La pollution atmosphérique est l’une des principales expositions environnementales menaçant la santé humaine. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 7 millions de décès lui étaient attribuables en 2021.1 La pollution atmosphérique consiste en un mélange de multiples polluants, dont des particules en suspension (PM : particulate matter) et des gaz (dioxyde d’azote [NO2], monoxyde de carbone [CO], ozone [O3], benzène, dioxyde de soufre [SO2]...), provenant de multiples sources (trafic routier, chauffage, industrie, combustion de biomasse…). Les PM contiennent de nombreux composés parmi lesquels le carbone noir (ou carbone suie) et divers métaux dont des agents neurotoxiques bien connus (plomb, cadmium, mercure...). Les PM d’un diamètre inférieur ou égal à 2,5 µm (PM2,5) peuvent pénétrer au plus profond des poumons et entrer dans la circulation sanguine.
Une cartographie spatiale fine de la pollution atmosphérique a récemment été rendue possible en combinant des données de surveillance au sol, des observations par satellite et des modèles de dispersion avec des données sur l’utilisation des sols et le trafic. Cette cartographie à haute résolution de l’exposition à la pollution atmosphérique appliquée à de vastes études épidémiologiques a permis de caractériser le risque de maladies respiratoires (asthme,bronchopneumopathie chronique obstructive [BPCO], cancer du poumon) et cardiovasculaires. Ces associations apparaissent linéaires, même pour des expositions faibles, ce qui a amené l’OMS à diminuer les seuils recommandés en 2021, notamment pour les PM2,5 (de 10 à 5 µg/m3) et pour le NO2 (de 40à 10 µg/m3).1 Bien que les niveaux de pollution atmosphérique aient baissé dans les pays à haut revenu au cours des trente dernières années, la plupart des villes européennes dépassent ces seuils : en 2022, plus de 95 % des populations urbaines européennes étaient exposées à des niveaux excédant les recommandations de l’OMS pour les PM2,5 et 85 % pour le NO2.
Outre les effets bien connus de la pollution atmosphérique sur la santé cardiorespiratoire, des effets néfastes sur le système nerveux central ont été plus récemment mis en évidence.2 En effet, des études expérimentales et animales ont observé qu’après inhalation les polluants atmosphériques peuvent atteindre directement le cerveau par voie nasale ou par la circulation sanguine en traversant la barrière hémato-encéphalique, déclenchant une inflammation et un stress oxydatif dans les tissus cérébraux.2 Au cours de la dernière décennie, des études épidémiologiques ont mis en évidence des associations entre l’exposition à la pollution atmosphérique et une altération du développement neurocognitif chez les enfants, d’une part, et un risque accru de démence et d’accident vasculaire cérébral (AVC) chez les personnes âgées, d’autre part.3, 4
Les principales maladies oculaires (cataracte, glaucome et dégénérescence maculaire liée à l’âge [DMLA]) impliquent des mécanismes de stress oxydatif, d’inflammation et de neurodégénérescence similaires à ceux observés dans le vieillissement cérébral. Pour ces raisons, des recherches ont été menées depuis quelques années sur les associations potentielles entre l’exposition à la pollution atmosphérique au long cours et ces maladies.
Glaucome plus fréquent en présence d’une concentration de PM2,5 élevée
Le glaucome est une maladie neurodégénérative du nerf optique qui possède de nombreuses similitudes avec les maladies neurodégénératives cérébrales. Cette maladie est caractérisée par une perte progressive des cellules ganglionnaires et des fibres nerveuses de la rétine. Ces couches rétiniennes peuvent être quantifiées de manière très précise par tomographie à cohérence optique, un examen ophtalmologique couramment réalisé dans la pratique clinique pour suivre l’évolution du glaucome.
Chez plus de 110 000 participants de la UK Biobank au Royaume-Uni, les participants résidant dans des zones où la concentration en PM2,5 était plus élevée, déclaraient plus souvent un glaucome.5 De plus, dans un sous-échantillon, une concentration de PM2,5 plus élevée était associée à une épaisseur des cellules ganglionnaires rétiniennes plus faible.
