Neisseria meningitidis (Nm, méningocoque) est l’agent des infections invasives à méningocoque (IIM). Il existe 12 sérogroupes capsulaires de Nm, mais six (A, B, C, W, Y et X) sont responsables de la quasi-totalité des cas d’IIM dans le monde.1
L'épidémiologie du méningocoque reste imprévisible car elle peut être liée à des co-infections virales (comme la grippe), à des facteurs phénotypiques que sont les sérogroupes, à des facteurs environnementaux, comme les vents du Harmattan dans les pays d'Afrique subsaharienne et de Santa Ana en Basse-Californie,2 mais aussi et surtout à des facteurs génotypiques dus à une importante diversité des souches circulantes de Nm. Nm est classé en divers types de séquences (ST) et les ST sont regroupés en complexes clonaux (CC) en fonction du niveau de similitude.3 La pandémie de Covid- 19 a entraîné des changements significatifs des IIM. Nous décrivons ici les caractéristiques épidémiologiques des IIM en France avant et depuis la Covid- 19.
Épidémiologie des IIM en France avant la pandémie de Covid- 19
Durant la deuxième partie des années 2010, le sérogroupe B représentait près de la moitié des cas d’IIM, touchant essentiellement les enfants de moins de 5 ans (fig. 1 et 2). Toutefois, ces souches sont génétiquement très hétérogènes.4
Les IIM dus au sérogroupe C, fréquentes pendant les deux premières décennies du XXIe siècle, ont drastiquement baissé, principalement grâce à la modification des recommandations de vaccination contre ce sérogroupe en 2017, puis l’instauration d’une obligation vaccinale le concernant en 2018.5 Alors qu’ils représentaient un tiers des IIM en 2015, soit le deuxième rang après le sérogroupe B, ils ne causaient plus que 12,5 % des IIM en 2019, principalement dans les populations de plus de 25 ans, non concernées par les recommandations vaccinales (fig. 1 et 2). À l’inverse, les IIM dues au sérogroupe W augmentaient depuis le début des années 2010 à tous les âges, y compris les nourrissons de moins de 1 an, pour atteindre 22,4 % en 2019.4 Cette augmentation était liée à l’émergence d’une nouvelle souche appelée le « South America-UK strain » et de ses dérivés. Ces souches sont génétiquement distinctes de la souche « Hajj strain » qui s’était propagée au début des années 2000 parmi les pèlerins revenant de La Mecque.6
Le sérogroupe Y augmentait aussi depuis 2010 et représentait 12 % des cas d’IIM en France en 2019, en particulier chez les adultes de plus de 65 ans4 (fig. 1 et 2).
Épidémiologie des IIM en France durant la pandémie de Covid- 19
Depuis mars 2020, les interventions non pharmaceutiques mises en place pour lutter contre la propagation de la pandémie de Covid- 19 (confinement, distanciation sociale et port du masque), ont entraîné une diminution rapide et importante des cas d'IIM pour l’ensemble des sérogroupes et des tranches d’âge.4 Le taux global de portage de Nm, qui était d’environ 10 % dans la population générale avant la pandémie a également diminué durant cette période.7
Le nombre de cas dû au sérogroupe B est resté proportionnellement majoritaire (fig. 1), malgré une diminution plus prononcée chez les enfants et les adultes dès 2020, mais pas avant 2021 chez les adultes de 65 ans et plus4 (fig. 1 et 2).
La diminution pré-pandémie des IIM du sérogroupe C s’est poursuivie et accentuée cette fois-ci dans toutes les tranches d'âge (2,8 % en 2021 vs 25,7 % en 2018). Ainsi, seuls trois cas d'IIMC ont été enregistrés en France en 2021.4
Les cas d’IIM du sérogroupe W ont diminué en 2020, mais dans une moindre mesure que pour les autres sérogroupes (fig. 1). Cette baisse a concerné essentiellement les souches W hyperinvasives du CC11. Les IIM de sérogroupe Y, quant à elles, ont vu leur baisse de 2020 rapidement compensée dès 2021 chez les 15 - 44 ans (fig. 1 et 2).4
Épidémiologie des IIM en France depuis l’assouplissement des mesures contre la Covid- 19
Les mesures sanitaires non pharmaceutiques prises contre la pandémie Covid- 19 ont été progressivement levées à partir de la moitié de l’année 2022. Deux hypothèses se confrontaient sur l’évolution que suivrait l’épidémiologie des IIM. La première supposait que la réduction de la circulation des souches ainsi que du portage de la bactérie conduirait à une réduction pérenne du nombre d’IIM. Malheureusement, c’est la seconde hypothèse, prédisant un rebond rapide du nombre de cas après le retour de la circulation de souches dans une population devenue naïve par la diminution de l’immunité naturelle due au portage. En effet, un rebond de l’ensemble des sérogroupes (fig. 1) et dans toutes les tranches d’âge (fig. 2), mais à des proportions différentes, a eu lieu depuis septembre 2022 et s’est poursuivi en 2023 pour atteindre un nombre de cas supérieur à la période pré-pandémique, avec de profonds changements épidémiologiques et génotypiques.4
Les IIM de sérogroupe B sont restées les plus prévalentes depuis la pandémie, malgré une baisse importante en 2020, restant en moyenne à environ 50 % de l’ensemble des IIM (fig. 1). Le nombre de cas liés à ce sérogroupe a fortement augmenté en 2022 dans toutes les tranches d'âge, en particulier parmi les 15 - 24 ans dans un premier temps, dépassant le nombre de cas de la période prépandémique dès 2022. Puis ce rebond s’est poursuivi en 2023 dans l’ensemble des tranches d’âge et en particulier parmi les adultes et les plus de 65 ans, la population cible de ce sérogroupe étant historiquement les nourrissons et les adolescents (fig. 2).
