En France, la prévalence de la fibromyalgie est de 1,6 %. Elle touche 7 à 10 fois plus les femmes que les hommes. Il s’agit de la pathologie douloureuse chronique diffuse la plus fréquente. Elle est désormais classée parmi les douleurs chroniques dites « noci-plastiques » :1 cela signifie que les douleurs ne sont pas accompagnées de lésions organiques, qu’elles évoluent depuis plus de trois mois, qu’elles s’accompagnent d’allodynie et/ou d’hyperalgésie avec des douleurs spontanées et/ou provoquées des régions concernées, qu’elles sont associées à une détresse émotionnelle et/ou un handicap fonctionnel significatif et qu’il n’y a pas d’autre diagnostic évoqué. Tout l’enjeu est de savoir poser le diagnostic et de proposer une prise en charge adaptée.
Poser le diagnostic
La démarche diagnostique se décline en six étapes :
- évaluer la douleur et ses caractéristiques ;
- évaluer les symptômes associés (fatigue, réveil non reposé, symptômes physiques de tous les appareils, signes systémiques) ;
- interroger l’histoire personnelle (médicale et psychosociale) ;
- interroger l’histoire familiale (médicale et psychosociale) ;
- procéder à l’examen clinique ;
- prescrire des examens complémentaires biologiques en nombre limité.
Le médecin généraliste devrait pouvoir évoquer le diagnostic dès que possible sans qu’il soit nécessaire de le faire confirmer par un spécialiste. Le diagnostic ne peut être posé qu’en éliminant tous les diagnostics associés, différentiels, somatiques et/ou psychologiques.
Il est important de communiquer le diagnostic au patient. Cette recommandation peut être modulée chez l’enfant : il convient d’éviter de « coller » une étiquette diagnostique trop précoce, car un amendement des symptômes est possible avec une prise en charge rapide, globale et adaptée.
Des symptômes nouveaux inhabituels doivent faire évoquer une autre pathologie. L’errance médicale avec consultations de divers spécialistes doit être évitée.
Il existe un outil de dépistage
Depuis 2010, il existe un outil pratique de dépistage de la fibromyalgie : le Fibromyalgia Rapid Screening Tool (FiRST).2 Cet autoquestionnaire comporte six questions (tableau 1). La positivité de cinq items sur six permet de dépister une fibromyalgie avec une sensibilité et une spécificité proches de 90 %, chez des patients atteints de douleurs diffuses articulaires, musculaires ou tendineuses, depuis plus de trois mois.
Diagnostic clinique : des critères révisés en 2016
Le diagnostic clinique comporte les éléments suivants :3 - 6
- des douleurs diffuses touchant au moins quatre cinquièmes des régions du corps (figure) ;
- des symptômes apparus depuis au moins trois mois ;
- l’association d’un score de douleurs diffuses supérieur ou égal à 7 et d’un score de sévérité supérieur ou égal à 5 ou l’association d’un score de douleurs diffuses noté de 4 à 6 et d’un score de sévérité supérieur ou égal à 9 (tableau 2) ;
- l’existence d’une pathologie associée n’exclut pas le diagnostic de fibromyalgie.
Le score global est donc composé des éléments suivants : le score de douleurs diffuses (Widespread Pain Index [WPI]), qui répertorie le nombre de zones corporelles douloureuses (figure), et le score de sévérité (Symptom Severity Scale, coté de 0 à 12), qui évalue deux items (tableau 2) :
- la sévérité de trois symptômes cotée de 0 à 9 (réveil non reposé [0 - 3], troubles cognitifs [0 - 3], fatigue [0 - 3]) ; la cotation se fait selon le niveau de sévérité rapporté par le patient ;
- la présence (1) ou l’absence (0) de trois autres symptômes (céphalées, troubles fonctionnels intestinaux, dépression) pour un score entre 0 et 3.
Diagnostics différentiels et pathologies associées
De nombreuses pathologies peuvent mimer une fibromyalgie.4 - 7 Il peut s’agir de maladies rhumatismales, neurologiques et/ou de troubles métaboliques. Il est important d’évoquer ces diagnostics différentiels. Il est possible d’observer d’authentiques fibromyalgies associées à des maladies organiques connues (exemple des rhumatismes inflammatoires). Certains diagnostics différentiels peuvent donc aussi constituer des pathologies associées. Dans ce cas, la fibromyalgie apparaît secondairement.
Certains médicaments peuvent entraîner des douleurs ; il s’agit notamment des statines (douleurs musculaires), des opioïdes (hyperalgésie), des chimiothérapies (douleurs neuropathiques), des inhibiteurs de l’aromatase (arthralgies, douleurs diffuses) et des bisphosphonates (douleurs osseuses).
Les troubles anxieux sont associés à la fibromyalgie pour 35 à 62 % des patients : la dépression dans 58 à 86 % des cas, les troubles bipolaires dans 11 % et l’abus de substances dans 12 %.
L’anxiété et la dépression sont très fréquemment associées aux douleurs chroniques, et donc à la fibromyalgie. Elles sont considérées comme des associations comorbides. Les troubles de l’humeur sont des facteurs d’entretien de la douleur chronique.
Le syndrome de stress post-traumatique est observé au cours de la fibromyalgie avec une fréquence plus élevée qu’en population générale (environ 60 %). Les événements de vie traumatiques antérieurs sont potentiellement source de douleurs ultérieures. Parmi les patients ayant une fibromyalgie, les réponses à la douleur semblent facilitées lorsqu’il existe un catastrophisme lié à la douleur, un névrosisme (tendance à expérimenter des émotions négatives), un sentiment d’injustice et des stratégies d’ajustement peu flexibles.
