Des programmes numériques permettent d’accompagner la prise en charge de l’hypertension artérielle à distance. Si les applications en libre accès pour l’autodépistage et l’autosurveillance de l’HTA commencent à être utilisées couramment par les patients, la prescription médicale de télésurveillance reste très marginale. Quelle est la place de ces différentes technologies ?

Les programmes numériques de prise en charge de l’hyper­tension artérielle (HTA) permettent des interventions digitales conseillant à distance les patients sur l’hygiène de vie, l’observance et la gestion des traitements médicamenteux.1,2 Constatant qu’ils se multiplient, certains experts estiment qu’il n’est plus possible de pérenniser la prise en charge traditionnelle de l’HTA en cabinet médical.1 Vraiment ?

Parcours numérique graduel

Ces outils réalisent un parcours numérique : lors de l’inscription à un programme, les patients effectuent une automesure tensionnelle (AMT) à domicile dont les résultats sont télétransmis, puis analysés par un algorithme et partagés par plusieurs intervenants : médecins, pharmaciens, infirmières, et « coachs » de santé.1 Les interventions non pharmacologiques sont abordées en premier (perte de poids, activité physique, nutrition, alcool, tabac). Un niveau supérieur de l’algorithme fournit des instructions automatisées pour les médicaments (par exemple, mise sous inhibiteurs calciques en première intention, puis antagonistes des récepteurs de l’angiotensine et/ou diurétiques thiazidiques, antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes ou bêtabloquants en quatrième intention, le cas échéant). Au fil du suivi à distance, les traitements sont augmentés régulièrement jusqu’à atteindre l’objectif tensionnel. Les valeurs de pression artérielle (PA) dépassant les seuils de sécurité prédéfinis sont automatiquement partagés par le biais d’alertes. Les algorithmes les plus aboutis prescrivent des analyses biologiques. Après avoir examiné les données cliniques, le médecin et/ou le pharmacien procède à des modifications par prescription électronique. Plusieurs de ces programmes ont fait la preuve de leur efficacité, notamment en Grande-­Bretagne et aux États-Unis.3 - 5

Automesure de la PA à domicile : pierre angulaire du suivi à distance

L’AMT est la pierre angulaire de la prise en charge de l’HTA à distance car elle combine ses avantages (détection de l’HTA blouse blanche et de l’HTA masquée notamment) aux facilités de transmission via les nouvelles technologies de l’information.6 Il existe de nombreux tensiomètres fiables, peu coûteux et faciles à utiliser, mais les nouveaux dispositifs sans brassard (bracelets, montres connectées et applications évaluant la PA au moyen de la caméra d’un smartphone) ne doivent pas être utilisés pour la prise de décision médicale.7 - 9

La transmission des valeurs de PA se fait soit par saisie manuelle via des formulaires en ligne avec les tensiomètres conventionnels (dont l’usage reste très largement prédominant), soit automatiquement avec les appareils connectés. Grâce aux plateformes de télémédecine, les professionnels accèdent directement aux données, avec les outils dits de e-santé utilisés à l’initiative des patients – ces derniers décidant de communiquer, ou pas, leurs données aux professionnels de leur choix. Les obligations réglementaires de sécurité et de confidentialité des données sont plus contraignantes dans le cadre de la télémédecine.

Télésurveillance : efficace selon les études, mais encore peu confrontée à la vie réelle

La télésurveillance est la transmission des valeurs de PA mesurées à domicile vers un serveur de télé­médecine, où elles sont stockées, analysées puis examinées par un professionnel de santé. Dans ce contexte, les principes de la relation patient-clinicien sont maintenus : le clinicien décide de l’initiation et de la fin de la période de télésur­veillance et a la responsabilité des décisions médicales avec possibi­lité de communiquer avec le patient.

Selon certaines études, la télésurveillance obtient de meilleurs taux de contrôle de l’hypertension qu’un suivi usuel.10,11 Une méta-analyse de 23 essais randomisés (n = 7 037 patients) a montré que la télésurveillance pendant six mois était associée à des réductions significativement plus importantes de PA (moyenne et intervalle de confiance à 95 % : 4,7 mmHg  [6,2 - 3,2] pour la PA sys­tolique et 2,5 mmHg [3,3 - 1,6] pour la diastolique ; p < 0,001 pour les deux) que les soins usuels (fondés sur des mesures périodiques de la PA et des visites au cabinet médical, sans surveillance à distance de la PA).12 Dans l’étude HOME BP, après un an, les valeurs moyennes de PA ont diminué en moyenne de 3,4 mmHg (- 6,1 / - 0,8) pour la systolique et de 0,5 mmHg (- 1,9 / - 0,9) pour la diastolique.13

La télésurveillance ne doit cependant pas être surévaluée. Son niveau de preuve est modéré pour la réduction de la PA et même très faible pour l’amélioration de l’observance du traitement ou la réduction des décès ou des hospitalisations.14

Les évaluations financières don­nent des résultats contradictoires, et certaines études montrent que les coûts sont significativement (p < 0,0001) plus élevés dans le groupe de télésurveillance.11,14

La capacité de la télésurveillance à réduire la fréquence des consultations est mal documentée, car il est difficile de transposer les modalités des essais cliniques à la pratique courante. Enfin, les problèmes d’interfaçage avec les autres logiciels de soins subsistent.

Autogestion et m-santé*, utiles pour l’éducation et le triage, mais attention à la qualité des applications  !