Les IIM à sérogroupe C sont restées très marginales avec un nombre de cas très faible en 2022 et diminuant encore en 2023 (fig. 1), traduisant l’effet du nouveau schéma de primo-vaccination contre ce sérogroupe en 2017, rendu obligatoire en 2018.
En revanche, en ce qui concerne les sérogroupes W et Y, leur nombre a considérablement augmenté (fig. 1) et ce, dès l’été 2022 initialement dans la population des plus de 15 ans, principal réservoir de portage de la bactérie (fig. 2). Ces souches, historiquement moins virulentes et moins impliquées dans des infections invasives4 ont probablement été les mieux adaptées pour recoloniser en premier le nasopharynx d’une population devenue naïve, entraînant des infections invasives. En outre, les modifications du microbiote nasopharyngé durant la pandémie, ainsi que certaines infections virales ont pu influencer sa colonisation par le méningocoque et la réponse immunitaire de l’hôte.
Si la dynamique d’augmentation de la proportion d’IIM à sérogroupe W et Y s’est fortement poursuivie en 2023 (fig. 1), elle concernait essentiellement les adultes de plus de 25 ans, dépassant largement les niveaux pré-pandémiques dans ces tranches d’âge (fig. 2).
Cette augmentation majeure est d’autant plus préoccupante qu’elle est associée à une augmentation du nombre de présentations cliniques atypiques dans ces tranches d’âge. Chez les 65 ans et plus, les présentations abdominales et les pneumonies bactériémiques à méningocoque représentent près d’un tiers des cas d’IIM. Ces présentations cliniques sont associées à une mortalité dans les 48 premières heures de 13 à 15 % contre 8 % en moyenne pour l’ensemble des présentations cliniques.8 Ce surplus de mortalité pourrait être lié à la difficulté plus importante encore de faire le diagnostic précoce de la maladie, devant des symptômes aspécifiques et atypiques, évoquant de nombreux diagnostics différentiels.5 Ces présentations atypiques peuvent par ailleurs être très variées.
Quel futur pour l’épidémiologie des IIM en France ?
Les interventions non pharmaceutiques de lutte contre la pandémie de Covid- 19 ont donc eu un profond impact sur l'épidémiologie des IIM, s'apparentant à une « remise à zéro ». Le rebond des cas d'IIM observé en 2023, pourrait être influencé par plusieurs facteurs dans le futur proche. D’abord par les rassemblements de masse comme les Jeux olympiques et paralympiques que la France a accueillis en été 2024 ou le pèlerinage en Arabie saoudite, qui a fait depuis avril 2024 l’objet d’une alerte à la suite de plusieurs cas d’IIM de sérogroupe W parmi des pèlerins ou leur entourage.9 Aussi, de nouvelles recommandations ont récemment été adoptées par décret en juillet 2024 en faveur de la vaccination des nourrissons et des adolescents contre les sérogroupes ACWY, ainsi qu’une vaccination contre le sérogroupe B obligatoire chez les nourrissons à compter de 2025. Il est intéressant de noter ici que le rebond post-Covid- 19 a concerné les IIMW et les IIMY contre lesquelles la France n’avait pas de stratégies vaccinales en population générale alors que les IIMC n’ont pas été concernées par ce rebond. Par ailleurs, le Royaume-Uni qui a introduit la vaccination ACWY depuis 2015, n’a pas observé un rebond des sérogroupes W et Y.10
2. Chacon-Cruz E, Lopatynsky-Reyes EZ. Association between meningococcal meningitis and Santa Ana winds in children and adolescents from Tijuana, Mexico: A need for vaccination. Trop Med Infect Dis 2023;8(3).
3. Maiden MC, Bygraves JA, Feil E, Morelli G, Russell JE, Urwin R, et al., Multilocus sequence typing: a portable approach to the identification of clones within populations of pathogenic microorganisms. Proc Natl Acad Sci USA, 1998;95(6):3140-5.
4. Taha S, Hong E, Denizon M, Falguières M, Terrade A, Deghmane AE, et al., The rapid rebound of invasive meningococcal disease in France at the end of 2022. J Infect Public Health 2023;16(12):1954-60.
5. Taha S, Taha MK, Deghmane AE. Impact of mandatory vaccination against serogroup C meningococci in targeted and non-targeted populations in France. NPJ Vaccines 2022;7(1):73.
6. Lucidarme, J, Hill DMC, Bratcher HB, Gray SJ, Mignon du Plessis, Tsang RSW, et al., Genomic resolution of an aggressive, widespread, diverse and expanding meningococcal serogroup B, C and W lineage. J Infect 2015;71(5):544-52.
7. Michel J, Stoica MA, Aouiti-Trabelsi M, De Oliveira F, Hong E, Joly LM, et al. Prevalence of respiratory pathogens in Covid patients. Journal of Biotechnology and Biomedicine 2023;6:450-9.
8. Taha S, Deghmane AE, Taha MK, Recent increase in atypical presentations of invasive meningococcal disease in France. BMC Infect Dis 2024;24(1):640.
9. Harris E. CDC Warns of Surge in meningococcal disease in US. Jama 2024;331(19):1614.
10. Clark SA, Campbell H, Ribeiro S, Bertran M, Walsh L, Walker A, et al., Epidemiological and strain characteristics of invasive meningococcal disease prior to, during and after Covid-19 pandemic restrictions in England. J Infect 2023;87(5):385-91.