Ces résultats concordent avec ceux de l’étude canadienne Canadian Longitudinal Study on Aging (CLSA) menée sur plus de 30 000 participants et montrant également une association significative entre exposition aux PM2,5 et diagnostic de glaucome déclaré par les participants.6
De même, dans une base de données médico-administrative taïwanaise, le diagnostic de glaucome était associé à une concentration plus élevée de PM2,5 au domicile des patients.7
Une association similaire a également été détectée dans une étude chinoise, avec diagnostic systématique de glaucome selon les critères internationaux.8
Enfin, un amincissement plus rapide des fibres nerveuses rétiniennes chez les participants plus exposés aux PM2,5 et au carbone suiea été rapporté dans la cohorte bordelaise longitudinale Alienor.9
L’exposition aux PM2,5 est associée à un risque élevé de DMLA
La DMLA est une maladie dégénérative du centre de la rétine (macula). Le stade avancé de la maladie, associé à d’importantes pertes de vision, est précédé par un stade précoce, généralement asymptomatique, pouvant être diagnostiqué par photographie de la rétine.
En 2019, une étude longitudinale menée à Taïwan, combinant les données de l’assurance maladie et de la base de données de surveillance de la qualité de l’air, a rapporté que les quartiles supérieurs d’exposition au NO2 et au CO étaient significativement associés à un risque deux fois plus élevé de DMLA incidente.10 Une deuxième analyse de la même base de données a identifié une association entre exposition plus élevée aux PM2,5 et risque de DMLA.11
Chez 115 000 participants de la UK Biobank, un risque accru de DMLA autodéclarée était associé à une exposition plus élevée aux PM2,5.12 Aucune association significative n’a été trouvée avec les autres polluants atmosphériques étudiés (PM10, PM2,5, NO2, NOx). De même, dans la cohorte canadienne CLSA, les personnes exposées plus fortement aux PM2,5 présentaient un plus fort risque de DMLA autodéclarée associée à une déficience visuelle.6 Dans l’étude sud-coréenne KHANES portant sur plus de 15 000 participants, les personnes exposées à des niveaux plus élevés de NO2 et de CO présentaient un risque plus élevé de DMLA précoce, diagnostiquée à partir de photographies rétiniennes.13
Enfin, dans une étude chinoise portant sur plus de 36 000 participants avec un diagnostic systématique de DMLA en imagerie multimodale, l’exposition aux PM2,5 était associée à un risque plus élevé de DMLA.14
Risque d’opération de la cataracte plus élevé en cas d’exposition à la pollution
La cataracte est une opacification du cristallin, lentille transparente qui focalise la lumière sur la rétine. Elle est due à une agrégation des protéines du cristallin, notamment par des mécanismes oxydatifs.
Parmi les 433 000 participants à la UK Biobank, le risque d’opération de la cataracte était significativement associé à des expositions plus élevées aux PM2,5, NO2 et NOx.15
Dans une étude médico-administrative portant sur 115 000 Sud-Coréens, le risque de cataracte incidente était plus élevé pour les niveaux élevés de PM10, NO2 et SO2.16
Enfin, dans l’étude canadienne CLSA, l’association de l’exposition aux PM2,5 avec la cataracte autodéclarée allait dans le même sens mais n’atteignait pas la signification statistique.6
Des efforts nécessaires pour diminuer l’exposition à la pollution
Au total, malgré des populations et des méthodologies différentes, les études épidémiologiques actuellement publiées montrent de manière très cohérente une augmentation du risque des principales maladies oculaires (glaucome, DMLA et cataracte) chez les personnes plus exposées à la pollution atmosphérique, notamment aux particules fines (PM2,5). D’autres études seraient souhaitables afin de conforter ces résultats, notamment des études longitudinales et comportant un diagnostic systématique des maladies oculaires selon les critères internationaux. En effet, la plupart des études actuellement publiées sont fondées sur l’autodéclaration des maladies par les participants ou sur des données médico-administratives. De plus, dans la plupart des études, la mesure des expositions repose sur une seule adresse résidentielle, n’apportant pas d’idée précise de la durée d’exposition, même si on sait que ces effets à long terme résultent d’une exposition chronique. De nouvelles études devraient comporter un recueil de l’historique résidentiel sur vingt à trente ans.
