Pour surveiller la fréquence des cancers en France, on dispose de deux indicateurs : l’incidence et la mortalité. L’incidence annuelle des cancers est le nombre de nouveaux diagnostics de cancer dans l’année. La mortalité annuelle est le nombre de décès par cancer dans l’année. Ces deux indicateurs sont complémentaires. L’incidence est sensible aux changements de pratique diagnostique, on a ainsi induit une « épidémie de cancer de la prostate » en faisant un dosage de l’antigène spécifique de prostate (« prostate specific antigen » ou PSA) chez de nombreux hommes asymptomatiques et sans facteur de risque. Pour un cancer très létal, les deux indicateurs ont des valeurs proches, pour un cancer dont la survie est très bonne, le nombre de cas incidents est largement supérieur au nombre de décès.
Le nombre de cas de cancer augmente, mais le risque n’augmente pas
Le nombre de cas de cancer augmente régulièrement (fig. 1), mais cette augmentation s’explique essentiellement par la démographie. Il est donc nécessaire de faire deux corrections :
- la population augmente, donc le nombre de cas de cancer augmente, on calcule donc un taux pour 100 000 en divisant le nombre de cas par le nombre d’habitants ;
- le risque de cancer augmente très fortement avec l’âge, or la proportion de personnes âgées augmente régulièrement. On calcule donc un taux standardisé sur l’âge en pondérant les taux observés dans chaque classe d’âge par une répartition fixe de la population dans les différentes classes d’âge. Nous utilisons pour cette analyse la population standard européenne :1 elle comporte 8 % de personnes de 0 à 4 ans, 7 % de personnes de chacune des 10 classes d’âge de 5 ans entre 5 à 9 ans et 50 à 54 ans, et ensuite successivement 6 %, 5 %, 4 %, 3 %, 2 %, 1 % et 1 % dans chaque classe de 5 ans jusqu’à 85 ans et plus.
Lorsqu’on fait ces deux corrections, il n’y a pas d’augmentation importante du risque de cancer dans l’ensemble de la population. La figure 2 montre que, chez les hommes, l’incidence des cancers augmente très peu depuis 2013 et que l’essentiel des variations provient de l’évolution du cancer de la prostate ; elle montre aussi que la mortalité par cancer diminue depuis 1987. Chez les femmes, l’incidence des cancers n’augmente dans les années récentes qu’à cause de l’augmentation de la fréquence des cancers du poumon, et la mortalité par cancer diminue depuis 1960.
Évolution de l’incidence et de la mortalité dans les différentes classes d’âge
La figure 3 montre les évolutions de l’incidence des cancers et de la mortalité par cancer dans les différentes grandes classes d’âge. Ces estimations sont obtenues en extrapolant à la France entière les données des registres départementaux qui couvrent 24 % de la population française.2
Dans la population âgée de 65 ans et plus, depuis 1990 l’incidence augmente et la mortalité diminue, la diminution de la mortalité étant plus forte chez les hommes que chez les femmes.
Entre 40 et 64 ans l’incidence diminue depuis 2006 chez les hommes et augmente faiblement chez les femmes et la mortalité diminue aussi plus fortement chez les hommes que chez les femmes (figure 3a).
Entre 15 et 39 ans, l’incidence a augmenté fortement jusqu’en 2012 chez les hommes et chez les femmes, mais l’augmentation est moindre dans les années récentes ; la mortalité diminue chez les hommes depuis 1970 et chez les femmes depuis 1960 (figure 3b).
Entre 0 et 14 ans, l’incidence n’augmente pas chez les garçons et augmente très faiblement chez les filles, et la mortalité diminue depuis la fin des années 1950 (figure 3b).
Une autre étude qui n’a pris en compte que les données des registres de 11 départements couvrant 18 % de la population montre, sans extrapolation à la France entière, que dans ces départements l’incidence des cancers entre 15 et 39 ans a augmenté de 1,6 % par an entre 2000 et 2014, puis diminué de 0,8 % par an entre 2015 et 2020.3
Le cancer est la première cause de décès en France, mais la mortalité par cancer diminue
Le cancer est la première cause de décès en France : c’est vrai depuis 1998 et 2009 respectivement chez les hommes et les femmes. Néanmoins, la figure 4 montre que c’est parce que la mortalité cardiovasculaire diminue beaucoup plus rapidement que la mortalité par cancer.
Par conséquent, l’espérance de vie augmente (figure 5). L’espérance de vie pour une année donnée, par exemple 2024, se calcule ainsi : on prend une population fictive de 100 000 personnes qui naissent en 2024 ; on suit cette population jusqu’à ce tout le monde soit « mort » en utilisant les taux de mortalité observés en 2024 pour chaque âge. La moyenne des durées de vie ainsi obtenue est l’espérance de vie. Cette figure montre que l’espérance de vie était d’environ 40 ans jusqu’au milieu du XIXe siècle et a ensuite augmenté pour atteindre, en 2024, 85,6 ans pour les femmes et 80,0 ans pour les hommes. La pandémie de Covid a temporairement arrêté l’augmentation de l’espérance de vie, mais en 2024 l’espérance vie des femmes a retrouvé le niveau de 2019 et l’espérance de vie des hommes a un peu dépassé le niveau de 2019. Certains prédisent que l’espérance de vie va cesser bientôt d’augmenter, mais on peut leur objecter que :
- un tel arrêt a souvent été prédit dans le passé et qu’il ne s’est encore jamais produit ;
- on a encore beaucoup à gagner en réduisant par exemple les consommations de tabac et d’alcool, la fréquence de l’obésité, etc.
Qu’en retenir ?
En dehors des conséquences de l’entrée des femmes dans le tabagisme à la fin des années 1960, l’incidence des cancers n’augmente pas ou très peu en France dans les années récentes, et la mortalité par cancer diminue nettement, davantage chez les hommes que chez les femmes. L’incidence n’augmente que dans certaines classes d’âge, et la mortalité n’augmente dans aucune classe d’âge.
Les discours qui annoncent des augmentations alarmantes des nombres de cancer en général, et particulièrement chez les jeunes, servent d’arguments pour étayer diverses hypothèses sur les possibles causes. On évoque ainsi souvent la pollution (explication d’autant plus improbable que la pollution de l’air diminue), les pesticides (dont l’usage n’augmente pas particulièrement), les perturbateurs endocriniens (même remarque), l’obésité (dont la prévalence augmente), etc. L’augmentation du nombre de cancers ne correspond pas à une augmentation du risque, mais elle a des conséquences importantes pour l’organisation des soins. Si on diagnostique plus de cancers, il faut plus de personnel médical et plus d’infrastructures spécialisées, donc plus d’investissements.
2. Institut national du cancer. Incidence nationale des cancers en 2023. 3 juillet 2023.
3. Desandes E, Clavel J, Molinié F, et al. Trends in the Incidence of Cancer Among Adolescents and Young Adults Between 2000 and 2020: A Study Based on French Population-Based Registry Data. J Adolesc Young Adult Oncol 17 mars 2025.