La formation des étudiants en médecine connaît actuellement un grand chamboulement. Après la publication de témoignages de violences qu’ils ou elles ont subies au cours de leurs études, après les alertes sur leur mauvaise santé mentale, après un rapport commandé par les ministres sur la qualité de vie dans les études de santé, et à l’orée de bouleversements prochains dans les maquettes de formation, repenser la formation médicale est devenu incontournable. Les enseignants, doyens, organisations étudiantes s’attellent à faire des propositions pour une meilleure formation, en diversifiant le profil des étudiants admis en médecine, en personnalisant les parcours, en tenant compte des transformations plus globales du champ de la santé. De quelle sorte de professionnels de santé aurons-nous besoin demain ? À quoi faut-il les préparer ? À quelles compétences faut-il les former, et de quelles façons ? Ces questions passionnent dans un cercle qui va au-delà de la faculté. Le sujet est porté sur grand écran (à travers des séries ou des longs métrages comme ceux de Thomas Lilti ou Nicolas Philibert, par exemple) ainsi que sur les réseaux sociaux. Et de plus en plus souvent les patients s’invitent dans ce débat et proposent, en tant que patients experts ou patients formateurs, de s’investir directement dans la formation des futurs professionnels.

L’enjeu fondamental du soignant…

Mais il y a deux problèmes. D’une part, même en chantier, la formation médicale semble rester dure, exigeante, maltraitante même. D’autre part, on regrette souvent un manque de formation concernant l’accompagnement, l’accueil, la communication, la psychologie, etc. Où se trouve la bientraitance dans la formation, si elle n’est ni dans les méthodes ni dans les contenus ?
Tout le monde s’accorde à penser aujourd’hui que transmettre aux futurs médecins des connaissances ne suffit pas, et qu’il faut leur enseigner aussi des compétences. La formation médicale est faite pour doter les futurs médecins des compétences permettant de bien soigner. De ce point de vue, la bientraitance pourrait bien n’être pas seulement un thème à la mode, ou le contraire de la maltraitance, mais bien l’enjeu fondamental du travail soignant. La maladie, comme mise à l’épreuve, révèle la vulnérabilité dans nos vies : elle est un appel au « prendre soin », à la fois cure et care. Dans la rencontre soignant-soigné, ces derniers ne demandent alors pas seulement à être traités, mais à être bien traités, c’est-à-dire aussi accueillis, écoutés, entendus. La bientraitance serait donc une façon de renouer avec l’humanisme qui est au fondement de la médecine. Elle désignerait, sous un néologisme, cette bienveillante indulgence (philanthropos) qui fait partie, depuis Hippocrate, du bagage des médecins.

… mais pas seulement

Mais cette conception est caduque. La bienveillance ne semble être ni le meilleur ni le repère idéal pour penser la relation de soin aujourd’hui. Pour le dire rapidement, les maladies chroniques demandent une prise en charge coordonnée et distribuée. Le soin se réalise dans l’adaptation continuelle aux transformations des problèmes, des situations et des personnes elles-mêmes. Être bien soigné, ce n’est plus simplement être bien traité au cours de la consultation, c’est pouvoir bénéficier d’un parcours de soin cohérent. Ce n’est pas simplement être traité poliment ou avec égards par un soignant, c’est pouvoir faire ses propres choix, c’est être accompagné au besoin, c’est d’avoir la possibilité de participer, à sa façon, à ses soins.
Une telle médecine ne s’enseigne pas exclusivement à l’hôpital. L’enseignement fait appel aussi à d’autres acteurs de santé, du social et à toute la société civile. Ces changements qui affectent la façon de soigner et d’accompagner les patients ont donc des répercussions directes sur ce qui se passe à l’université. Depuis plusieurs années se développent de multiples initiatives pédagogiques pour appren-dre à prendre du recul à la fois sur soi-même, sur les rôles médicaux, sur les représentations sociales de la santé et de la maladie, etc. À travers les enseignements de sciences humaines et sociales et leur portée critique, à travers aussi la simulation relationnelle (jeux de rôles, patients simulés, ateliers théâtre participatifs, etc.), les étudiants en médecine trouvent des ressources pour se questionner sur leurs postures, leurs ressources, leurs peurs.

Changer de culture

Reste cependant ce fameux « curriculum caché ». Une faculté de médecine fonctionne comme une institution totale, qui ne se contente pas de transmettre ni même de développer des compétences, mais qui forge des caractères, qui délimite le domaine des personnalités possibles. Sans que ce soit forcément explicité, on y apprend qu’il faut savoir endurer, qu’il faut accepter d’en baver, que c’est en quelque sorte le prix à payer pour bénéficier, ensuite, d’un prestige social incomparable et d’un niveau de salaire auquel seule une toute petite minorité de la population peut prétendre. D’où cette tendance au « bizutage intergénérationnel » et cette « culture du mépris » désormais dénoncées, y compris en interne. Dans ce contexte, les innovations en facultés de médecine ne sont pas là pour mettre des pansements et soulager. Elles doivent appuyer là où ça fait mal en révélant les situations problématiques et en comprenant leurs ressorts individuels et collectifs. Il ne s’agit alors pas d’enseigner la bientraitance, mais de précipiter un changement de culture. Et la question n’est finalement peut-être pas tant de savoir comment il faut traiter les étudiants – du mieux possible ! –, mais qui nous souhaiterions voir devenir soignants. 

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