Ce titre pourrait évidemment être complété de très nombreuses manières, mais, pour le thème que je vais aborder aujourd’hui, la fin de la phrase serait : « je me sens mal au travail » ; « je ne supporte plus les remarques de mon N + 1 » ; « je me cache aux toilettes pour pleurer » ; « je travaille tous les soirs et les week-ends et on m’en demande toujours plus »... La prise en charge pour laquelle je me suis le plus formée sur le tas concerne, vous l’aurez compris, la souffrance au travail.

La fréquence et les situations sont forcément différentes selon les milieux d’exercice et les types de patientèle. Les cas auxquels nous sommes le plus souvent confrontés ne sont pas les mêmes selon que l’on exerce en zone rurale, – indu-strielle, ou dans une grande ville avec beaucoup de grandes entreprises alentour – ce qui est mon cas.

Dans notre cursus initial, nous ne sommes absolument pas formés à comprendre et gérer ces souffrances bien -particulières qui sont exclusivement en lien avec une situation toxique dans le milieu professionnel du patient (car, non, cela n’arrive pas parce que la personne est « fragile » ou « a des problèmes perso »…). Grâce à l’expérience et surtout à l’écoute attentive de nos patients -(prévoir quarante minutes et non vingt pour éviter un retard irrattrapable !), on identifie souvent les mêmes ressorts sur des patients ayant pourtant des emplois très différents, dans des entreprises variées.

Installation progressive et insidieuse d’une situation toxique (nouveau manager, changement de tâches, augmentation de la charge de travail, absence de valorisation de la quantité de travail et des efforts fournis…), le patient ne veut pas voir le problème, prend sur lui et en fait donc toujours plus pour pallier ce qui ne va pas. S’établissent alors un sentiment de dévalorisation et une perte de confiance en soi qui alimentent sentiments négatifs et anxiété. Le temps passé au travail étant majoritaire sur le temps personnel et familial, il n’y a plus de répit, et ce d’autant que -l’hyperconnexion actuelle et les canaux de communication qui se multiplient (boîte mail, boucles WhatsApp, messageries Teams ou Slack) ne permettent plus aucune soupape.

Quand le patient vient enfin consulter -(souvent, à l’initiative d’un proche), le -profil de personnalité (syndrome du « bon petit soldat » ou du « bon élève ») rend l’arrêt de travail quasi inacceptable et engendre un fort sentiment de culpabilité. De notre côté, il s’agit d’expliquer, rassurer, mettre en lumière tout ce qui s’est joué -durant des mois avant d’en arriver là. On devient incollable sur les rouages des entreprises privées : N + 1, N + 2, RRH, CSE et compagnie…

Il faut savoir prescrire l’arrêt : durée suffisamment longue, rendez-vous de contrôle systématique (en général, le -patient est persuadé qu’il va reprendre rapidement), orientation vers un psychologue, gestion des médicaments parfois nécessaires pour sortir du cercle vicieux de l’anxiété.

Quand, après quelques mois, le patient semble être sur de bons rails, qu’il a compris l’importance de ne pas reprendre trop vite pour solidifier la guérison (et souvent de changer de poste ou d’entreprise), vient le fameux contrôle par la CPAM. Cela se passe souvent bien. Mais, parfois, l’entretien s’apparente à un interrogatoire brutal ou à une négation de la situation : « Vous n’avez pas de traitement antidépresseur ? », « Vous n’avez pas vu de psychiatre ? », « Il faut travailler, -madame ! » Là aussi, l’expérience nous apprend à -prévenir le patient, à rédiger un courrier détaillé pour apprivoiser au mieux le médecin--conseil (que l’on ne peut, bien sûr, jamais joindre directement… sinon ce serait trop simple !).

On découvre aussi le rôle du médecin du travail, notamment lorsque la reprise se fait par la prescription d’un temps partiel thérapeutique. Qui choisit le pourcentage de temps travaillé ? Faut-il conseiller des demi-journées de travail ou alterner jours travaillés et jours d’arrêt ? Je me dis souvent que le temps passé à apprendre les classifications TNM et les critères diagnostiques du lupus a été bien mal employé pour former les futurs généralistes…

Et pourtant, finalement, se former par l’écoute des patients (car sur ce sujet, ce sont eux qui m’ont tout appris), n’est-ce pas le plus beau des DPC* ?  

* Développement professionnel continu