Le maintien d’un rythme circadien stable est essentiel à la bonne santé cardiovasculaire (CV). Son dérèglement est source à court terme d’élévation de la pression artérielle, d’inflammation et d’hypercoagulabilité chez l’être humain. À long terme, il est associé dans des modèles animaux à la fibrose cardiaque, à des troubles du rythme ou encore à une progression accélérée de l’insuffisance cardiaque. Source connue de dérèglement du rythme circadien, l’exposition nocturne à la lumière est donc un facteur de risque potentiel des maladies CV. Toutefois, cette hypothèse manque de corroboration par des données expérimentales individuelles à grande échelle.
Pour faire la lumière sur ce sujet, des chercheurs ont étudié les données de santé de participants de la cohorte britannique prospective UK Biobank, qui a recruté environ 502 000 personnes entre 2006 et 2010. Parmi eux, 103 669 participants ont porté un capteur de lumière à leur poignet dominant pendant 1 semaine, entre 2013 et 2016. En retirant ceux n’ayant pas bien porté le capteur ou avec des données corrompues, 88 905 sujets ont été retenus (âge moyen ± écart-type = 62,4 ± 7,8 ans, 57 % de femmes) pour tester l’association entre exposition à la lumière de nuit (cette dernière étant définie comme la période entre 00 h 30 et 6 h 00) et maladies CV.
Quatre groupes d’exposition lumineuse
Les participants ont été répartis en 4 groupes suivant leur exposition à la lumière de nuit : les 50 % les moins exposés à la lumière la nuit (ou nuit sombre), utilisés comme référence, puis deux groupes intermédiaires (les 51 - 70 % de sujets aux nuits les plus lumineuses, puis les 71 - 90 % aux nuits les plus lumineuses), et enfin le groupe des 10 % exposés à l’éclairement nocturne le plus intense.
Le critère de jugement principal était l’incidence des principales maladies CV (maladie coronarienne, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque, fibrillation atriale, AVC) dans les différents groupes par rapport au groupe référence jusqu’à la fin du suivi (décès, ou novembre 2022). Le suivi s’est fondé sur les admissions à l’hôpital, les consultations en soins primaires, les certificats de décès et les déclarations des participants. L’analyse statistique a pris en compte comme facteurs de confusion le sexe, l’âge, l’ethnie déclarée, la période de l’année, le niveau académique, l’emploi, le revenu, la précarité sociale, l’activité physique, le tabagisme, la consommation d’alcool, l’alimentation, et l’urbanité.
Un risque d’infarctus 42 % plus élevé
Les résultats sont parus le 23 octobre 2025 dans le JAMA Network Open. Le temps de suivi moyen (± écart-type) après le port du capteur de lumière était de 7,9 ± 1,0 ans. En comparaison des personnes ayant passé des nuits sombres, les personnes les plus exposées à la lumière avaient un surrisque de 42 % d’infarctus du myocarde (hazard ratio (HR) = 1,42 ; IC 95 % = [1,21 ; 1,66] ; p-value < 0,001), de 45 % d’insuffisance cardiaque (HR = 1,45 [1,24 - 1,69] ; p < 0,001), de 28 % de fibrillation atriale (HR = 1,28 [1,15 - 1,43] ; p < 0,001) et d’AVC (HR = 1,28 [1,06 - 1,55] ; p = 0,01), et de 23 % de maladie coronarienne (HR = 1,23 [1,10 - 1,38] ; p < 0,001). Si l’augmentation du risque était moins importante dans les deux autres groupes intermédiaires, il restait significatif dans l’infarctus du myocarde, l’insuffisance cardiaque et la maladie coronarienne, mais pas dans l’AVC.
Plusieurs mécanismes possibles
Pour les auteurs, l’association observée du surrisque CV avec l’exposition à la lumière de nuit s’explique par 4 grands mécanismes liés à la dérégulation du rythme circadien : l’intolérance au glucose et le diabète de type 2, des facteurs de risque CV en eux-mêmes ; l’hypercoagulabilité, facteur de risque thromboembolique ; l’augmentation de la pression artérielle, source de troubles vasculaires ; la hausse du risque d’arythmies. S’ils notent que l’exposition à la lumière de nuit est un indicateur potentiel de la durée du sommeil, ils soulignent que les associations observées étaient peu ou pas affectées par la durée du sommeil.
Malgré ses limites – résultats difficiles à généraliser (97 % de participants à peau blanche, individus de niveau socioéconomique plus élevés et mieux portants que la moyenne nationale), absence de suivi à long terme, données observationnelles ne permettant pas d’établir de causalité – cette étude est le premier travail expérimental d’envergure ayant associé l’insuffisance cardiaque et la fibrillation auriculaire à l’exposition lumineuse la nuit. Les auteurs plaident ainsi pour ajouter aux recos de prévention CV l’évitement de la lumière pendant la nuit.
Pour en savoir plus :
Dufier JL, Touitou Y. Pollution lumineuse. Rev Prat 2022;72(2):141-6.
Mallordy F, Nobile C. Pollution lumineuse : un double impact négatif sur la santé. Rev Prat (en ligne) 25 août 2023.
Martin Agudelo L. Dormir dans le noir pour prévenir le diabète. Rev Prat (en ligne) 20 juin 2024.
Pitron V, Faraut B, Léger D. Insomnie et environnement de sommeil. Rev Prat 2024;74(3):283-4.
Léger D, Rouen A, Vecchierini MF, et al. Insomnie et horloge biologique. Rev Prat 2024;74(3):271-4.