Chaque année, près de 70 millions de cas de traumatisme crânien sont dénombrés dans le monde, avec plus de 1 000 cas pour 100 000 habitants dans les pays occidentaux. Plus de 80 % des traumatismes crâniens sont légers (TCL), dont 6 à 9 % sont accompagnés de lésions intra­crâniennes (LIC). Ce sont ces LIC qu’il faut détecter et prendre en charge car leur mor­bidité en fait un véritable problème de santé publique.1 Hormis l’examen clinique, l’évaluation des patients ayant subi un TCL fait appel à l’imagerie cérébrale (scanner et plus récemment imagerie par résonance magnétique [IRM]), dont on connaît les inconvénients : irradiation, accessibilité limitée, coût... Pour suppléer à l’imagerie, différentes approches ont été proposées telles que la prise en compte d’éléments cliniques complémentaires, mais elles n’ont permis de diminuer que faiblement la prescription de scanners cérébraux.
Depuis dix ans, la biologie médicale évalue l’existence de LIC au décours d’un TCL.2 Le premier marqueur biologique sanguin, la protéine S100B, est apparu il y a maintenant plus de vingt ans. Cette protéine est sélectivement synthétisée et libérée par les astrocytes cérébraux, et retrouvée dans la circulation sanguine après passage de la barrière hémato­méningée. En l’absence de LIC, la concentration sanguine de la protéine S100B reste inchangée, avec une valeur prédictive négative et une sensibilité de 100 %. Le dosage de la protéine S100B a donc été inclus dans les arbres décisionnels de prise en charge des TCL, permettant ainsi de supprimer environ 30 % des scanners cérébraux dans cette indication.3 Certaines limites sont cependant apparues avec l’utilisation de plus en plus fréquente du biomarqueur : difficulté d’interprétation du résultat chez les patients non caucasiens (synthèse accrue par les mélanocytes), synthèse extracérébrale rendant difficile l’interprétation du résultat sanguin en cas de polyfractures extracrâniennes... Enfin, le prélèvement sanguin pour le dosage doit être réalisé dans les trois heures suivant le choc traumatique ; au-delà, la sensibilité de l’examen décroît rapidement, rendant le résultat ininterprétable.
Ces dix dernières années ont vu l’émergence et l’évaluation de deux nouveaux biomarqueurs : la protéine acide fibrillaire gliale (GFAP) et l’hydro­lase carboxyterminale de l’ubiquitine L1 (UCH-L1). Ces deux biomolécules, d’origine respective astrogliale et neuronale, forment un couple de biomarqueurs aussi sensible que la protéine S100B, sur une durée de douze heures après l’événement traumatique.4 Les différences de cinétique de libération des trois biomarqueurs par le tissu cérébral puis leur apparition dans la circulation systémique permettent donc aujourd’hui de disposer d’une information biologique sur l’existence de LIC après TCL grâce à un simple prélèvement sanguin.
La famille des marqueurs biologiques de lésion cérébrale aiguë va encore s’agrandir, avec, d’une part, des biomarqueurs de processus physiopathologiques non spécifiques tels que l’inflammation et, d’autre part, des biomarqueurs spécifiques d’origine neuronale.
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins de la lésion cérébrale aiguë et de la biologie médicale. Nous assistons à la fois à l’arrivée de la biologie dans l’évaluation diagnosti­que des LIC au décours d’un TCL et au développement de la famille des biomarqueurs potentiellement utilisables pour détecter, voire caractériser, ces LIC. Nul doute que l’avenir permettra de préciser le positionnement des biomarqueurs par rapport aux autres données cliniques et d’imagerie, mais aussi des biomarqueurs entre eux ou en association, afin d’utiliser le(s) plus pertinent(s) selon le contexte de prise en charge ou de suivi du TCL.
Références
1. Dewan MC, Rattani A, Gupta S, et al. Estimating the global incidence of traumatic brain injury. J Neurosurg 2019;130:1080-97.
2. Beaudeux JL. La protéine S100B, premier marqueur pour le diagnostic biologique du traumatisme crânien léger. Bull Acad Natl Med 2024;208:832-42.
3. Oris C, Kahouadji S, Bouvier D, et al. Blood biomarkers for the management of mild traumatic brain injury in clinical practice. Clin Chem 2024;70:1023-36.