Plus de 60 000 infections par an en France
Endémique dans les pays en voie de développement, l’hépatite E est maintenant une cause fréquente d’hépatite aiguë virale en France, avec de nombreux cas autochtones, du fait d’un réservoir animal (porc ou faune sauvage). Le virus responsable (VHE) est un petit virus non enveloppé à ARN simple brin (7,2 kb) du genre Hepevirus, de la famille des Hepeviridae. Il existe 4 génotypes : les 1, 2 et 4 sont retrouvés en Asie et en Afrique ; le 3 est le seul présent en France et en Amérique du Nord (mais il circule sur l’ensemble des continents).
Dans les pays à forte endémie (régions tropicales et subtropicales aux conditions sanitaires précaires), les épidémies touchent surtout l’adulte jeune (15 - 40 ans), par une transmission orofécale. En France, elles concernent plutôt les hommes (60 - 75 %) de 55 à 60 ans ; la contamination est alimentaire ou par contact avec des animaux (porcins).
L’hépatite E fait désormais l’objet d’une surveillance par le Centre national de référence (CNR) des virus des hépatites à transmission entérique. Depuis 2022, environ 3 000 cas symptomatiques ont été recensés, dont plus de 98 % de cas autochtones (tableau 1). Cette augmentation progressive du nombre de cas s’explique par une vigilance accrue des cliniciens.
En effet, une enquête réalisée en 2011 – 2012 avait déjà estimé la séroprévalence nationale à 22,4 %, variant de 8 à 86,4 % selon la zone géographique, avec en tête le Sud-Ouest, le Sud-Est et le Nord-Est de la France. L’importante séroprévalence dans ces régions ne pouvant pas être expliquée par la seule consommation de produits à base de porc, une exposition hydrique pourrait également y contribuer. Les données issues du dépistage génomique chez les donneurs de sang indiquent 1 634 cas asymptomatiques en 2023 conduisant à une incidence d’environ 1/1 000 avec des variations régionales allant de 0,5/1 000 (Nord-Ouest) à 2/1 000 (Sud-Ouest). En conséquence, le nombre des infections à VHE en France est probablement supérieur à 60 000 par an.
Trois formes de la maladie
L’incubation dure un à deux mois, mais l’excrétion virale dans les selles devient positive 3 semaines après la contamination, avant les signes cliniques. La virémie est brève, débute au même moment que l’excrétion fécale et se négative en 1 à 2 semaines.
Dans plus de 70 % des cas, l’infection est asymptomatique. Lorsqu’elle est symptomatique, la maladie peut se manifester sous trois formes :
- Hépatite E aiguë : les formes symptomatiques sont plus fréquentes chez les jeunes (15 - 35 ans) dans les pays émergents et chez les plus de 55 ans dans les pays riches. Des épisodes sévères (hépatite aiguë fulminante) peuvent survenir chez les patients immunodéprimés ou porteurs d’une pathologie hépatique sous-jacente (hépatopathies chroniques, en particulier alcooliques).
- Hépatite E chronique : caractérisées par la persistance virale (cytolyse et VHE dans le sang ou les selles pendant 3 - 6 mois), ces formes induisent une atteinte inflammatoire chronique du foie ; elles concernent surtout les patients immunodéprimés.
- Manifestations extrahépatiques : sont observées au cours des infections aiguës ou chroniques par le VHE dans environ 15 % des cas. Parmi elles, des atteintes neurologiques et rénales (glomérulopathies) sont décrites (tableau 2).
La mortalité est de 1 %.
Prise en charge
Les anomalies du bilan hépatique sont superposables à celles de l’hépatite A aiguë. Le diagnostic se fait par dosage des IgM anti-VHE. La présence d’IgG seules est en faveur d’une infection guérie. La RT-PCR virale est réalisée dans le sang et les selles en cas de doute diagnostique (sérologie négative chez l’immunodéprimé).
La prise en charge non spécifique est la même que celle de l’hépatite A. Chez les patients immunodéprimés (transplantation rénale ou hépatique, par exemple) ou ayant une forme grave (sur hépatopathie chronique) : traitement par ribavirine à la dose de 800 mg par jour.
Modes de transmission en France : gare à la viande de porc crue
Les réservoirs du VHE sont les humains et les animaux, essentiellement le porc et autres suidés, malades ou asymptomatiques, qui éliminent le virus dans leurs matières fécales et leur urine. En France, une enquête nationale en 2009 sur la prévalence des anticorps anti-VHE chez les porcs d’élevages à l’abattoir a permis d’estimer que 65 % des élevages étaient contaminés. Les fortes séroprévalences étaient associées à des mélanges importants d’animaux en post-sevrage et à des conditions d’hygiène défavorables. De plus, l’analyse de 3 715 foies a montré que 4 % contenaient de l’ARN viral. Plus récemment, en Corse, en 2022, la séroprévalence était de 88 % (1 096/1 238) ; elle était plus forte chez les porcs plus âgés ou provenant d’élevages extensifs.
