Comment est née l’association Les P’tits Doudous ?
L’histoire a commencé un banal jour de travail. Je suis infirmière anesthésiste et j’ai toujours voulu exercer en pédiatrie. Mais le revers de la médaille ne s’est pas fait attendre : chaque entrée d’un enfant au bloc opératoire se soldait par une crise de larmes due à l’anxiété de devoir affronter seul un tel acte, sans le réconfort des parents. En 2011, après quelques années à ce poste, à la fin d’une journée éreintante durant laquelle j’avais dû faire face à un petit garçon qui réclamait à chaudes larmes et de toutes ses forces son doudou pour s’endormir, l’idée avait germée : pourquoi ne pas offrir un doudou à tous les enfants, de tous les âges, devant subir une opération ? J’ai donc envoyé un mail, tel une bouteille à la mer, à un fabricant de peluches, Moulin Roty, en demandant s’il n’en avait pas quelques-unes à nous offrir. Emballée par cette proposition, l’entreprise m’a fait parvenir rapidement une cinquantaine de peluches. L’association Les P’tits Doudous était née !
Comment financez-vous désormais l’achat de ces doudous ?
J’ai toujours été sensibilisée au recyclage et je fais partie de la commission de tri des déchets de l’hôpital depuis de très nombreuses années. Lorsque je me suis rendue compte de tous les déchets que produisaient les blocs opératoires et l’hôpital en général, je me suis dit qu’il y avait matière à les exploiter – surtout à les recycler ! Deux fois par mois, ces déchets sont donc collectés et acheminés par les soignants eux-mêmes aux centres de tri, afin qu’ils soient décontaminés et revalorisés. Cette « petite mine d’or » permet de financer les doudous et jouets offerts aux enfants opérés.
De plus, Moulin Roty, notre partenaire privilégié, propose à ses clients de financer en partie des doudous à destination des enfants opérés. Enfin, il ne faut pas oublier tous les dons et mécènes qui financent également une grande partie de nos projets (v. encadré).
Outre les doudous, quel est le protocole mis en place pour réduire l’anxiété peropératoire des enfants ?
Au CHU de Rennes, hôpital dans lequel j’exerce, hormis le fait d’offrir un doudou à tous les enfants passant au bloc opératoire, plusieurs initiatives ont été mises en place pour diminuer leur anxiété :
- privilégier une longue consultation d’anesthésie pour évoquer les éventuelles inquiétudes de l’enfant et des parents, et répondre ainsi à toutes leurs interrogations ;
- permettre aux parents de rester avec l’enfant jusqu’au moment de l’entrée au bloc ;
- faire participer l’enfant à chaque étape, par exemple en le laissant manipuler le masque d’anesthésie ;
- initier tous les gestes par le jeu (décoration du masque d’anesthésie et jeu de la respiration).
En outre, partant du constat que le jeu peut aider à apaiser les angoisses dues à l’opération, nous avons eu l’idée de créer un jeu immersif sur tablette, « Le Héros, c’est toi ». Le protagoniste est personnalisé pour chaque enfant, qui peut donc s’identifier à lui ; le jeu permet d’explorer un bloc opératoire et tous ses éléments et d’interagir avec les avatars du chirurgien et de l’anesthésiste. Il est couplé à la réalité virtuelle, ce qui permet à l’enfant de mieux se projeter, prendre confiance et de s’engager déjà, à ce stade, vers la voie de la guérison. Ce dispositif a été déployé par 160 associations locales Les P’tits Doudous, réparties sur l’ensemble du territoire national – en métropole et outre-mer – , en Belgique et au Canada.
Quels en sont les effets sur les enfants, parents et soignants ?
Les chiffres sont parlants : la prévalence de l’anxiété peropératoire peut atteindre 60 %, selon les études.1 Toute intervention chirurgicale est impressionnante, inquiétante ; elle peut devenir une source d’anxiété pour n’importe qui, et d’autant plus pour les enfants. En effet, l’enfant est alors séparé de ses parents et se retrouve avec des personnes qu’il ne connaît pas et qui réalisent sur lui des gestes intrusifs et douloureux (piqûres, examens invasifs, etc.), parfois perçus comme des agressions. Dès 1996, Kain et son équipe montrent qu’une anxiété peropératoire de l’enfant peut entraîner des troubles du comportement en postopératoire, ayant un retentissement sur plusieurs mois, voire pouvant perdurer à l’âge adulte.2 Il nous incombait donc, à nous, soignants, d’améliorer le vécu des enfants entrant dans notre bloc opératoire !
