Combien d’enfants sont maltraités aujourd’hui en France ?
La maltraitance infantile désigne toute violence physique, psychologique, sexuelle ou la négligence infligée à un enfant par un adulte ou par un autre enfant.En France, on estime que 14 % des enfants sont victimes de violences ou négligences graves...
Lorsque ces enfants en danger ou en risque de l’être sont repérés et signalés, ils peuvent être confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE). Aujourd’hui, près de 380 000 enfants sont pris en charge par l’ASE, dont la moitié sont placés en maison d’enfants à caractère social (MECS) ou en famille d’accueil. Ces enfants représentent 2 % de la génération des 0 - 18 ans.
Quelles sont les conséquences à long terme sur leur santé ?
Les études internationales mettent en évidence le fait que les enfants victimes de violences, lorsqu’ils ne sont pas pris en charge rapidement sur le plan de leur santé somatique et psychique, risquent de perdre vingt ans d’espérance de vie.
L’absence de soins somatiques entraînent des décès précoces à l’âge adulte du fait de la survenue plus fréquente de maladies cardiovasculaires (odds ratio [OR] 2,1), de cancers (OR 2,3), d’insuffisance respiratoire (OR 3,1), d’accidents vasculaires cérébraux (OR 2), de démences (OR 11,2), de diabète (OR 1,4) ou encore de tentatives de suicide (OR 37,5).
L’absence de prise en compte de la santé des enfants victimes de violences est également associée à des problèmes humains, sociaux et sociétaux majeurs, comme les troubles des apprentissages (OR 32,6), du développement et du comportement, la déscolarisation (OR 7,2), l’abandon des études secondaires, le chômage, la pauvreté, les situations de rue, de délinquance. C’est une source de répétition intergénérationnelle des violences subies.
Selon le rapport de la Haute Autorité de la santé, la prévalence des troubles psychiques dans la population concernée a pu être estimée à 49 %, soit près de quatre fois supérieure à celle observée en population générale.
Les enfants protégés sont ainsi concernés par des problématiques multiples : sociales, familiales, médicales, et relevant également parfois du handicap.
Les résultats de l’étude menée par le centre régional d’études d’actions et d’informations (CREAI) de Rhône-Alpes sur la santé des enfants accueillis en protection de l’enfance en 2012 montrent que 11 % des enfants placés en établissement sont en surpoids, 10 % souffrent de maigreur, 28 % ont une déficience visuelle, 18 % une déficience auditive, 10 % des troubles du langage, 6 % ont des problèmes de peau, 2 % des problèmes ostéoarticulaires, 40 % ont des troubles du sommeil, 15 % des problèmes de santé bucco-dentaire.
Par ailleurs, lorsqu’ils ne sont pas pris en charge sur le plan de leur santé somatique et psychique, ces enfants rencontrent plus tard des difficultés d’insertion socio-professionnelle puisqu’il est établi qu’ils ont 31 fois plus de risque d’être orientés en éducation spécialisée médico-sociale, que 15,8 % de ces jeunes ne sont plus scolarisés à 16 ans et que 70 % des jeunes de l’ASE n’ont aucun diplôme. De plus, près de 45 % des jeunes sans-abri de 18 à 25 ans sont issus de la protection de l’enfance. Les conséquences sur la santé des enfants à l’âge adulte entraînent donc également de profondes répercussions au niveau sociétal.
Comment l’association IM’PACTES les aide-t-elle ?
Pour accompagner ces enfants, adolescents et jeunes majeurs confiés à l’ASE et leur permettre un meilleur avenir, l’association IM’PACTES a été créée afin de venir en soutien des professionnels de l’aide sociale à l’enfance mobilisés au quotidien. Son but est de promouvoir la santé mais aussi la scolarité, la culture et l’insertion professionnelle des enfants, adolescents et jeunes majeurs pris en charge par l’ASE (encadré).
En France, il existe un système d’affection de longue durée (ALD) encore trop peu connu pour les victimes de violences sexuelles, mais il n’en existe pas pour les enfants victimes de violences. Pourtant, il pourrait permettre une prise en charge de tous les soins de santé inhérents à leur situation, dont les soins psychiques.
Pour mieux prendre en charge la santé de ces enfants, adolescents et jeunes majeurs, nous sommes actuellement en train de développer le premier centre d’appui à l’enfance en France – pour le moment en Île-de-France, mais nous souhaitons déployer ce projet à l’échelle nationale. L’objectif est d’y évaluer et suivre la santé et le bon développement de tout enfant entrant dans le système de l’ASE (bilan initial, suivi, dépistage et prévention) dans le cadre d’un parcours de soins et d’un accompagnement personnalisés. À l’instar de ce qui se fait au Canada, en Allemagne ou en Californie, l’idée est d’assurer à ces enfants des soins médicaux et psychologiques avec une offre pluridisciplinaire, coordonnée et graduée, sur le temps long.
Nous proposerons également des ateliers thérapeutiques et pédagogiques de prévention secondaire : par exemple, pour améliorer l’estime et la confiance en soi, prévenir les conduites à risques et les troubles alimentaires, ou encore s’initier à l’art-thérapie…
À travers ce centre d’appui, l’une des missions d’IM’PACTES est de former les professionnels de santé exerçant en libéral, les personnels de l’éducation nationale et ceux au contact des enfants dans le milieu sportif ou associatif, aux spécificités de la prise en charge de ces enfants, et ainsi tisser un réseau de soins de ville sur lequel s’appuyer. Il est aussi nécessaire de former les travailleurs sociaux qui sont au contact des enfants à la gestion des crises, afin de limiter les hospitalisations et les passages aux urgences.