Le virus peut être retrouvé dans l’environnement des abattoirs – contaminant les surfaces, les ustensiles de découpe et même à l’extérieur (camions de transport) –mais aussi dans les eaux usées et dans les eaux de surface ou souterraines quand l’assainissement des eaux usées ou le traitement et l’épandage des lisiers sont mal maîtrisés.
En France, les cas documentés rapportent une transmission associée à l’ingestion d’aliments contaminés issus d’un animal porteur du virus : produits à base de foie de porc cru, frais ou mi-sec (saucisses sèches et fraîches de foie, foie salé séché, pâtes à quenelles de foie, figatelli, etc.).
Par leur contact avec des animaux vivants ou leurs carcasses, certains professionnels sont plus exposés : vétérinaires, éleveurs de porcs, forestiers, chasseurs, personnes travaillant dans les abattoirs.
Enfin, la transmission peut exceptionnellement avoir lieu par transfusion de produits sanguins labiles dont la contribution dans la diffusion du virus chez l’homme semble cependant limitée. La voie de transmission materno-fœtale a été rapportée dans les pays en développement, mais n’a jamais été documentée pour les génotypes qui circulent dans les pays riches.
Renforcer la prévention
La prévention primaire passe par la cuisson suffisante de la viande, en particulier la viande de porc. Autour d’un cas infecté, des mesures d’hygiène simples doivent être mises en place, pour éviter la transmission orofécale pendant toute la durée d’excrétion virale dans les selles. Lespersonnes sensibles doivent être informées sur les risques liés à l’hépatite E et les moyens de prévention de cette maladie.
Ainsi, l’Anses recommande de :
- se laver soigneusement les mains, avant la préparation et la prise des repas et après manipulation de foie de porc cru ;
- se laver soigneusement les mains à la sortie des toilettes, et après des soins aux personnes atteintes d’hépatite E. Les personnes qui ont ou ont récemment eu une hépatite doivent éviter de manipuler des aliments ;
- entretenir les surfaces et les ustensiles (grattage, lavage à l’eau chaude et au détergent) immédiatement après chaque utilisation, et en particulier après manipulation de foie de porc cru, de contact avec les animaux vivants, les carcasses ou les produits animaux ;
- cuire suffisamment les aliments : cuisson à cœur des aliments destinés à être consommés cuits (en particulier les produits à base de foie cru de suidés ou cervidés). Tous les aliments contenant du foie de porc cru (figatelli, saucisses de foie de porc crues, fraîches ou sèches, quenelles de foie) sont des aliments à risque et ne doivent pas être consommés crus.
Ces recommandations doivent être tout particulièrement suivies par les populations ayant une sensibilité particulière vis-à-vis de ce virus : les personnes sous traitement immunosuppresseur ou ayant une maladie hépatique sous-jacente et les femmes enceintes (plus de précisions dans l’encadré).
Dans le cadre professionnel :
- Pour les professionnels exposés (notamment les éleveurs de porcs, vétérinaires, techniciens ou en contact avec des carcasses ou des animaux vivants) : se protéger en s’équipant de protections individuelles, respecter les bonnes pratiques d’hygiène, les mesures de stockage appropriées des déchets et cadavres d’animaux.
- Pour le personnel de cuisine ou toute personne amenée à manipuler des aliments, surtout si ces aliments sont destinés à être consommés crus ou peu cuits : compte tenu du risque de transmission orofécale, mettre en œuvre des bonnes pratiques d’hygiène.
Populations sensibles
Personnes ayant une maladie hépatique sous-jacente avec risque d’hépatite fulminante.
Sujets immunodéprimés avec risque d’hépatite chronique et de cirrhose (personnes transplantées d’organes solides, personnes recevant des cellules souches hématopoïétiques, personnes atteintes d’hémopathie maligne, personnes atteintes de maladies rhumatologiques traitées par immunosuppresseurs et personnes infectées par le VIH avec un faible nombre de lymphocytes TCD4).
Femmes enceintes dans les pays en développement (VHE- 1 et VHE- 2).
Anses. Avis de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation 2013 relatif à la « demande d’évaluation du risque lié à la contamination des produits de charcuterie à base de foie cru par le virus de l’hépatite E (VHE) ». 17 février 2013.
Afssa. Avis relatif au risque de contamination humaine par le virus de l’hépatite E (VHE) après ingestion de figatelli (saucisses crues à base de foie de porc). 30 avril 2009.
Afssa. Avis relatif au virus de l’hépatite E : méthodes de détection, risques pour le consommateur et risques liés à l’environnement. 23 septembre 2009.
Hartig-Lavie K, Bailly F, Lebossé F, et al. Item 163. Hépatites virales : hépatites E. Rev Prat 2020;70(2);e59-68.