Le terme polype est générique ; il est souvent utilisé abusivement pour décrire l’ensemble des lésions colorectales, y compris les formes macroscopiques non polypoïdes que sont les lésions planes à extension latérale (Laterally Spreading Tumors [LST]). Ces lésions planes et larges sont pourtant plus fréquentes que les formes pédiculées (polype au sens strict du terme, signifiant champignon à pied) et posent davantage de difficultés diagnostiques et thérapeutiques. 

Polypes : une multitude de formes histologiques

En pratique, de nombreuses histologies différentes se cachent sous le terme de polype : des lésions non néoplasiques (polypes hyperplasiques simples du rectosigmoïde) jusqu’au cancer invasif profond (au-delà du stade T1) pour lequel un bilan d’extension est justifié afin d’évaluer les autres composantes (statuts ganglionnaire [N] et métastatique [M]).

Entre ces deux extrêmes existe une multitude de lésions néoplasiques de malignité limitée et progressive, pour lesquelles un traitement endoscopique peut définitivement guérir le patient si certains critères de qualité carcinologique sont respectés lors de la résection. Ces lésions intermédiaires représentent la grande majorité des cas rencontrés par le gastroentérologue lors des coloscopies de dépistage pour test FIT positif (50 % de lésions non avancées ; 6 % de cancers avancés).

De ce fait, l’immense majorité des lésions ne relèvent pas d’une opération chirurgicale si l’on choisit l’option curative avec le meilleur profil de morbi-mortalité. 

Résection endoscopique ou chirurgie ?

Les résections endoscopiques emportent la muqueuse et la sous-muqueuse colique, laissant intacte la couche musculaire afin de préserver l’étanchéité de l’organe et sa fonction. 

Au contraire, la chirurgie emporte le côlon et sa région (curage ganglionnaire) et requiert une anastomose.

Le taux de mortalité d’une colectomie se situe entre 1 et 2 % et sa morbidité atteint 20 % ;1 les résections endoscopiques, même avancées, ne dépassent pas 5 % de morbidité et ont un taux de mortalité nul.2 En outre, les impacts environnemental,3 économique et sur la qualité de vie du patient sont plus importants pour la colectomie que pour la résection endoscopique. De ce fait, le surtraitement par chirurgie ne doit pas dépasser les 5 % (résection endoscopique non possible techniquement), taux devenu un critère de qualité pour l’endoscopiste. Les patients doivent être adressés à des endoscopistes interventionnels plutôt qu’à des chirurgiens, sauf en cas de lésions clairement invasives profondes (au-delà du stade T1, fig. 1, colonne III).

Démarche diagnostique

Toute la difficulté réside dans le fait que le gastroentérologue ne sait pas à quoi s’attendre en débutant une coloscopie. Et, comme dans toute discipline, les compétences individuelles diagnostiques et techniques des praticiens varient.

Première étape : la détection

Il faut en premier lieu détecter les lésions dans le côlon de l’individu en déplissant chaque haustration, en explorant chaque angulation et en cherchant minutieusement les anomalies de couleur et de relief, avec ou sans aide de l’intelligence artificielle. 

La détection est un enjeu majeur pour n’oublier aucune lésion qui continuerait d’évoluer entre deux examens. La compétence du gastroentérologue pour détecter les lésions est inversement corrélée au taux de cancer colorectal d’intervalle entre deux coloscopies,4 ce qui a conduit les sociétés savantes à recommander aux médecins de connaître leur taux de détection. 

Deuxième étape : la caractérisation des lésions

Une fois détectée, la lésion doit être caractérisée, c’est-à-dire examinée sous différentes modalités (lumière blanche, chromo-endoscopie à la longueur d’onde de l’hémoglobine, zoom) afin d’en prédire la nature en utilisant les différentes caractéristiques publiées au fil du temps. En France, les lésions sont regroupées en une classification unique pour simplifier le travail de synthèse (classification CONECCT5). Grâce à ces critères, il est possible de prédire la nature du polype plus précisément que par un échantillon ponctuel obtenu par biopsie et, en fonction de cette prédiction, de choisir en direct la technique de résection la plus adaptée.

Troisième étape : la stratégie de prise en charge

Abstention, résection, chirurgie sont les trois options à envisager :

  • l’abstention est recommandée pour les polypes hyperplasiques simples (fig. 1, colonne IH) du rectosigmoïde mesurant moins de 10 mm lorsque leur aspect est typique, réduisant ainsi le coût et les risques de la prise en charge ;
  • les lésions festonnées sessiles (fig. 1, colonne IS) doivent être complètement réséquées en un (en bloc) ou plusieurs morceaux (résection fragmentée ou piece meal) par mucosectomie à l’anse afin de retirer tout le tissu néoplasique (sans pour autant choisir une option à haut niveau de qualité carcinologique car le risque de cancer de ces lésions est inférieur à 1 %). Les résections à l’anse sont moins morbides, plus accessibles et moins coûteuses que les résections avancées (comme la dissection sous-muqueuse) et sont à privilégier pour les situations dont la prédiction est à très bas risque de malignité ;
  • les adénomes simples (sans aucun critère de risque de cancer [fig. 1, colonne IIA]) peuvent aussi être réséqués à l’anse par mucosectomie en bloc ou fragmentée, comme les lésions festonnées ;
  • les adénomes à risque et les cancers superficiels (fig. 1, colonnes IIC et IIC+) ont un risque plus élevé d’être des cancers T1, du fait de leur forme et de leur aspect de surface. Une résection plus avancée, comme la dissection sous-muqueuse, est alors nécessaire pour obtenir un plus haut niveau de qualité carcinologique. Ces résections sont souvent réalisées par un second endoscopiste, davantage expérimenté en endoscopie interventionnelle, dont le geste est réalisé sur un créneau dédié.
 

