Ces antibiotiques (ciprofloxacine, lévofloxacine, ofloxacine…), utilisés pour traiter des infections graves pouvant engager le pronostic vital, ont fait l’objet d’une restriction de leurs indications en raison du risque d’effets indésirables rares mais graves. Une nouvelle étude épidémiologique d’Épiphare et un nouveau rapport de pharmacovigilance révèlent cependant que leur prescription reste à des niveaux élevés en France, avec des utilisations hors AMM en cause dans plusieurs cas déclarés d’effets indésirables.

Restriction de leurs indications thérapeutiques depuis 2019

La gravité de certains effets secondaires rares des fluoroquinolones et leur caractère durable, invalidant et potentiellement irréversible ont conduit à une réévaluation de leur rapport bénéfices-risques et à une restriction de leurs indications. Ces effets indésirables recouvrent des atteintes :

  • du système nerveux (neuropathies périphériques) ;
  • neuropsychiatriques ;
  • du système musculosquelettique (douleurs et gonflements des articulations, inflammation voire rupture des tendons, douleurs et/ou faiblesses musculaires) ;
  • cardiaques et cardiovasculaires (anévrisme et dissection aortique, régurgitation ou insuffisance des valves cardiaques).

De plus, bien que leurs atouts soient nombreux (excellente biodisponibilité, bonne diffusion, demi-vie permettant 1 à 2 prises/jour, activité sur la plupart des bactéries sauvages pathogènes chez l’homme), la sélection de résistance est particulièrement rapide dans cette classe d’antibiotiques.

En 2023 , l’ANSM a donc rappelé que ces molécules ne sont indiquées que pour des infections sévères (notamment urinaires, ostéo-articulaires sur documentation et respiratoires basses) et que leur prescription devait être limitée aux situations où il n’existe pas d’alternative satisfaisante, après avoir soigneusement évalué leur balance bénéfices/risques et expliqué au patient la conduite à tenir en urgence en cas d’effets indésirables graves (v. encadrés ci-dessous).

Consommation en baisse, mais qui reste à un niveau élevé en 2023

À la suite de ces restrictions d’usage, Épiphare a réalisé une étude pour évaluer l’évolution de l’utilisation en ville de ces molécules entre 2014 et 2023.

En exploitant le Système national des données de santé (SNDS), les chercheurs ont identifié toutes les personnes ayant reçu au moins une délivrance, en secteur de ville, de fluoroquinolones à usage systémique par voie orale entre 2014 et 2023. Ils ont ainsi constaté une baisse de 50 % de leur consommation sur cette période.

Les résultats par molécule ont montré une baisse de l’utilisation de moxifloxacine de 72 %, d’ofloxacine 40 %, de ciprofloxacine de 22 % et de lévofloxacine de 5 % (seules ces quatre fluoroquinolones restaient remboursées par l’Assurance maladie sur la période de 2020 - 2023, après le déremboursement d’autres spécialités, cf. ci-dessous).

Trois phases ont marqué l’évolution de l’utilisation des fluoroquinolones :

  • de 2014 à 2019, elle a diminué d’environ 40 % à la suite de recommandations des autorités sanitaires françaises sur l’usage raisonné des antibiotiques, du retrait en 2015 de plusieurs fluoroquinolones utilisées pour les infections urinaires basses et du déremboursement en 2019 de la norfloxacine et la loméfloxacine (diminutions respectives de 86 % et 79 % sur cette période) ;
  • en 2020 et 2021, la pandémie de Covid- 19 a entraîné une diminution de la consommation d’antibiotiques plus généralement (limitation de la propagation des infections grâce aux gestes barrières et confinements) ; si une légère augmentation de la prescription de fluoroquinolones a été constatée en 2022, elle est restée en-deçà du niveau prépandémique, probablement en raison des restrictions intervenues en 2019 ;
  • en 2023, la diminution de l’utilisation des fluoroquinolones a repris, probablement aussi en raison de ces restrictions et des actions mises en place par l’ANSM.

En 2023, l’usage des fluoroquinolones se répartissait comme suit : la plus prescrite était la ciprofloxacine (39 %), suivie de l’ofloxacine (36 %), la lévofloxacine (23 %) et la moxifloxacine (2 %).

Les médecins généralistes étaient les principaux prescripteurs de fluoroquinolones en ville sur toute la période. En 2023, ils représentaient 83 % des prescripteurs ; 6 % étaient des urologues-néphrologues ; 2 % des ophtalmologues ; 1 % des ORL et 1 % de gynécologues.

