L’épilepsie, maladie neuropsychiatrique complexe, est caractérisée par des crises épileptiques résultant de l’hyperactivité de neurones cérébraux.1 C’est une pathologie cérébrale non uniquement caractérisée par une prédisposition durable à générer des crises mais aussi par ses conséquences cognitives, comportementales, psychologiques et sociales. En effet, elle est associée à un risque accru de comorbidités psychiatriques : au moins un tiers des patients développent un trouble psychiatrique au cours de leur vie. Ce phénomène s’explique par des facteurs biologiques et psychosociaux, augmentant la probabilité de troubles psychiatriques chez ces patients par rapport à la population générale. Les patients avec des troubles psychiatriques ont aussi plus de risque de développer une épilepsie. La bidirectionnalité des inter­actions entre épilepsie et troubles psychiatriques révèle un substrat neurobiologique commun, rendant le diag­nostic clinique plus complexe2 et ayant justifié la création de l’acronyme « épi-psy » pour désigner ce champ d’intrication.3 Le diagnostic et la gestion de l’épilepsie requièrent une approche adaptée pour distinguer les manifestations péri-ictales, postictales et interictales, et identifier des syndromes cliniques spécifiques (fig. 1). Cette nécessité souligne l’importance d’une collaboration interdisciplinaire entre épileptologues, psychiatres et psychologues pour optimiser le traitement, en tenant compte des interactions médicamenteuses entre anti­épileptiques et traitements psychiatriques,4 soulignant la complexité de leur gestion et la nécessité d’approches thérapeutiques intégrées.5

Troubles psychotiques dans l’épilepsie : des manifestations variées

Les troubles psychotiques dans l’épilepsie représentent une dimension clinique complexe, caractérisée par une variété de manifestations qui dépendent de leur temporalité par rapport aux crises épileptiques.6 Les psychoses postictales émergent après un intervalle sans crises, typiquement entre douze et cent vingt heures, et se résolvent généralement en moins de deux semaines.7 Elles se caractérisent par des symptômes délirants, hallucinatoires et affectifs marqués et une récupération complète entre les épisodes.8 En contraste, les psychoses interictales se développent indépendamment du cycle des crises et peuvent se manifester par une symptomatologie similaire à celle de la schizophrénie, avec des délires persistants et des hallucinations.9
L’approche diagnostique des psychoses épileptiques doit tenir compte de la spécificité de ces troubles par rapport aux psychoses primaires. Le DSM-5 catégorise les psychoses épileptiques comme des troubles psychotiques dus à une autre condition médicale, nécessitant une évaluation précise des symptômes et de leur relation avec l’activité épileptique.10 Cette distinction est essentielle pour orienter la prise en charge thérapeutique, qui peut inclure l’ajustement des traitements antiépileptiques et l’utilisation prudente de neuroleptiques pour éviter l’exacerbation des crises.
Les psychoses épileptiques soulignent l’importance d’une évaluation neuropsychiatrique intégrée dans la prise en charge de l’épilepsie, mettant en lumière la complexité des interactions entre l’activité convulsive, les interventions pharmacologiques et la santé mentale. Les recherches actuelles continuent d’explorer les mécanismes sous-jacents à ces troubles, visant à améliorer les stratégies thérapeutiques pour cette population de patients spécifique.

Troubles dépressifs dans l’épilepsie : un risque de suicide élevé

La dépression représente une comorbidité psychiatrique prévalente chez les patients épileptiques, qui influence significativement leur qualité de vie et le contrôle des crises. La prévalence de la dépression au cours de la vie chez les personnes épileptiques est estimée à environ 23,1 %, avec un risque accru de suicide par rapport à la population générale.11 Cette prévalence s’accentue dans le cas de l’épilepsie réfractaire, dépassant 50 %. Le risque relatif de suicide chez les personnes épileptiques, en particulier dans les six mois suivant un diagnostic en présence d’un trouble mental comorbide, est significativement élevé.12 L’existence d’une dépression est identifiée comme le seul facteur prédictif d’une détérioration de la qualité de vie chez ces patients.
Les relations bidirectionnelles entre épilepsie et dépression soulignent l’importance d’une évaluation et d’une prise en charge intégrée. Les symptômes dépressifs, souvent exacerbés dans la période postictale, peuvent être difficiles à distinguer des effets indésirables des traitements antiépileptiques, rendant le diag­nostic et le traitement de la dépression chez les patients épileptiques particulièrement complexes.2 Le DSM-5 propose des critères diagnostiques standardisés pour les troubles dépressifs, mais la spécificité des symptômes liés à l’épilepsie nécessite souvent une approche adaptée.
La prise en charge thérapeutique de la dépression dans l’épilepsie repose sur l’utilisation d’antidépresseurs, principalement les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), en surveillant attentivement les interactions médicamenteuses avec les antiépileptiques. Une évaluation clinique systématique, associée à l’utilisation d’outils de dépistage validés tels que le NDDI-E (Neurological Disorders Depression Inventory for Epilepsy), est cruciale pour un diagnostic précis et une prise en charge efficace.13 Cette approche multidisciplinaire, soulignant la collaboration entre neurologues et psychiatres, est essentielle pour optimiser le bien-être des patients épileptiques souffrant de ­dépression et le contrôle des crises.