L’autogestion est définie comme une stratégie visant à aider les patients à diagnostiquer eux-mêmes leur HTA ou à contrôler leur PA, après avoir effectué une AMT. Les interventions numériques au moyen de programmes ont le potentiel de soutenir les personnes dans l’autogestion. Une compilation d’essais contrôlés randomisés portant sur une intervention fondée sur une application chez les hypertendus montre que les interventions par smartphone entraînent une réduction de la PA et une augmentation de l’adhésion au traitement.12 Selon cette analyse, un effet global significatif a été observé en faveur de l’intervention par smartphone (différence de PAS moyenne de - 2,28 [- 3,90 - - 0,66]). Mais il existe d’autres études ne démontrant pas clairement que les applications permettent d’obtenir un meilleur contrôle de la PA.15,16

La qualité des applications doit être vérifiée et le médecin doit éviter de recommander des outils conçus par des start-up sans collaboration suffisante avec des professionnels de santé : certains algorithmes méconnaissent les différences de seuils de PA au cabinet et au domicile ; fondent leur algorithme sur des mesures uniques et non sur une moyenne d’un nombre minimal de plusieurs mesures ; la plupart ne prennent pas en compte le profil médical de l’utilisateur ; peu font l’objet d’évaluations publiées ; enfin, la plupart gardent leur algorithme secret au motif de la propriété industrielle. En pratique, peu d’applications mobiles pour l’HTA peuvent être considérées comme sûres pour une utilisation clinique.

Certaines applications permettent un triage des patients dans le parcours de soins. Pour la France, l’outil nommé Hy-Result, validé par les équipes du centre d’hypertension artérielle de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris) et cautionné par la Société française d’hypertension artérielle (SFHTA), aide les patients à suivre les bonnes pratiques d’AMT et signale à ses utilisateurs le dépassement des seuils de PA recommandés en fonction de leur profil médical (figure). L’algorithme génère automatiquement des explications et conseils incitant le patient à prendre contact avec le médecin si besoin.17,18 Sur 18 000 séquences d’automesure (avec un minimum de 15 mesures sur 3 jours consécutifs) réalisées en France en 2022, 43 % se sont avérées au-­dessus des seuils, une proportion en adéquation avec les données de Santé publique France.19,20

Il existe aussi l’application depist–HTA (https ://www.suivihta.net/depisthta.html), mise au point par la Fondation de recherche sur l’HTA pour favoriser l’autodépistage de l’HTA.

Télésurveillance pour des patients sélectionnés et autogestion pour tous ?

Télésurveillance et autogestion sont différents sur plusieurs points (tableau).

La télésurveillance implique que les patients soient capables de suivre des instructions à distance et acceptent l’adaptation du traitement sans rencontrer un médecin en personne. Ceci n’est pas évident si l’on se réfère au recrutement des patients de l’étude de HOME BP : sur 11 400 patients contactés, les motifs de refus indiqués étaient le manque d’accès à internet (41 %) et le souhait de ne pas changer de traitement (21 %).9 La télésurveillance doit donc être réservée aux patients qui nécessitent une adaptation rapide des traitements, par exemple l’HTA maligne, l’HTA résistante, l’HTA de la grossesse.3 Attention ! les contraintes sont différentes pour les programmes de télésur­veillance des patients ayant une insuffisance cardiaque dont la PA est plutôt basse et pour lesquels les valeurs de poids et de fréquence cardiaque sont importantes.

Comparés à la télésurveillance, les programmes d’autogestion sont de diffusion simple et peu coûteux ; ils répondent à moins de contraintes réglementaires et ne consomment que peu de temps médical. En pratique, il faut oser confier aux patients l’autosurveillance de leur HTA, par exemple en leur conseillant l’application validée Hy-Result qui favorise l’engagement du patient dans sa prise en charge.21. Disponible gratuitement depuis le site automesure.com, cet outil a fait l’objet de plusieurs validations.

Capacité financière et acceptation sociale sont déterminants pour le déploiement des programmes numériques

En France, la « révolution digitale » annoncée par les auteurs nord-américains n’a pas encore amorcé de tournant décisif. Si les applications en libre accès pour l’autodépistage et l’autosurveillance de l’HTA commen­cent à être utilisées couramment par les patients, la prescription médicale de télésurveillance de l’HTA reste très marginale. Pour l’avenir, la place des programmes digitaux sera probablement favorisée par le déséquilibre entre le grand nombre d’hypertendus et une disponibilité de soignants en tension. Alors la classique succession de consultations au cabinet médical s’en trouvera impactée. Pour l’heure, outre les difficultés de financement, il existe des freins humains : les soignants formés à la pratique médicale en face à face souhaitent-ils se placer des heures devant un écran pour traiter les données de centaines de patients ? Quelle proportion de patients souhaite être soignée à distance et quelle confiance accordent-ils aux algorithmes ? 

* La m-santé ou santé mobile désigne les pratiques médicales et de santé publique reposant sur des dispositifs mobiles tels que téléphones portables, systèmes de surveillance des patients, assistants numériques personnels et autres appareils sans fil.
Références
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Résumé

Les programmes numériques de prise en charge de l’hypertension artérielle (HTA) permettent des interventions digitales conseillant à distance les patients sur l’hygiène de vie, l’observance et la gestion des traitements médicamenteux. Dans le cadre de la télésurveillance, ces outils réalisent un parcours numérique de l’automesure jusqu’à la prescription. Avec une autosurveillance, l’algorithme permet une éducation et un triage du parcours. Plusieurs de ces programmes ont fait la preuve de leur intérêt. Si les applications en libre accès pour l’autodépistage et l’autosurveillance de l’HTA commencent à être utilisées couramment par les patients, la prescription médicale de télésurveillance de l’HTA reste très marginale en France. Outre les difficultés de financement, il existe des freins humains : quelle proportion de patients voudra être soignée à distance et quelle confiance vont-ils accorder aux algorithmes ?