La question de savoir si le moment de la prise des antihypertenseurs (soir ou matin) influence les résultats de prévention cardiovasculaire est longtemps restée en suspens, en raison de la publication de résultats contradictoires. Les nouvelles données issues d’essais randomisés, menés à la fois au sein de la population générale et chez les personnes âgées fragiles, ont tranché.

Un bénéfice de la prise vespérale des antihypertenseurs avait été suggéré par certaines études publiées il y a quelques années, notamment les essais MAPEC et HYGIA (conduits sur 2 000 et 19 000 sujets respectivement). Dans HYGIA, par exemple, cette modalité de prise améliorait le contrôle de la PA et réduisait de 45 % la survenue d’événements cardiovasculaires. Mais ces résultats, très discutés en raison d’incohérences dans le protocole et de possibles erreurs de randomisation, n’ont pas été répliqués par la suite. 

Des études postérieures ont, au contraire, infirmé cette hypothèse. L’essai randomisé TIME notamment, conduit sur plus de 21 000 personnes, a montré en 2022 qu’il n’y avait pas de différence d’efficacité du traitement antihypertenseur selon l’heure de la prise (incidences comparables d’infarctus du myocarde, AVC et décès d’origine vasculaire).

Plus récemment, deux nouveaux essais randomisés viennent non seulement confirmer l’équivalence des deux stratégies, mais étendent ces conclusions – pour la première fois – aux sujets très âgés et fragiles, pour lesquels persistait l’interrogation d’une possible augmentation d’effets indésirables avec la prise vespérale (glaucome, hypotension orthostatique, chutes…). Ces deux études viennent de paraître dans le JAMA.

Pas de différences significatives, ni dans le bénéfice ni sur les effets indésirables

Pour le premier essai, BedMed , les chercheurs ont recruté, entre 2017 et 2022, 3 357 patients sous traitement antihypertenseur (âge médian : 67 ans ; 56 % de femmes) dans plus de 400 centres de soins primaires au Canada. Environ la moitié des participants suivaient une monothérapie, un peu plus d’un tiers prenaient deux médicaments et le reste en prenaient au moins trois. L’intervention concernait les médicaments à prise unique quotidienne.

Les patients ont ainsi été répartis aléatoirement pour prendre leurs antihypertenseurs soit le soir au coucher (N = 1 677), soit le matin (N = 1 680).

Au cours du suivi, qui a duré 4,6 ans en moyenne, les chercheurs ont comparé l’incidence des décès (toutes causes confondues) et des hospitalisations ou visites aux urgences pour AVC, syndrome coronarien aigu ou insuffisance cardiaque entre les deux groupes (critère principal). Les critères secondaires comprenaient les hospitalisations non planifiées toutes causes confondues, les fractures, les diagnostics de glaucome, le déclin cognitif à 18 mois, les chutes, syncopes et les épisodes d’hypotension orthostatique.

Résultat : aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes pour le critère principal, avec une incidence de 2,3 vs 2,4 événements pour 100 patients-années respectivement pour les groupes « soir » et « matin » (hazard ratio ajusté : 0,96 ; IC 95 % : 0,77–1,19 ; p = 0,70). De même, aucun des critères secondaires n’a différé de manière significative entre les groupes.

Les résultats sont les mêmes chez les sujets âgés fragiles

Ces mêmes chercheurs ont ensuite voulu savoir si ces résultats différaient chez les patients plus âgés et fragiles, a priori plus vulnérables aux effets délétères d’une prise vespérale des antihypertenseurs.

Pour cela, ils ont réalisé entre 2020 et 2023 l’essai randomisé ouvert BedMed-Frail , ils ont donc recruté dans 13 établissements de santé canadiens – Ehpad et apparentés – 776 sujets âgés d’âge médian 88 ans (72 % de femmes). La grande majorité avait un diagnostic de démence (86 %), environ la moitié avait un diabète et près de 40 % une coronaropathie.

Résultats : sur un peu plus d’un an de suivi, aucune différence significative n’a été observée entre les groupes en matière de décès toutes causes (qui étaient l’événement le plus fréquent, 92 % du total), hospitalisations ou visites aux urgences pour AVC, syndrome coronaire aigu ou insuffisance cardiaque (aHR : 0,88 ; IC 95 % : 0,71 - 1,11 ; p = 0,28). Aucune différence significative n’a été observée non plus pour les critères secondaires – dont chutes, fractures, ulcères de décubitus ou détérioration cognitive –, sauf pour les hospitalisations et passages aux urgences toutes causes confondues, qui étaient moins fréquentes dans le groupe prenant les médicaments le soir (aHR : 0,74 ; IC 95 % : 0,57 - 0,96 ; p = 0,02).

Deux conclusions peuvent être tirées de ces travaux, précise le Dr Sandra Taler (néphrologue, Mayo Clinic) dans un éditorial accompagnant les deux articles. Tout d’abord, « si quelque chose semble trop beau pour être vrai, c’est que c’est probablement faux ». Ainsi, les résultats des essais ayant trouvé un bénéfice spectaculaire de la prise vespérale d’antihypertenseurs sont infirmés par un nombre croissant d’études… Ensuite, si ces derniers travaux confirment que l’heure de la prise des antihypertenseurs n’a pas d’effet sur l’incidence des événements cardiovasculaires ni la survie, ils montrent aussi qu’une prise le soir est bien possible sans augmentation des effets indésirables.

Autrement dit : l’accent doit être mis sur l’observance, donc sur l’horaire préféré par le patient, qu’il s’agisse du matin ou du soir…

Pour en savoir plus
Taler SJ. Morning or Nighttime Medication Dosing—Does It Matter in the Treatment of Hypertension? JAMA Netw 12 mai 2025.
SJ Garrison, JA Bajal, MR Kolber, et al. Antihypertensive Medication Timing and Cardiovascular Events and Death  JAMA Netw 12 mai 2025.
SJ Garrison, Youngson ERE, Perry DA, et al. Bedtime vs Morning Antihypertensive Medications in Frail Older Adults. JAMA Netw 12 mai 2025.

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