Au cabinet du médecin généraliste, plusieurs situations peuvent se présenter concernant le don de rein du vivant :
- un patient est atteint d’une insuffisance rénale évolutive pour laquelle un traitement de suppléance est – ou va être – nécessaire ;
- un patient a un proche pour lequel une greffe rénale est envisagée et il pourrait être candidat à un don d’organe ;
- un patient a réalisé un don de rein.
Cet article propose d’aider les praticiens à délivrer des informations sur le don de rein du vivant – les donneurs décédés ne sont pas évoqués ici –, identifier les candidats au don, connaître leur parcours, les risques liés à un don et la prise en charge médicale avant mais aussi après le don.
Qui peut donner un rein de son vivant en France ?
Si près de 1 Français sur 10 est atteint d’une maladie rénale, la prévalence de l’insuffisance rénale terminale est de l’ordre de 1 pour 1 000. La greffe rénale à partir d’un donneur décédé et, au mieux, celle à partir d’un donneur vivant, lorsque cela est possible, sont les meilleures options thérapeutiques.
Chaque année en France, près de 600 greffes rénales issues de donneurs vivants sont réalisées ; en 2024, le nombre de 10 000 donneurs vivants a été dépassé.
Critères d’éligibilité
D’après la loi de bioéthique de 1994 (révisée en 2011, 2021 et 2024), seule une personne ayant un proche atteint d’insuffisance rénale terminale peut donner un rein. Cela signifie que le don altruiste (donneur vivant anonyme ou bon samaritain) n’est pas autorisé en France. Les personnes doivent être majeures et responsables. Le cercle des donneurs vivants autorisé par la loi de bioéthique comporte :
- la fratrie, les parents ou le conjoint d’un parent, les enfants, les grands-parents ;
- les conjoints ;
- les oncles ou tantes, les cousins germains ;
- toute personne apportant la preuve d’une vie commune ou d’un lien affectif étroit et stable (amitié) depuis au moins deux ans avec le receveur.
Compatibilité et dons croisés
Pour être éligible au don de rein, le donneur doit bénéficier d’un bilan approfondi, pour éviter tout risque de transmission infectieuse ou néoplasique au receveur mais aussi afin d’évaluer le risque anesthésique et chirurgical, de s’assurer de la possibilité anatomique du don et de limiter le risque rénal et cardiovasculaire à long terme pour le donneur. Enfin, l’évaluation psychologique et sociale est indispensable.
Les greffes issues de donneurs vivants « immunologiquement compatibles dans le cadre des groupes sanguins et HLA » apportent les meilleurs résultats. En cas d’incompatibilité de groupe sanguin ou tissulaire (typage HLA), certaines greffes peuvent néanmoins être réalisées par des techniques visant à « désensibiliser » le receveur, réduisant le taux d’anticorps à un niveau très faible tout en associant des molécules immunosuppressives pour limiter la production des anticorps.
L’alternative thérapeutique recommandée consiste à proposer une greffe en « don croisé » entre plusieurs paires donneur-receveur incompatibles : par exemple, M. X veut donner son rein à Mme X mais ils ne sont pas compatibles, cela est donc impossible ; M. Y veut donner son rein à Mme Y mais eux non plus ne sont pas compatibles ; en revanche, M. X est compatible avec Mme Y, et M. Y est compatible avec Mme X. Si ces couples acceptent le principe d’un échange de greffon, on peut réaliser un don croisé.
L’Agence de la biomédecine a la charge d’organiser ces dons croisés, qui permettent « d’échanger de manière anonyme » des greffons en don du vivant « compatibles ». Cette technique comporte moins de risques pour les receveurs que la désensibilisation. Toutes les paires impliquées dans un même don croisé sont opérées dans les vingt-quatre heures, selon la loi de bioéthique. Le donneur et le receveur doivent être informés de toutes les options thérapeutiques, pour disposer d’une aide à la décision et faire un choix éclairé. Les greffes « en don croisé » restent rares mais devraient se développer pour faciliter l’accès à une greffe en don du vivant « compatible ».
