsi que des campagnes d’information adaptées pour les patients, en lien étroit avec la médecine de ville.
« Un projet pilote doit être prochainement lancé, afin d’évaluer et faire évoluer les pratiques à plus grande échelle, peut-être même en les élargissant par la suite aux personnes non apparentées », affirme le Pr Roberto Mallone, diabétologue à l’hôpital Cochin et premier auteur de ces recommandations.