L’administration d’hydroxychloroquine (HCQ) aux patients hospitalisés pour Covid- 19 durant la première vague pandémique aurait causé près de 17 000 décès, selon une étude française qui vient d’être publiée dans Biomedicine and Pharmacotherapy.1 Cette revue systématique et méta-analyse a inclus 44 études de cohorte conduites dans six pays (France, Belgique, Italie, Espagne, Turquie, États-Unis) sur près de 100 000 patients au total, pendant le premier semestre 2020. Pour rappel, la prescription d’HCQ dans le traitement du Covid- 19 avait été autorisée à l’époque à titre compassionnel dans un contexte d’urgence, dans de nombreux pays ; cette pratique a été arrêtée lorsque des essais randomisés publiés par la suite ont mis en évidence son inefficacité dans cette indication.
Les résultats de cette étude sont fondés sur la combinaison des données suivantes :
- Les taux de mortalité des patients concernés : estimés par une méta-analyse, en « poolant » les taux rapportés dans chacune des études incluses (puis une analyse de sensibilité a été menée en utilisant les taux de mortalité hospitalière provenant de sources plus vastes, comme les données nationales de surveillance) ;
- L’exposition de ces patients à l’HCQ : estimée pour chaque pays en utilisant la médiane de la fourchette des taux de prescription d’HCQ rapportés dans ces études ; ces taux variaient beaucoup selon les pays, allant de 16 % (France) à 84 % (Espagne) ;
- Le nombre total de patients hospitalisés pour Covid dans chacun des pays étudiés : issu des bases de données nationales ;
- Le sur-risque de mortalité associé à la prise d’HCQ chez les patients hospitalisés pour Covid- 19 : donnée issue d’une précédente méta-analyse d’essais randomisés (notamment Recovery et WHO Solidarity qui ont utilisé la molécule à hautes doses) publiée en 2021 dans Nature ; selon cette étude, la prise d’HCQ dans ce contexte était associée à un odds ratio de 1,11 (IC95 % : 1,02 - 1,20) pour la mortalité toutes causes confondues, soit une augmentation de 11 % du risque de mourir.
Les chercheurs ont ainsi pu estimer que l’administration d’HCQ aux patients hospitalisés pour Covid aurait entraîné 16 990 décès au total dans ces pays (fourchette allant de 6 267 à 19 256) pendant la première vague. Le nombre médian estimé de décès liés à l’HCQ dans ce contexte était de 199 en France, 240 en Belgique, 1 822 en Italie, 1 895 en Espagne, 95 en Turquie et 12 739 aux États-Unis.
Les causes sous-tendant cette mortalité n’ont pas pu être évaluées, mais les auteurs évoquent le risque cardiaque connu de cette molécule, notamment des troubles de la conduction (dans l’essai Recovery, par exemple, le risque d’arythmie cardiaque liée à l’HCQ chez les patients Covid était de 8,2 % versus 6,3 % dans le groupe recevant le traitement standard).
Plusieurs limites méthodologiques
Les auteurs soulignent que ces chiffres sont probablement sous-estimés, tant à l’échelle mondiale (puisque cette étude n’a porté que sur six pays, excluant ceux où la prescription d’HCQ pour le Covid était la plus répandue, comme le Brésil ou l’Inde) que nationale (car les patients non hospitalisés ayant pris de l’HCQ hors AMM pour le Covid n’ont pas été pris en compte).
Néanmoins, les limites méthodologiques de cette étude, reconnues par les auteurs, conduisent à considérer ces chiffres avec prudence : pour certains pays inclus, dont la France, les données sur la prescription d’HCQ étaient peu nombreuses ; les taux de mortalité étaient très variables selon les hôpitaux et les régions ; l’intervalle de confiance du sur-risque de mortalité associé à l’HCQ utilisé comme donnée de base pour les estimations était très large (2 % à 20 %). En raison de l’amplitude de cet intervalle de confiance notamment, les résultats pourraient être soit surestimés d’un facteur cinq soit sous-estimés d’un facteur deux.
Le Pr Jean-Christophe Lega (Hospices civils de Lyon, université de Lyon), dernier auteur de l’étude, explique : « Nous avons essayé de produire un ordre de grandeur, et nous revendiquons une imprécision dans les chiffres ». En effet, l’objectif de ces estimations était plutôt de souligner le risque inhérent au repositionnement de médicaments dans des contexte d’urgence, fondé sur des preuves de faible qualité, des extrapolations ou des spéculations.
Des pistes d’amélioration « en cas de nouvelle pandémie »
Les auteurs soulignent ainsi que ces résultats étayent la nécessité de mettre en place des mesures plus restrictives pour les prescriptions hors AMM dans les situations d’urgence et d’incertitude comme les épidémies. Ces prescriptions hors AMM « empiriques » deviennent d’autant plus injustifiables, selon eux, que la pandémie de Covid a facilité la mise en place plus rapide d’essais randomisés pour tester l’efficacité des molécules, sans devoir recourir à des approches non fondées sur des preuves.
« Les autorités politiques ne devraient pas promouvoir la prescription de médicaments qui n’ont pas été formellement évalués, ce qui peut conduire à de faux espoirs sur l’existence d’une solution à des crises sanitaires complexes », insistent les auteurs – les crises sanitaires étant effectivement des contextes particulièrement propices à ce type de dérives. Rappelons qu’Emmanuel Macron a rendu visite à Didier Raoult à l’IHU de Marseille en avril 2020, une visite interprétée par beaucoup comme une validation de la conduite thérapeutique de l’institut, déjà amplement remise en cause à l’époque.
Bien que les études internationales aient largement démontré l’absence d’efficacité de l’HCQ en cas de Covid,2 - 4 les équipes de l’IHU de Marseille n’en démordent pas et continuent de publier – en octobre 2023 ! – des articles « montrant » son efficacité... (L’ANSM a saisi la justice à la suite de la publication de cette étude, qu’elle dit ne pas avoir autorisée et avoir été conduite sans l’avis favorable d’un comité de protection des personnes, deux autorisations obligatoires pour garantir la sécurité des patients.)
D’autres études sont en cours, menées par la même équipe de Lyon, pour évaluer les autres médicaments qui, comme l’HCQ ont été repositionnés pour traiter le Covid au début de la pandémie, alors que les données faisaient encore défaut : « Nous reprenons l’ensemble des prescriptions dans le monde, et les résultats préliminaires invitent à la prudence. » Pour lui, ces études sont un « retour d’expérience pour [s’]améliorer en cas de nouvelle pandémie ».
2. The RECOVERY Collaborative Group. Effect of Hydroxychloroquine in Hospitalized Patients with Covid-19. N Engl J Med 2020;383:2030-2040.
3. Avezum Á, Oliveira GBF, Oliveira H, et al. Hydroxychloroquine versus placebo in the treatment of non-hospitalised patients with COVID-19 (COPE – Coalition V): A double-blind, multicentre, randomised, controlled trial. Lancet Reg Health Americas 2022;11:100243.
4. Boulware DR, Pullen MF, Bangdiwala AS, et al. A Randomized Trial of Hydroxychloroquine as Postexposure Prophylaxis for Covid-19. N Engl J Med 2020;383:517-525.