Protection légale du donneur et du receveur
Il existe deux obligations légales pour le donneur.
D’abord, il doit être auditionné par un comité d’experts, externe à l’équipe du prélèvement et de la greffe, constitué de cinq professionnels indépendants. Celui-ci a pour mission de s’assurer que le don s’inscrit dans le cadre éthique fixé par la loi : le consentement au don doit être libre et éclairé ; le consentement est révocable à tout moment ; le don doit être gratuit. Aucune pression ne doit s’exercer sur sa personne ; sa décision doit être prise après avoir reçu et compris les informations. Une neutralité financière doit lui être assurée, dans le sens où les frais engagés doivent lui être remboursés.
Ensuite, l’expression de son consentement doit se faire devant le président du tribunal judiciaire, qui s’assure de son identité et de sa relation avec le receveur.
Un parcours long en plusieurs étapes
Le parcours d’un don comporte six étapes schématisées sur la figure. La durée du processus d’évaluation est théoriquement de trois à six mois, mais, en pratique, elle est souvent allongée du fait des délais de rendez-vous et selon les situations particulières.
Informer précocement
L’information est une étape clé. Dans le parcours de suivi d’un patient atteint d’une maladie rénale chronique évolutive de stade IV (débit de filtration glomérulaire [DFG] inférieur à 30 mL/min/1,73m2), l’annonce des différents traitements de suppléance (greffe et dialyse) doit être effectuée et partagée avec les proches. La sensibilisation en amont permet de mûrir un projet de don et de l’anticiper. Il peut ainsi être envisagé au moment opportun – soit douze à dix-huit mois avant une orientation en dialyse ou lorsque le DFG estimé selon l’équation CKD-EPI (Chronic Kidney Disease-Epidemiology Collaboration) est inférieur à 20 mL/min/1,73m2. Cette anticipation a vocation à éviter la création d’un abord de dialyse, la greffe à partir d’un don du vivant est alors préemptive, c’est-à-dire effectuée avant toute dialyse, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour le malade et son état cardiovasculaire.
Démarches pour le donneur
Il revient au candidat au don de contacter l’équipe de transplantation prenant en charge le receveur. Selon le profil du candidat et son lieu de résidence, ainsi que selon le profil du receveur et l’organisation des services, le bilan porte en priorité sur la recherche de la compatibilité immunologique et/ou sur l’évaluation de la fonction rénale. En cas d’antécédent médical singulier, l’avis du médecin référent est requis au préalable.Le dépistage néoplasique repose sur celui recommandé pour la population générale en France, mais après accords d’experts ; il est élargi ou réalisé plus précocement pour un candidat au don par rapport à la population générale (par exemple, le dépistage d’un cancer du sein est proposé dès l’âge de 40 ans après avis de la commission de sénologie du Collège national des gynécologues et obstétriciens français). Une grande partie du bilan pré-don peut être réalisée en ville, proche du domicile du donneur.
Nouvelles recommandations précisant le parcours
De nouvelles recommandations d’aide à la pratique clinique pour le don de rein du vivant viennent d’être diffusées1 et précisent le parcours recommandé.
Une évaluation préliminaire est prescrite en médecine de ville (inscrire sur l’ordonnance « Bilan en vue d’un don de rein ») :
- ionogramme sanguin, calcémie, phosphatémie, uricémie, bicarbonates, protidémie ;
- glycémie (à jeun), HbA1c ;
- hémogramme, taux de prothrombine (TP), temps de céphaline activée (TCA), fibrinogène, protéine C réactive (CRP) ;
- créatininémie et DFG calculé par la formule CKD-EPI ou EKFC (European Kidney Function Consortium) ;
- rapport albuminurie/créatininurie, sédiment urinaire ;
- bilan hépatique (ASAT, ALAT, gamma-GT, phosphatases alcalines, bilirubinémie) ;
- groupage ABO, rhésus ;
- échographie rénale et pelvienne.