Troubles anxieux dans l’épilepsie, impact marqué sur la qualité de vie

Les troubles anxieux dans l’épilepsie constituent une problématique clinique majeure, affectant 20 à 27 % des patients épileptiques et ayant un impact considérable sur leur qualité de vie.14 La prévalence élevée de l’anxiété chez ces patients suggère non seulement une relation étroite entre les circuits neuronaux impliqués dans l’épilepsie et ceux régulant l’anxiété mais aussi des implications importantes pour le diagnostic et la prise en charge thérapeutique.
Les troubles anxieux chez les patients épileptiques peuvent être classés en troubles péri-ictaux, interictaux et ceux induits par les traitements antiépileptiques,15 chacun présentant des caractéristiques et des défis de gestion uniques.
Les troubles péri-ictaux incluent l’anxiété pré-­ictale, ictale et postictale, reflétant des manifestations anxieuses qui surviennent avant, pendant ou après les crises épileptiques. Ces troubles sont directement liés à l’activité épileptique et peuvent varier considérablement en sévérité et en durée.15 L’anxiété interictale, quant à elle, survient indépendamment des crises et peut se manifester par un tableau clinique similaire à celui des troubles anxieux reconnus dans le DSM-5, nécessitant souvent une approche diagnostique et thérapeutique complexe. Parmi ces troubles anxieux inter­ictaux, il faut particulièrement rechercher l’anxiété anticipatoire des crises d’épilepsie, qui se définit par une appréhension quotidienne d’avoir une nouvelle crise, associée à des conduites de restriction des activités.16,17
La prise en charge des troubles anxieux chez les patients épileptiques est particulièrement délicate et nécessite une évaluation minutieuse pour distinguer les différentes catégories de troubles anxieux et pour identifier les traitements les plus appropriés. Les interventions peuvent inclure l’optimisation du traitement antiépileptique, l’administration de psychotropes et l’engagement dans des psychothérapies adaptées. La reconnaissance et le traitement adéquats des troubles anxieux dans l’épilepsie sont essentiels pour améliorer la qualité de vie des patients et pour gérer efficacement l’épilepsie elle-même.
En somme, l’identification précise et la gestion appropriée des troubles anxieux dans l’épilepsie sont cruciales.13 Elles demandent une compréhension approfondie des interactions complexes entre l’épilepsie, l’anxiété et les effets indésirables potentiels des traitements. Une approche collaborative entre neurologues et psychiatres est recommandée pour assurer une prise en charge holistique des patients épileptiques souffrant de troubles anxieux.

Troubles liés à l’usage de substances dans l’épilepsie, faire face à l’addiction

Les troubles liés à l’usage de substances (principalement l’alcool, les benzodiazépines ou le cannabis) et l’épilepsie représentent une intersection complexe qui demande une attention particulière dans le cadre du diagnostic et de la prise en charge des patients épileptiques. Les troubles addictologiques sont quatre fois plus fréquents chez les personnes épileptiques que dans la population générale, soulignant l’importance d’un dépistage systématique des addictions chez ces patients.18 L’association entre l’addiction, particulièrement à l’alcool, et un risque accru de mortalité chez les patients épileptiques est bien documentée.19 La distinction entre abus et dépendance n’est plus faite dans le DSM-5, qui introduit le concept plus global de troubles liés à l’usage de substances. Ce trouble est caractérisé par une consommation problématique sur une période d’au moins douze mois, incluant un désir persistant pour la substance, une perte de contrôle des consommations et un retentissement significatif sur les activités quotidiennes.
La spécificité de l’addiction chez les patients épileptiques inclut des fluctuations des consommations en fonction de la survenue des crises, ainsi que des interactions pharmacocinétiques et pharmaco­dynamiques avec les antiépileptiques.20 Les risques de déclenchement de crises liées à l’usage de substances et l’augmentation du risque de mort subite en cas ­d’addiction à l’alcool ou aux benzodiazépines sont des éléments cruciaux à prendre en compte dans la prise en charge.19,20
La détection des troubles liés à l’usage de substances doit s’accompagner d’un dépistage des troubles anxieux,13 avec l’établissement d’une relation de confiance avec le patient pour surmonter le déni. L’évaluation motivationnelle et la prise d’un avis addictologique sont des étapes clés, tout comme l’élaboration d’un objectif de consommation, qui est essentiel pour définir une prise en charge adaptée. L’entretien motivationnel, le sevrage et la mise en place d’un traitement médicamenteux addictolytique sont des composantes importantes de la prise en charge des addictions chez les patients épileptiques.