Place des examens complémentaires
Les recommandations internationales ne laissent pas beaucoup de place aux examens complémentaires. Ils visent uniquement à rechercher des pathologies associées et/ou des diagnostics différentiels4 - 7 et reposent sur les analyses suivantes : hémogramme, protéine C-réactive (CRP), créatine phosphokinase (CPK), ionogramme sanguin, calcémie, créatininémie, dosage des hormones thyroïdiennes. Le dosage de la parathormone (PTH) peut être ajouté.
Un bilan biologique initial avant prescription médicamenteuse et pour la surveillance est évidemment nécessaire.
Les autres examens (sérologies infectieuses, anticorps antinucléaires, facteur rhumatoïde, dosage de la vitamine D, radiographies…) dépendent de l’orientation clinique. L’imagerie n’est pas nécessaire si le diagnostic de la fibromyalgie est certain ; en revanche, elle est utile pour éliminer certains diagnostics différentiels.
Prise en charge
La prise en charge est multimodale, et les approches multidisciplinaires sont efficaces et recommandées.6 - 10
Les médicaments ne sont pas recommandés en première intention
L’information du patient est indispensable : information écrite et approfondie. Pour cela, il est possible de s’appuyer sur les outils proposés par le site internet Réseau ville-hôpital Lutter contre la douleur (https ://www.reseau-lcd.org/). Pour être acteur de sa prise en charge, le patient doit comprendre sa maladie, ne pas attendre une « guérison », apprendre à gérer le stress, la fatigue, les troubles du sommeil et toute autre comorbidité.
Ainsi, l’activité physique (de type aérobie, douce et régulière) est recommandée en première intention (marche, vélo, natation, yoga, tai chi, qi gong…).
Par ailleurs, l’accompagnement psychologique (thérapies émotionnelles, cognitives et comportementales) est indispensable, notamment en cas de dépression, d’anxiété, de catastrophisme, de stratégies inadaptées.
Quels traitements médicamenteux ?
Les antalgiques classiques sont en général peu efficaces.
Les psychotropes – certains antiépileptiques tels que les gabapentinoïdes (pré-gabaline ; un mésusage est possible, il convient de le prévenir), les antidépresseurs tricycliques et les antidépresseurs inhibiteurs de la sérotonine et de la noradrénaline – ont une efficacité modérée chez les répondeurs.
Opioïdes forts, corticostéroïdes, anti-inflammatoires non stéroïdiens et benzodiazépines sont formellement déconseillés.
Bien que la kétamine et les cannabinoïdes soient parfois utilisés, aucune étude n’a montré leur efficacité sur les douleurs liées à la fibromyalgie.
Existe-t-il d’autres options thérapeutiques ?
La neurostimulation électrique transcutanée (transcutaneous electrical nerve stimulation [TENS]) peut être associée pour soulager la douleur.
La stimulation magnétique transcrânienne répétée (repetitive transcranial magnetic stimulation [rTMS]) du cortex moteur a montré des résultats intéressants mais n’est pas facile d’accès et nécessite plusieurs séances.
Ce qu’il ne faut pas faire dans la fibromyalgie
Dire que cela n’existe pas et que « c’est dans la tête du patient ».
Ne pas poser le diagnostic.
Ne pas communiquer le diagnostic au patient.
Dire que l’on ignore l’origine des douleurs ou comment les prendre en charge.
Donner des opioïdes forts, des benzodiazépines et/ou des corticoïdes.
Ne pas organiser le suivi du patient ou ne pas l’orienter vers un centre spécialisé.
Surmédicaliser (trop de médicaments ou de gestes techniques) ou psychiatriser (dire qu’il s’agit d’une dépression).
Que dire à vos patients ?
Les douleurs et les symptômes associés sont bien réels.
Les douleurs sont en rapport avec un défaut de modulation des systèmes de la douleur au niveau du cerveau et du corps.
Il n’y a pas de lésion d’organe, donc il existe une possibilité d’aller mieux.
Les médicaments peuvent aider, mais ils ne sont pas « la » solution.
Apprendre à « gérer » les douleurs est l’objectif de la prise en charge.
2. Perrot S, Bouhassira D, Fermanian J, Cercle d’étude de la douleur en rhumatologie. Development and validation of the Fibromyalgia Rapid Screening Tool (FiRST). Pain 2010;150:250-6.
3. Wolfe F, Clauw D J, Fitzcharles MA, et al. 2016 Revisions to the 2010/2011fibromyalgia diagnostic criteria. Semin Arthritis Rheum 2016;46:319-29.
4. Laroche F. La fibromyalgie : diagnostic positif, diagnostics différentiels et diagnostics associés. Rev Rhum 2018; 85:287-94.
5. Laroche F. Fibromyalgie. EMC - Appareil locomoteur 2023;15-916-A-10.
6. Inserm. Expertise collective. Fibromyalgie. Octobre 2020. https://bit.ly/3CVp5bJ
7. Häuser W, Perrot S, Sommer C, et al. Diagnostic confounders of chronic widespread pain: Not always fibromyalgia. Pain Reports 2017;2:e598.
8. Macfarlane G, Kronisch C, Dean L, et al. EULAR revised recommendations for the management of fibromyalgia. Ann Rheum Dis 2017;76:318-28.
9. Thieme K, Mathys M, Turk D. Evidenced-based guidelines on the treatment of fibromyalgia patients: Are they consistent and if not, why not? Have effective psychological treatments been overlooked? J Pain 2017;18:747-56.
10. Di Carlo M, Bianchi B, Salaffi F, et al. Fibromyalgia: One year in Review 2024. Clin Exp Rheumatol 2024;42(6):1141-9.