Une bonne préparation de l’enfant contribue à une meilleure tolérance au stress psychologique que peut induire l’intervention. Elle facilite aussi l’induction anesthésique et contribue donc à réduire les troubles comportementaux postopératoires. La mise en place de ce protocole est associée à une moindre médication en postopératoire, puisque l’enfant est apaisé et donc moins douloureux.
Plus encore, ces protocoles inclusifs, intégrant enfants et parents, instaurent un véritable climat de confiance entre la famille et les soignants. En effet, lorsque le parent est apaisé, l’enfant l’est aussi ; il a été montré qu’un parent inquiet peut transmettre son anxiété à l’enfant, pourtant calme, ou aggraver celle de l’enfant déjà anxieux.3
Toutes ces actions sont aussi positives pour les soignants : les pleurs qui se transforment en rires participent à détendre l’atmosphère du bloc opératoire et apaisent les soignants, qui peuvent alors se concentrer davantage sur leurs missions. Cela améliore même leur qualité de vie au travail. Or, le bien-être des soignants contribue à mieux soigner les enfants : nous sommes tous gagnants !
Quand un enfant nous dit « Est-ce que je pourrai revenir ? », même si, bien sûr, nous ne leur souhaitons pas, nous savons que notre mission est pleinement accomplie !
Au-delà du contexte particulier de l’opération chirurgicale, quels conseils donneriez-vous aux soignants prenant en charge des enfants ?
Interagir avec un enfant, notamment sur le plan médical, est un exercice périlleux. En effet, l’approche ne peut être comparable à celle utilisée pour l’adulte.
Il convient de se mettre à sa hauteur, autant physiquement que verbalement, tout en l’intégrant au soin. Dans la mesure du possible, il faut :4
- encourager l’expression orale de l’enfant en posant des questions ciblées ;
- prendre le temps de l’écouter attentivement ;
- l’informer de ce qui se passe ou de ce qui va se passer ;
- ensuite, procéder au soin ou à l’examen médical en lui demandant son accord.
Il est courant que, lors d’un acte technique, le soignant pris par le temps se concentre sur les aspects opérationnels et néglige l’aspect relationnel. Or, parler à l’enfant améliore la relation pendant les soins et les examens médicaux.4
« Les P’tits doudous » ne sont pas de simples doudous !
« Des soignants engagés pour les enfants opérés » : telle est la devise de l’association. Les P’tits Doudous, c’est plus de 200 000 enfants accompagnés par an, plus de 160 associations locales Les P’tits Doudous et plus de 3 000 soignants engagés.
Les P’tits Doudous, c’est aussi le projet IMOCA : l’IMOCA est un voilier de 18,28 m de long né du réemploi de fibres de carbone déclassées issues de l’aéronautique, paré aux couleurs de l’association. Son skipper, Armel Tripon, également parrain de l’association, est fier d’avoir participé à ce travail titanesque de deux ans, qui a su réunir marins, techniciens, soignants et mécènes autour d’un projet commun, une vraie aventure humaine, donnant davantage de visibilité à l’association pour permettre d’accompagner encore plus d’enfants dans les hôpitaux. Prochaine étape pour IMOCA Les P’tits Doudous : la Transat Café L’Or au départ du Havre, en octobre 2025, avec à son bord Armel Tripon et Tanguy Leglatin.
Le modèle de l’association Les P’tits Doudous chemine, partout en France mais aussi en Belgique et au Canada. N’hésitez pas à adhérer, vous aussi, soignants exerçant à l’hôpital ou dans une clinique, pour transformer en rires les pleurs des enfants opérés !
2. Kain ZN, Mayes LC, O'Connor TZ, Cicchetti DV. Preoperative anxiety in children. Predictors and outcomes. Arch Pediatr Adolesc Med. 1996;150(12):1238-45.
3. Charana A, Tripsianis G, Matziou V, Vaos G, Iatrou C, Chloropoulou P. Preoperative Anxiety in Greek Children and Their Parents When Presenting for Routine Surgery. Anesthesiol Res Pract. 2018 Jul 2;2018:5135203.
4. Site Pediadol – La douleur de l’enfant. https://bit.ly/3GAl92e