Selon un récent rapport de l’Insee, les chiffres sur la mortalité entre 2020 et 2022 indiquaient que les hommes cadres vivent 5,3 ans de plus en moyenne que les ouvriers à partir de 35 ans ; cet écart est moins élevé chez les femmes mais reste édifiant : 3,4 ans.1 Plus saisissant encore, l’écart d’espérance de vie entre les diplômés de l’enseignement supérieur et ceux qui ne le sont pas est de 8 ans pour les hommes et 5,4 ans pour les femmes, à partir de 35 ans ! Et toujours plus préoccupant : cet écart s’est creusé par rapport aux données de 2009 - 2013.2 Comment interpréter ces colossales inégalités ? Quels sont les leviers pour les supprimer ?

Ces écarts s’expliquent d’abord par la nature de la profession exercée, le type de tâches effectuées et les conditions dans lesquelles elles sont réalisées : travail de nuit, posté, en horaires décalés ; pénibilité des conditions de travail ; risque majoré de survenue de maladie profession­nelle ou d’accident de travail (AT). Selon la CNAM, les troubles musculosquelet­tiques représentent toujours la grande majorité de maladies professionnelles, et les AT surviennent majoritairement au sein des professions de la santé, du nettoyage et du travail temporaire (29 % des AT en 2022), de l’alimentation (17 %), du transport (15 %) et du BTP (14 %). 

À cela s’ajoute le mode de vie qui diffère entre les catégories socioprofessionnelles : les ouvriers ont davantage de comportements à risque (tabagisme plus fréquent chez les ouvriers, obésité moins fréquente chez les cadres),1 leur recours au système de soins peut être retardé – donc dans un état plus grave. Et ce peut être l’appartenance à une certaine catégorie sociale qui engendre une mauvaise santé, empêchant ainsi la poursuite d’études, le maintien en emploi ou l’obtention de promotions pour des postes plus qualifiés, notamment en cas d’absentéisme répété. 

Face à ces constats, moults outils obligatoires ont été mis en place dans les entreprises durant les dix dernières années : document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) ; accords d’entreprises en faveur de la prévention ou plans d’action ; liste de traçabilité de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ; compte professionnel de prévention… Sont-ils pour autant efficaces ? Au vu des données exposées ci-dessus… il semblerait que non – ou pas encore ? 

Les mesures précitées ne sont applicables qu’avec du personnel en nombre suffisant. Il s’agirait donc de recruter massivement des professionnels de santé au travail. Mais d’autres solutions de prévention ne pourraient-elles pas être imaginées : actions générales d’éducation à la santé dès le plus jeune âge puis tout au long des études (professionnalisantes ou non), promotion de l’activité physique au sein même des entreprises, mesures de dépistage avec une politique d’« aller vers », âge de départ à la retraite ajusté aux risques professionnels… ? Et pourquoi ne pas être plus idéaliste encore en mettant en place un suivi spécifique pour les professions à risques par le ­médecin traitant, en collabo­ration avec le médecin du travail, comprenant des consultations dédiées (et suffisamment rémunérées) ?

Mais comment seraient financées ces actions coûteuses dont les résultats ne seraient ­visibles qu’à moyen ou long terme ? La Sécurité sociale ? Les entreprises elles-mêmes ? La solidarité nationale ? Pour une vraie politique d’égalité sociale de santé, il faut une volonté forte et sans doute… du courage !