Prise en charge des troubles psychiatriques au cours de l’épilepsie, une approche pluridisciplinaire

La prise en charge des comorbidités psychiatriques chez les patients épileptiques exige une approche multi­disciplinaire qui tient compte de la complexité des inter­actions entre l’épilepsie et les troubles psychiatriques.21 La démarche diagnostique est résumée en figure 2. L’optimisation du traitement antiépileptique est cruciale, non seulement pour contrôler les crises mais aussi pour minimiser les effets indésirables psychotropes susceptibles d’exacerber ou de déclencher des troubles psychiatriques.21 La collaboration étroite entre neurologues et psychiatres est recommandée pour une évaluation et une prise en charge intégrées,3 permettant de distinguer les manifestations psychiatriques liées à l’activité épileptique de celles qui relèvent de troubles psychiatriques primaires.
La prescription de psychotropes doit être effectuée avec prudence, en tenant compte des interactions ­potentielles avec les médicaments antiépileptiques et des risques de modification du seuil épileptogène. Les antidépresseurs, notamment les ISRS, sont souvent utilisés pour traiter la dépression et l’anxiété chez les patients épileptiques, en raison de leur profil de sécurité favorable.22 Les interventions psychothérapeutiques, comme la thérapie cognitivo-comportementale, jouent également un rôle important, offrant des stratégies de gestion du stress et d’amélioration de la qualité de vie sans les risques associés à la pharmacothérapie.
La prise en charge des troubles psychotiques peut nécessiter l’utilisation de neuroleptiques, avec une attention particulière portée à leur impact potentiel sur le contrôle des crises. La stratégie de traitement doit être personnalisée, en fonction de la sévérité des symptômes psychotiques et de leur relation temporelle avec les crises épileptiques.23 Dans tous les cas, une évaluation régulière et un ajustement du plan thérapeutique sont essentiels pour répondre aux besoins changeants des patients et pour minimiser les effets indésirables du traitement.

Contrôle des crises et stabilisation psychiatrique

La gestion des comorbidités psychiatriques chez les patients souffrant d’épilepsie représente un défi clinique majeur, qui nécessite une approche holistique et intégrée.24 La reconnaissance précoce et la prise en charge adéquate de ces troubles sont essentielles pour améliorer les résultats cliniques et la qualité de vie des patients. La collaboration entre spécialistes de l’épilepsie et professionnels de la santé mentale est cruciale pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies thérapeutiques efficaces, tenant compte à la fois du contrôle des crises et de la stabilisation de l’état psychiatrique.24 Une prise en charge réussie exige une compréhension approfondie de l’interdépendance complexe entre l’épilepsie et les troubles psychiatriques, ainsi qu’une attention particulière à la sécurité et à l’efficacité des interventions pharmacologiques et psychothérapeutiques.24 
Références
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Résumé

L’épilepsie n’est pas uniquement une pathologie cérébrale caractérisée par une prédisposition durable à générer des crises ; elle est aussi associée à des troubles cognitifs, comportementaux, psychologiques et sociaux. L’interaction entre pathologies psychiatriques et épilepsie est bidirectionnelle et complexe. Cette association est résumée dans le néologisme « épi-psy ». Les pathologies psychiatriques touchent au moins un tiers des patients épileptiques et jusqu’à 80 % en cas d’épilepsie pharmacorésistante. La démarche diagnostique doit permettre de distinguer les troubles péri-ictaux (en lien chronologique avec la crise : préictal, ictal ou postictal) et les troubles interictaux (sans lien chronologique avec les crises : iatrogènes, spécifiques à l’épilepsie ou non spécifiques). Les principaux troubles psychiatriques liés à l’épilepsie sont la psychose, la dépression, l’anxiété et l’usage de substances. Les répercussions sur la qualité de vie sont majeures. La stratégie thérapeutique est médicamenteuse et psychothérapeutique. La prescription d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) est possible et souhaitable en cas de troubles anxieux ou dépressifs ; il n’y a pas de contre-indication avec l’épilepsie. La collaboration entre médecin généraliste, épileptologue et psychiatre est précieuse dans ce champ de l’épi-psy.