Ces associations ont été observées aussi bien dans des populations asiatiques, exposées à des niveaux élevés de pollution atmosphérique, que dans des populations européennes ou canadiennes, à niveaux d’exposition beaucoup plus faible. Ceci conforte la baisse des seuils recommandés par l’OMS en 2021. Des efforts supplémentaires apparaissent nécessaires en Europe afin de diminuer les expositions qui restent excessives dans la majorité des villes : par exemple, en favorisant les mobilités douces (vélo, marche), les transports en commun et les véhicules peu polluants.
2. Block ML, Calderon-Garciduenas L. Air pollution: Mechanisms of neuroinflammation and CNS disease. Trends Neurosci 2009;32:506-16.
3. Suades-Gonzalez E, Gascon M, Guxens M, et al. Air pollution and neuropsychological development: A review of the latest evidence. Endocrinology 2015;156:3473-82.
4. Mortamais M, Gutierrez LA, de Hoogh K, et al. Long-term exposure to ambient air pollution and risk of dementia: Results of the prospective Three-City Study. Environ Int 2021;148:106376.
5. Chua SYL, Khawaja AP, Morgan J, et al. The relationship between ambient atmospheric fine particulate matter (PM2.5) and glaucoma in a large community cohort. Invest Ophthalmol Vis Sci 2019;60(14):4915-23.
6. Grant A, Leung G, Aubin MJ, et al. Fine particulate matter and age-related eye disease: The Canadian longitudinal study on aging. Invest Ophthalmol Vis Sci 2021;62(10):7.
7. Sun HY, Luo CW, Chiang YW, et al. Association between PM2.5 exposure level and primary open-angle glaucoma in Taiwanese adults: A nested case-control study. Int J Environ Res Public Health 2021;18(4):1714.
8. Yang X, Yang Z, Liu Y, et al. The association between long-term exposure to ambient fine particulate matter and glaucoma: A nation-wide epidemiological study among Chinese adults. Int J Hyg Environ Health 2021;238:113858.
9. Gayraud L, Mortamais M, Schweitzer C, et al. Association of long-term exposure to ambient air pollution with retinal neurodegeneration: The prospective Alienor study. Environ Res 2023;232:116364.
10. Chang KH, Hsu PY, Lin CJ, et al. Traffic-related air pollutants increase the risk for age-related macular degeneration. J Investig Med 2019;67:1076-81.
11. Liang CL, Wang CM, Jung CR, et al. Fine particulate matter measured by satellites predicts the risk of age-related macular degeneration in a longitudinal cohort study. Environ Sci Pollut Res Int 2022;29(34):51942-50.
12. Chua SYL, Warwick A, Peto T, et al. Association of ambient air pollution with age-related macular degeneration and retinal thickness in UK Biobank. Br J Ophthalmol 2022;106(5):705-11.
13. Ju MJ, Kim J, Park SK, et al. Long-term exposure to ambient air pollutants and age-related macular degeneration in middle-aged and older adults. Environ Res 2022;204(Pt A):111953.
14. He J, Liu Y, Zhang A, et al. Joint effects of meteorological factors and PM(2.5) on age-related macular degeneration: A national cross-sectional study in China. Environ Health Prev Med 2023;28:3.
15. Chua SYL, Khawaja AP, Desai P, et al. The association of ambient air pollution with cataract surgery in UK Biobank participants: Prospective cohort study. Invest Ophthalmol Vis Sci 2021;62(15):7.
16. Shin J, Lee H, Kim H. Association between exposure to ambient air pollution and age-related cataract: A nationwide population-based retrospective cohort study. Int J Environ Res Public Health 2020;17(24):9231.