Pour l’ensemble de la population française, les taux d’incidence standardisés selon l’âge et le sexe d’utilisateurs de fluoroquinolones étaient de 55 pour 1 000 habitants en 2014 contre 26 pour 1 000 habitants en 2023. Les chercheurs en concluent que si l’utilisation des fluoroquinolones en France a fortement diminué au cours des dix dernières années, elle demeure toujours à un niveau élevé.

Néanmoins, puisque le SNDS ne permet pas d’accéder aux diagnostics établis lors des consultations en ville, cette étude ne permet pas d’analyser ces évolutions au regard des indications des traitements prescrits ni de repérer des éventuels usages hors AMM. Les délivrances de fluoroquinolones prescrites à l’hôpital ne sont pas non plus renseignées dans le SNDS, ce qui conduit à une sous-estimation des chiffres totaux de l’utilisation de ces antibiotiques en France.

Des mésusages persistent

Les centres régionaux de pharmacovigilance de Paris et Marseille ont réalisé une expertise de l’utilisation des fluoroquinolones (ciprofloxacine, lévofloxacine, ofloxacine, norfloxacine, moxifloxacine, loméfloxacine et délafloxacine) et des effets indésirables recensés sur la période de janvier 2017 à fin août 2023.

Ce rapport a confirmé la possibilité de survenue d’effets indésirables très rares, graves, invalidants, persistants et potentiellement irréversibles touchant notamment les muscles, les articulations et le système nerveux (neuropathie périphérique), mais il n’a pas identifié de nouveau signal de pharmacovigilance.

Il a mis toutefois en évidence que certains de ces effets indésirables graves et invalidants ont été rapportés dans des situations de mésusage, c’est-à-dire dans des prescriptions en dehors des recommandations de l’AMM ou des sociétés savantes.

La Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) publiera prochainement une actualisation de ses recommandations de bon usage des fluoroquinolones. En 2023, elle avait rappelé que le risque d’effets indésirables graves mais rares ne devait pas détourner les praticiens de les prescrire dans leurs indications privilégiées, où elles restent le meilleur choix thérapeutique (et qui sont conformes aux restrictions d’usage), comme les infections ostéoarticulaires, ni les patients à refuser un traitement, sous peine d’une perte de chance. Elle rappelait que tous les antibiotiques ne devaient être prescrits que pour les indications qui les justifient et après évaluation de la balance bénéfices-risques, les fluoroquinolones n’échappant pas à cette règle d’or.

Encadre

Que dire à vos patients ?

Ces signes d’alerte doivent amener un patient sous fluoroquinolones à consulter rapidement :

  • gonflement douloureux des tendons ou articulations ;
  • douleurs et/ou faiblesse inhabituelles au niveau des bras ou des jambes ;
  • palpitations ou sensations de battements du cœur irréguliers ou rapides ;
  • difficultés à respirer, gonflement des jambes ;
  • baisse de la vision ou apparition de tout autre trouble oculaire ;
  • rougeurs, irritations ou démangeaisons au niveau de la peau, notamment après une exposition au soleil ou aux rayonnements UV artificiels (lampe à bronzer, solarium…) ;
  • l’apparition de douleurs abdominales, thoraciques ou dorsales soudaines et intenses impose de se rendre immédiatement au service d’urgence d’un hôpital.

En cas de survenue d’un effet indésirable, celui-ci peut être déclaré directement par les patients viawww.signalement-sante.gouv.fr.

Encadre

Situations où les fluoroquinolones ne doivent pas être prescrites

Les fluoroquinolones ne doivent PAS être prescrites :

  • pour traiter des infections non sévères ou spontanément résolutives ;
  • pour prévenir la diarrhée du voyageur ou les infections récidivantes des voies urinaires basses ;
  • pour traiter des infections non bactériennes, comme la prostatite (chronique) non bactérienne ;
  • pour traiter des infections de sévérité légère à modérée (notamment cystite, exacerbation aiguë de la bronchite chronique et de la BPCO, rhinosinusite bactérienne aiguë et otite moyenne aiguë), à moins que les autres antibiotiques habituellement recommandés pour ces infections soient jugés inappropriés ;
  • à des patients ayant déjà eu des effets indésirables graves avec un antibiotique de la famille des quinolones ou fluoroquinolones.

Il est également important de prendre en compte les éventuelles prises antérieures : ne pas prescrire des fluoroquinolones de façon répétée chez un même patient ; tenir compte d’une prescription dans les 6 mois précédents, quelle qu’en soit l’indication.

Éviter l’utilisation concomitante de corticoïdes et de fluoroquinolones car elle augmente le risque de tendinopathie.

En pédiatrie, leur utilisation doit être limitée à des infections le plus souvent documentées sur le plan bactériologique et après avis d’un infectiologue pédiatre.

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