Une consultation de néphrologie-transplantation rénale est organisée avec une infirmière de coordination. La compatibilité immunologique donneur-receveur est évaluée.
Le bilan rénal est réalisé, avec :
- mesure du DFG par une technique de référence (iohexol ou isotopique au 99mTc-DTPA) ;
- rapport albuminurie/créatininurie, sédiment urinaire ;
- angioscanner rénal ;
Un bilan cardiovasculaire est effectué en fonction des facteurs de risque.
Un bilan métabolique avec évaluation du risque diabétique est prescrit.
Le dépistage oncologique comporte les examens suivants :
- scanner abdomino-pelvien avec injection prévu pour le bilan morphologique rénal ;
- scanner thoracique à faible dose ;
- consultation ORL, stomatologique, selon le tabagisme ;
- consultation de dermatologie recommandée et obligatoire si sujet à haut risque ;
- consultation d’urologie pour les hommes ;
- frottis selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et mammographie chez la femme de plus de 40 ans ;
- dépistage d’un cancer colorectal selon les recommandations de la HAS.
Les maladies infectieuses transmissibles sont recherchées.
Une évaluation psychologique et sociale est réalisée.
Une consultation gériatrique est organisée si le donneur a plus de 70 ans.
Enfin, une consultation d’anesthésie et de chirurgie est requise.
Le résultat des examens doit être transmis au candidat et, en cas de découverte de maladie, une orientation thérapeutique doit être organisée. Un accompagnement psychologique est souhaitable tout au long du parcours et après don.
Décision finale
La décision d’éligibilité ou non est discutée en réunion multidisciplinaire médico-chirurgicale. Cette décision est transmise au candidat donneur avec toutes les explications et informations nécessaires par l’équipe en cas de non-éligibilité.
En cas d’éligibilité, une demande est faite auprès du secrétariat national des donneurs vivants de l’Agence de la biomédecine pour une audition du candidat par le comité donneur vivant et une saisine est adressée au tribunal judiciaire soit du lieu de l’intervention chirurgicale, soit de son lieu de résidence.
La décision d’autorisation de prélèvement rénal à l’issue du tribunal judiciaire est délivrée par le comité donneur vivant ; cette décision n’est jamais motivée. En cas de don d’un parent à un enfant, le comité donneur vivant ne peut pas s’y opposer.
Le don en pratique
Le donneur et le receveur sont hospitalisés en même temps. Le donneur bénéficie d’une néphrectomie par voie cœlioscopique, sauf cas particulier. La durée d’hospitalisation du donneur est habituellement de trois à cinq jours. Les activités de la vie quotidienne sont reprises dès le retour à domicile et l’exercice physique, tel que la marche, est encouragé. La reprise des activités sportives se fait dans un délai de six à huit semaines. Des soins infirmiers sont réalisés à domicile jusqu’à cicatrisation, et un arrêt de travail d’au moins quatre semaines est prescrit.
Des risques marginaux
Des risques chirurgicaux, médicaux, psychologiques et sociaux sont identifiés, mais l’incidence des complications reste suffisamment limitée. Par ailleurs, les études de qualité de vie sont suffisamment favorables pour encourager la pratique du don de rein du vivant.
Risques périopératoires
À court terme, le risque de complications sévères liées à la chirurgie de néphrectomie est faible, et les principales complications sont les douleurs postopératoires. Des symptômes anxieux ou dépressifs sont à rechercher. Une fatigue physique et émotionnelle peut être présente.
Risque rénal
Le risque rénal est observé à plus long terme. Le don affecte la fonction rénale, avec une perte de l’ordre de 30 % de la fonction initiale. Le risque d’insuffisance rénale chronique terminale pour les donneurs vivants de rein ne dépasse pas celui de la population générale ayant le même profil démographique mais est supérieur à celui d’une population sélectionnée « en bonne santé ». Ce risque est estimé à 0,3 % à quinze ans, avec des facteurs prédictifs identifiés.
