La traumatologie infantile est la première cause de séquelle et d’indemnisation du dommage corporel chez l’enfant. Les garçons sont davantage victimes de fracture que les filles : le risque d’avoir une fracture durant l’enfance est de 40 % et de 27 % respectivement. Le côté non dominant est touché le plus souvent. La fracture du poignet est la plus fréquente : 20 à 35 % des fractures de l’enfant. Le coude est une localisation fréquente nécessitant souvent un traitement chirurgical (encadré).
Particularités physiopathologiques
Périoste et cartilage de croissance
L’os du petit enfant a une structure moins résistante que celle de l’adulte, constituée d’une maquette cartilagineuse (non visible sur une radiographie) qui s’ossifie progressivement au cours de la croissance (fig. 1). En fin de croissance, toute la maquette cartilagineuse a disparu et s’est ossifiée. En revanche, les luxations articulaires sont exceptionnelles, l’os étant moins résistant que la capsule articulaire. Par exemple, les luxations du coude ou de l’épaule sont rares, alors que les fractures supracondyliennes du coude ou les fractures du col chirurgical de l’humérus sont fréquentes.
Le périoste – beaucoup plus épais que chez l’adulte – a une résistance mécanique. Présent d’un cartilage de croissance à l’autre, collé sur la métaphyse et l’épiphyse, il fonctionne en hauban. Lors d’une fracture, il est souvent incomplètement rompu, ce qui permet de guider une réduction ou une stabilisation positionnelle du foyer de fracture. Il produit rapidement (en deux à trois semaines) un cal d’origine périosté qui assure une excellente stabilité de la fracture et évite les déplacements secondaires ; il permet de remodeler la fracture en effaçant les imperfections de la réduction (fig. 2).
Le cartilage de croissance – présent aux deux extrémités des os longs – est mécaniquement faible, peu résistant aux forces de traction axiale et de torsion. Beaucoup de fractures de l’enfant passent donc par celui-ci. Ainsi, une fracture ou un traitement inadéquat peuvent entraîner la destruction d’une partie ou de la totalité du cartilage, avec arrêt de croissance, perte de longueur et désaxation (cf. ci-dessous).
Types de fractures
Certaines fractures sont propres à l’enfant :
- fracture en motte de beurre : il s’agit d’une plicature plastique d’une corticale métaphysaire (fig. 3) ;
- fracture en bois vert : une corticale est pliée mais continue alors que l’autre est rompue (fig. 4) ;
- fracture « plastique » ou « arcuature » : il n’y a pas de fracture mais une courbure plastique s’étendant sur toute la longueur de l’os (fig. 5) ;
- fracture sous-périostée (« en cheveu ») : l’os est fracturé, non déplacé, et le périoste est intact. Chez l’enfant jeune, ce périoste assure la solidité : les enfants peuvent parfois marcher malgré une fracture du fémur ou du tibia ; le diagnostic est porté sur une boiterie et une douleur à la pression osseuse. La radiographie initiale est souvent normale. Ce n’est que quinze jours à trois semaines plus tard qu’un cal osseux apparaît, prouvant ainsi rétrospectivement l’existence de cette fracture sous-périostée ;
- fracture touchant le cartilage de croissance : fractures-décollements épiphysaires.
La classification de Salter et Harris (fig. 6) permet de classer ces fractures et de donner dès l’accident un pronostic sur la croissance résiduelle.
Consolidation des fractures
Les délais sont de 6 à 8 semaines pour une fracture diaphysaire (fémur, jambe), de 4 à 5 semaines pour une fracture métaphysaire (poignet), de 3 semaines pour un décollement épiphysaire qui n’est très instable que pendant les 8 premiers jours.
Séquelles des fractures
Les fractures diaphysaires sont généralement de bon pronostic mais peuvent entraîner une poussée de croissance post-fracturaire pouvant être à l’origine d’inégalités de longueur, habituellement de quelques millimètres mais parfois de plusieurs centimètres (la fracture stimule la croissance par hypervascularisation).
Pour les fractures touchant les zones de croissance (fractures-décollements épiphysaires), la complication la plus redoutable est le pont d’épiphysiodèse. Si le pont est central, il entraîne un arrêt de croissance du cartilage de l’os atteint. Si le pont est périphérique, il entraîne une déviation progressive de l’os atteint. Cette complication est d’autant plus importante que l’enfant est jeune et que la fracture survient sur un segment avec un fort potentiel de croissance (près du genou et loin du coude). La chirurgie dans cette situation ne donne qu’environ 50 % de succès.
Signes cliniques
Il n’y a pas de spécificité clinique pour les fractures de l’enfant, sauf lorsque l’enfant est très jeune et que l’interrogatoire est difficile, voire impossible.
Les principaux signes cliniques dépendent de la localisation de la fracture et de son déplacement : douleurs, attitude antalgique, œdème, déformation, ecchymose, etc.
Les complications importantes à rechercher sont une ouverture cutanée, des troubles vasculaires ou neurologiques.
Si le diagnostic de fracture est suspecté cliniquement, la confirmation est radiographique. Il est presque toujours inutile de demander des radiographies comparatives bien que l’interprétation des radiographies de l’enfant demande une certaine expérience. En effet, en raison des difficultés de réalisation des incidences du côté fracturé à cause de la douleur, les deux séries de clichés ne seront pas identiques, et donc la comparaison entre les deux côtés sera très difficile. Le scanner et l’IRM peuvent être utiles en 2e intention dans certaines indications.