Actuellement, la technique de référence de résection avancée est la dissection sous-muqueuse. Elle est pratiquée à l’aide d’un bistouri électrique permettant d’inciser la muqueuse sur quelques millimètres autour de la lésion, emportant ainsi la lésion en un seul morceau (en bloc) avec des marges saines (R0). Elle permet aux anatomo-pathologistes d’analyser la pièce orientée et fixée, autorisant alors la mesure exacte de la profondeur d’invasion et la recherche de critères pronostiques comme le bourgeonnement tumoral (budding), les emboles vasculaires et lymphatiques et la différenciation tumorale. Si cette analyse est favorable, la résection est curative (aucun risque d’extension N+ ou M+) et la chirurgie complémentaire n’est pas recommandée (traitement local pour lésion à risque uniquement local).

En revanche, pour les cancers classés T1, si la résection n’est pas en bloc ou si l’un des critères pronostiques est mauvais, la résection n’est pas curative et le patient doit bénéficier d’un bilan d’extension. Une éventuelle chirurgie complémentaire peut être décidée pour retirer l’organe et les ganglions s’y rapportant (traitement régional pour lésion à risque régional) ;

les lésions aux critères d’invasion profonde au-delà de la sous-muqueuse (fig. 1, colonne III) doivent être biopsiées afin d’obtenir une analyse histologique et éventuellement orienter vers un traitement systémique plutôt qu’une chirurgie première, en fonction du bilan d’extension. 

Bien traiter sans excès

La prédiction de la nature lésionnelle et l’aiguillage qui en découle vers le traitement optimal reposent sur un examen endoscopique avancé, qui dépend des compétences techniques du gastroentérologue.

L’intelligence artificielle pourra aider à caractériser les lésions dans le futur, mais distinguer les différentes nuances de gris des images des lésions néoplasiques reste une tâche trop complexe à effectuer pour les systèmes actuels. 

La formation à la caractérisation et l’entraînement sur les images de lésions dont l’histologie est connue restent aujourd’hui le fondement de la bonne prise en charge des patients afin qu’ils bénéficient du traitement suffisant sur le plan oncologique mais sans surtraitement dans la mesure du possible (conservation des organes).

Quand suspecter une prise en charge non optimale ?

Le médecin généraliste peut légitimement se questionner dans deux situations : 

  • lorsque le gastroentérologue ne trouve que très peu de lésions lors des coloscopies réalisées pour test FIT positif (au moins 40 % de coloscopies positives pour un gastro-entérologue de bon niveau) ;
  • lorsqu’une majorité des lésions sont référées au chirurgien sans justification claire, et sans avoir envisagé une réévaluation pour résection endoscopique avancée.
 

Pour le bien du patient (mais aussi dans une démarche écoresponsable), il est alors utile d’avoir un échange confraternel, voire de solliciter un second avis. 

Références 
1. Almoudaris A, Gupta S, Bottle A, et al. Surgery for benign colorectal polyps in England - trends and outcomes from 1997 to 2007. Gut 2011;13:A4–A5.
2. Jacques J, Schaefer M, Wallenhorst T, et al. Endo­scopic en-bloc versus piecemeal resection of large non pedunculated colonic adenomas: A randomized comparative trial. Ann Intern Med 2024;177(1):29-38. 
3. Rodríguez de Santiago E, Dinis-Ribeiro M, Pohl H, et al. Reducing the environmental footprint of gastrointestinal endoscopy: European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) and European Society of Gastroenterology and Endoscopy Nurses and Associates (ESGENA) position statement. Endoscopy 2022;54:797-826. 
4. Kaminski MF, Regula J, Kraszewska E, et al. Quality indicators for colonoscopy and the risk of interval cancer. N Engl J Med 2010;362:1795-803. 
5. Brule C, Pioche M, Albouys J, et al. The COlorectal NEoplasia Endoscopic Classification to Choose the Treatment classification for identification of large laterally spreading lesions lacking submucosal carcinomas: A prospective study of 663 lesions. United European Gastroenterol J 2022;10:80-92. 

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés
essentiel

 Le terme polype est générique et regroupe des lésions colorectales très différentes selon leur aspect (majoritairement non polypoïdes), histologie, pronostic et prise en charge.

 La grande majorité des lésions ne doivent pas être opérées par chirurgie mais réséquées endoscopiquement par une technique adaptée en matière de qualité carcinologique.

 La stratégie repose sur la caractérisation par l’endoscopiste : il analyse la nature de la lésion afin d’orienter vers le traitement le plus adéquat.

 En proportion, la grande majorité des lésions ne sont pas dégénérées et sont réséquées à l’anse par l’endoscopiste en cours de coloscopie.