Certains risques peuvent être dépistés par des tests génétiques ciblés.
Autres risques
Dans une étude menée sur le long terme (durant plus de quinze ans), il existe une faible augmentation de la mortalité de cause cardiovasculaire par rapport à une population sélectionnée « en bonne santé ». Pour les femmes en âge de procréer, une information doit être réalisée quant au risque de prééclampsie. Celui-ci est doublé en cas de grossesse post-don et s’établit entre 4 et 10 %, presque exclusivement lorsque l’âge est supérieur à 32 ans, sans sur-risque de mortalité fœto-maternelle ni prématurité ou hypotrophie natale. Le taux de césarienne n’est pas affecté après don.
Quelle surveillance après don ?
Un suivi coordonné à vie est à établir. La collaboration du médecin traitant est essentielle ; elle peut être réalisée avec un néphrologue de proximité, une infirmière en pratique avancée et le centre de greffe qui reste en charge du suivi. Celui-ci doit renseigner le registre national de suivi des donneurs vivants, rendu obligatoire par la loi de bioéthique.
Données cliniques, biologiques et thérapeutiques
Le suivi repose essentiellement sur le recueil annuel de simples données cliniques, biologiques et thérapeutiques :
- pression artérielle, poids, indice de masse corporelle ;
- créatininémie, rapport albuminurie/créatininurie, glycémie à jeun, bilan lipidique ;
- traitements en cours.
Le contrôle des facteurs de risque de la maladie rénale chronique et du risque cardiovasculaire doit être strict, notamment la cible tensionnelle, la prévention du diabète et d’une dyslipidémie. Le sevrage tabagique est fortement recommandé.
En cas d’albuminurie, il convient d’instaurer les traitements de néphroprotection tels que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou bloqueurs du récepteur de l’angiotensine II. Les inhibiteurs du SGLT2 devraient prendre leur place.
Une éducation thérapeutique serait bénéfique pour la lecture des examens biologiques, l’automesure tensionnelle, les notions de nutrition, etc.
Mesures de néphroprotection
Les mesures de néphroprotection consistent en l’éviction des médicaments et produits néphrotoxiques, en particulier la prise chronique d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et certains produits de contraste en radiologie, à limiter les excès d’apports protidiques… La prise de boissons hydriques abondantes est recommandée, de même que les mesures hygiénodiététiques et l’activité physique régulière.
Autres points de vigilance, à ne pas négliger
Il convient de pouvoir repérer un retentissement psychologique, des difficultés socioéconomiques, familiales ou professionnelles.
Les donneurs vivants devraient bénéficier d’un suivi vaccinal et d’un dépistage oncologique selon les recommandations de la HAS.
Les donneurs vivants devraient bénéficier d’un réseau d'accompagnement et d’aides selon leurs besoins (psychologue, assistant social, diététicien, activité physique adaptée, sevrage tabagique…).Une collaboration entre la HAS et l’Agence de la biomédecine est en cours pour produire une « Fiche mémo » sur le suivi des donneurs après un don de rein.
Que dire à vos patients ?
- Les avantages d’un don de rein sont nombreux pour le receveur, qui accède à une greffe rénale de très bonne qualité ; la greffe est programmée en dehors de l’urgence, dans un délai optimal, voire sans débuter la dialyse.
- Les risques pour le donneur sont maîtrisés. Les enquêtes nationales indiquent que 95 % des donneurs vivants conseilleraient le don et 98 % referaient le geste.
- Le bilan pré-don est long (de l’ordre de 6 mois) et rigoureux mais indispensable pour sécuriser les soins apportés à la fois au donneur et au receveur.
- Le donneur doit être suivi à vie : les mesures hygiénodiététiques à respecter sont la maîtrise du poids, la limitation de consommation de sel, l’activité physique et l’absence de tabagisme.