En somme, l’ambition du centre d’appui est d’être un véritable lieu ressource pour toutes les personnes qui prennent soin des enfants victimes de violences (proches, professionnels, institutions).
Au cabinet de médecine générale, comment améliorer le dépistage des maltraitances infantiles ?
Étant moi-même médecin, je me suis bien rendu compte que notre formation initiale n’était pas assez complète pour savoir bien dépister et prendre en charge les enfants victimes de maltraitance. Par ailleurs, si l’« aversion de voir » décrite par Krugman existe bel et bien et freine le repérage des enfants, elle n’est pas le seul facteur explicatif d’un trop faible taux de signalements provenant du corps médical : ainsi, certaines affaires récemment médiatisées démontrent que les médecins qui signalent ne sont pas toujours bien soutenus et protégés par l’Ordre des médecins. Par ailleurs, les difficultés de l’ASE sont telles actuellement qu’il peut exister une peur de signaler et d’aggraver finalement la situation de l’enfant. Or, bien que l’ASE ne soit pas sans failles – loin de là –, un placement peut leur sauver la vie.
Il est donc essentiel, en premier lieu, d’améliorer la formation de tout professionnel de santé au dépistage des maltraitances infantiles.
Bien qu’il soit impossible de résumer la démarche en quelques lignes, le médecin doit d’abord être attentif à la discordance éventuelle entre le motif de consultation et l’histoire de la maladie racontée par les parents ou les proches (par exemple, une chute de vélo alléguée ne colle pas avec une fracture spiroïde décelée à l’examen clinique…) mais aussi aux délais de consultation (une consultation pour une chute de vélo qui aurait eu lieu 15 jours ou 3 semaines auparavant doit interroger).
Outre les signes physiques (hématomes, fractures, brûlures…) mis en évidence par le déshabillage complet de l’enfant (figure), un changement subit de comportement, des signes psychologiques (anxiété, dépression, troubles du comportement…) et psychosomatiques (énurésie ou encoprésie secondaires, maux de ventre chroniques, troubles du sommeil…) peuvent être révélateurs de maltraitance ou de négligences, après avoir éliminé les diagnostics différentiels.
L’écoute active de l’enfant et de ses proches est essentielle pour mettre en évidence un contexte familial difficile et des facteurs de risque liés à l’enfant (grande prématurité, maladie chronique, par exemple) ou à ses parents (antécédents de violences subies, monoparentalité, antécédents de maladies mentales, consommation de substances, etc.)
Mais attention aux préjugés : la maltraitance n’est absolument pas propre aux milieux défavorisés ; elle touche toutes les catégories socioprofessionnelles !
Devant une suspicion de mauvais traitements sur enfant, pour confirmer le diagnostic et mettre en place un plan d’intervention approprié, il est important de ne pas rester seul et de s’appuyer sur un réseau interdisciplinaire comprenant les PMI, les CRIP, l’ASE, les unités hospitalières d’accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED) et les services des urgences de proximité.
La famille concernée peut être adressée aux urgences de l’hôpital le plus proche, tout en ayant préalablement prévenu le service d’une suspicion de maltraitance. En situation moins urgente, la famille peut être adressée à une UAPED, qui accueille les enfants et les adolescents pour une évaluation, à la demande de la famille ou d’un professionnel. Le médecin généraliste peut également recourir à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP)3 pour une demande d’avis ou de conseils.
Dans le cadre de la rédaction d’une information préoccupante, il est à noter que, au regard de la loi, sauf à accroître le risque pour l’enfant, il est toujours conseillé d’avertir les parents des inquiétudes et des démarches entreprises. Souvent, ce que les parents donnent à voir peut être assimilé à un appel au secours et il n’est pas rare qu’ils se disent soulagés que des professionnels interviennent.
IM’PACTES ne mise pas uniquement sur le soin !
Outre la promotion de la santé, l’association IM’PACTES vise à favoriser la scolarité, l’accès à la culture et l’insertion sociale des enfants pris en charge par l’ASE. L’association s’est entourée de nombreuses entreprises, de structures de la protection de l’enfance et de mécènes, le tout soutenu par des fondations, afin de proposer plusieurs programmes adaptés à toutes les tranches d’âge :
- le programme Découverte (0 - 12 ans) permet un accompagnement éducatif, l’expression artistique, une aide aux devoirs, un éveil culturel et social et des sorties culturelles hebdomadaires ;
- le programme Ambition (13 - 17 ans) promeut la réussite scolaire et l’insertion socioprofessionnelle grâce à des offres de stage, du tutorat scolaire et des activités culturelles ;
- le programme Avenir (18 - 25 ans), puisque les difficultés ne s’arrêtent pas aux 18 ans de l’enfant, propose un accompagnement jusqu’à l’âge de 25 ans avec une aide à l’insertion socioprofessionnelle (don d’un « pack » de démarrage : ordinateur, téléphone…), à l’accès aux enseignements secondaires, bourses, ateliers autonomes…
Par ailleurs, chaque enfant volontaire peut bénéficier d’un parrain ou d’un mentor formé par l’association, à raison d’une rencontre par mois.
L’association est actuellement à la recherche de mentors. N’hésitez pas à contacter IM’PACTES via le site de l’association pour postuler ! https ://association.impactes.fr/
Krugman RD, Leventhal JM. Confronting child abuse and neglect and overcoming gaze aversion: The unmet challenge of centuries of medical practice. Child Abuse Negl 2005;29:307–9.