Spécificités de la prise en charge
L’enfant n’est pas un adulte en miniature. Il ne faut pas appliquer les raisonnements et les techniques de la traumatologie de l’adulte sans maîtriser parfaitement l’anatomie du squelette en croissance et ses capacités de cicatrisation spontanée. Le but du traitement est d’assurer la meilleure réduction et la meilleure contention avec le minimum d’agression chirurgicale. Les capacités importantes de remodelage osseux permettent de pousser le traitement orthopédique au maximum et de tolérer quelques « petits défauts » dans la réduction initiale avant l’âge de 10 ans, plutôt que proposer une technique plus invasive.
Les méthodes orthopédiques « conservatrices » sont :
- l’immobilisation plâtrée avec ou sans réduction ;
- la traction continue ;
- les dispositifs particuliers comme pour la méthode de Blount, le plâtre pendant, les attelles « directionnelles »…
Il ne faut pas hésiter chez l’enfant à immobiliser les articulations sus- et sous-jacentes puisque la récupération de la mobilité après une immobilisation ne pose aucun problème.
L’utilisation du plâtre « classique », plus précis, est souvent préférable aux résines synthétiques sur une fracture récente et potentiellement instable (fig. 7).
Le traitement orthopédique par plâtre permet le plus souvent d’éviter un geste chirurgical, mais il nécessite une surveillance particulière et attentive :
- à court terme, il faut surveiller la coloration et la chaleur cutanées, la sensibilité et l’apparition éventuelle de douleurs sur les points d’appui du plâtre (prévention d’escarres) ;
- à plus long terme, tout traitement orthopédique nécessite un suivi médical en consultation pour s’assurer qu’il n’existe pas de déplacement secondaire (radiographie systématique de contrôle à J + 8).
Lorsqu’un traitement chirurgical est nécessaire (déplacement important, fracture articulaire), il doit respecter au maximum l’anatomie du squelette en croissance (cartilage de croissance et périoste) afin de limiter le risque de troubles de croissance iatrogènes.
L’ensemble des techniques chirurgicales (brochage direct, vissage percutané par vis canulée montée sur des broches, embrochage centromédullaire élastique stable…) peut être utilisé sous réserve que la taille des implants soit adaptée et que la technique utilisée soit respectueuse des zones de croissance de l’os. Les ostéosynthèses par plaques ou par clous sont à éviter avant la fin de la croissance.
Complications du traitement
Comme pour l’adulte, des complications immédiates peuvent survenir, comme l’ouverture cutanée du foyer de fracture ou des complications vasculaires ou nerveuses. À la différence de l’adulte, l’enfant se défend mieux contre l’infection et récupère plus facilement d’une lésion nerveuse. Les principales complications secondaires sont :
- le syndrome des loges et sa forme séquellaire (syndrome de Volkmann) : complication redoutable causée par l’hyperpression et l’ischémie des loges musculaires à proximité de la zone fracturée, elle entraîne une rétraction ischémique progressive des muscles et un handicap fonctionnel très important. Le diagnostic précoce repose sur des signes cliniques (douleurs, engourdissement, hypoesthésie et paralysie des muscles). La prise de pression des loges musculaires est nécessaire au moindre doute ;
- les pseudarthroses, exceptionnelles chez l’enfant. Il s’agit souvent d’un simple retard de consolidation qu’il suffit de traiter par une immobilisation un peu plus longue pour obtenir la consolidation ;
- les cals vicieux, qui obéissent aux règles de remodelage osseux.
Enfin, certaines complications sont plus tardives :
- les nécroses épiphysaires par lésions ischémiques, qui concernent surtout la tête fémorale, après fracture du col, la tête radiale et le condyle externe du coude ;
- les raccourcissements et les désaxations des membres par atteinte du cartilage de croissance (épiphysiodèse) ;
- les raideurs articulaires, rares et généralement dues aux fractures articulaires.
Particularités du suivi
Il n’y a pas de risque majoré de complications thromboemboliques liées à la mise en décharge ou à l’immobilisation du membre inférieur. Il est donc inutile jusqu’à la puberté de prescrire des anticoagulants.
Il y a peu de raideurs consécutives aux fractures et aux immobilisations. L’enfant récupère progressivement en quelques semaines à quelques mois une mobilité complète de ses articulations, même après une immobilisation plâtrée prolongée en position non physiologique. Il n’y a donc pas d’indication à la kinésithérapie en traumatologie infantile, sauf cas exceptionnels.
Les séquelles sont souvent de révélation tardive. En cas de doute sur un éventuel trouble de croissance (fractures-décollements épiphysaires de types III, IV et V), il faut donc toujours en avertir l’enfant et ses parents et réaliser au moins un contrôle tardif six à douze mois après la fracture pour vérifier que la croissance se déroule normalement.
Focus sur les fractures du coude et de cheville de l’enfant et de l’adolescent
Les fractures du coude de l’enfant sont parmi les plus fréquentes en traumatologie pédiatrique (8 %), avec un pic de fréquence entre 5 et 9 ans. Elles ne sont pas de diagnostic radiographique facile. Les complications neurologiques peuvent concerner 15 % des patients, principalement du fait de déficits régressifs du nerf radial ou médian. La faible croissance osseuse de la région du coude limite les possibilités de correction spontanée des défauts résiduels après traitement. Le traitement peut nécessiter un abord chirurgical, notamment en cas de fractures articulaires (fracture du condyle latéral ou intercondyliennes). Dans les autres cas : réductions orthopédiques maintenues par des broches ou simple plâtre.
Les fractures de cheville constituent 23 % des traumatismes du membre inférieur de l’enfant ; elles surviennent principalement après l’âge de 11 ans, surtout chez les garçons (accidents de la voie publique ou sportifs). Lorsqu’elles touchent la zone de croissance (fractures-décollements épiphysaires), elles peuvent se compliquer d’inégalité de longueur des membres ou d’un trouble d’axe de la cheville. Lorsqu’elles touchent l’articulation, elles peuvent se compliquer d’arthrose.