Hypersensibilité au bruit : symptomatologie otologique fréquente et peu connue, longtemps négligée, parfois responsable d’une altération majeure de la qualité de vie.
Associée le plus souvent à d’autres pathologies auditives (acouphène, hypoacousie…) ou neuropsychologiques (troubles envahissants du développement, par exemple).
Plusieurs types d’intolérance au bruit
– Hyperacousie d’intensité : sons perçus comme plus forts, mais ni douloureux ni gênants.
– De douleur : otalgie uni- ou bilatérale pouvant irradier à la mâchoire, au cou ou à la tête provoquée par les stimulus sonores, même d’intensité faible.
– De gêne ou « misophonie » :inconfort (irritabilité, dégoût déclenché par certains sons) sans qu’ils soient perçus comme anormalement forts ou douloureux.
– De peur ou « phonophobie » : craintes et anticipations anxieuses préalables à l’exposition (peur de léser son système auditif ou d’intensifier sa sensibilité au bruit).
De sévérité variable, ces différents troubles sont parfois associés, expliquant la grande disparité des tableaux cliniques.1
Fréquence et nosologie
Prévalence : estimée à 10 % de la population générale.2
Chez l’enfant évoquer :
–un trouble du spectre autistique en présence d’autres distorsions perceptives sensorielles ;
– un désordre génétique : trisomie 21, syndrome de l’X fragile ou, surtout, syndrome de Williams-Beuren (délétion partielle du chromosome 7) où l’hyperacousie est quasi systématique (www.autourdeswilliams.org).
Chez l’adulte, elle est associée :
– à différents troubles psychopathologiques (anxiété, dépression) ;
– mais aussi à : maladie de Lyme, sclérose en plaques, maladies auto-immunes (lupus, sclérodermie) ;
– acouphène subjectif +++ : 50 % des sujets acouphéniques sont intolérants aux sons et 90 % des hyperacousiques ont un acouphène, suggérant des mécanismes physiopathologiques communs entre ces 2 pathologies.
Physiopathologie : quelles hypothèses ?
En dépit de l’absence de modèle animal capable d’intégrer les différentes dimensions – perceptive, cognitive et psychologique – de l’hyperacousie, de nombreux mécanismes, non mutuellement exclusifs, sont évoqués :
– atteintes cochléaires et péricochléaires induites par les traumatismes sonores, qui touchent préférentiellement les fibres neuronales codant pour les fortes intensités sonores, expliquant la distorsion perceptive à fort niveau même sans altération des seuils audiométriques ;
–libération d’endorphines intracochléaires en cas de stress psychologique, qui pourrait rendre compte du cercle vicieux entre hyperacousie et manifestations de type anxieux ou dépressif ;
– contraction persistante du muscle tenseur du tympan induite par une exposition sonore même brève : serait responsable d’une cascade d’événements auto-entretenue (par activation du système trigéminal), entraînant un « syndrome du choc acoustique », caractérisé par une douleur chronique, ayant une sémiologie otologique et psychologique complexe.
Parmi les mécanismes centraux, témoignant d’un dysfonctionnement des voies auditives cérébrales généralement induit par une lésion périphérique, ont été incriminées :
– l’altération de production de neuromédiateurs comme la sérotonine ;
– l’hyperactivité neuronale le long des voies auditives cérébrales ;
– les perturbations de l’adaptation du gain central.*
Enfin, des modèles physiopathologiques de type cognitif considèrent que les pensées et les comportements dysfonctionnels sont source d’entretien et de pérennisation des symptômes3 (par exemple, adopter des stratégies d’évitement et se surprotéger majore la sensibilité du système auditif et donc l’intolérance au bruit).
L’objectif des thérapies cognitives et comportementales est de modifier ces schémas de pensées et attitudes dysfonctionnels.
Bilan paraclinique
En l’absence de marqueur objectif, on apprécie essentiellement l’altération de qualité de vie via les échelles visuelles analogiques (EVA) et le questionnaire de sensibilité auditive.
Ce dernier évalue en 14 items l’impact de l’hyperacousie sur 3 dimensions : attentionnelle, sociale, émotionnelle ; score > 28 : forte hypersensibilité auditive.
L’examen psychoacoustique (audiométrie, tests d’intelligibilité dans le bruit, évaluation des seuils d’inconfort) en apprécie la dimension perceptive.
Attention : toute exploration exposant un patient hyperacousique à un niveau sonore important (potentiels évoqués auditifs, IRM…) doit être prudente car elle peut aggraver la symptomatologie, entamant la confiance patient/médecin.
Prise en charge : multidisciplinaire
Après évaluation des pathologies sous-jacentes (génétiques, infectieuses, auto-immunes, neurologiques ou psychiatriques), la prise en charge implique ORL, audioprothésistes et psychologues.4
Aucun médicament n’a démontré d’efficacité.
Des molécules anxiolytiques ou antidépressives peuvent être proposées – si besoin après avis psychiatrique – en cas d’anxiété ou de trouble de l’humeur sévères.
Les thérapies sonores :
– visent à désensibiliser progressivement l’hyperréactivité des voies auditives centrales en stimulant le système auditif par des sons contrôlés en volume et en fréquence (certains hyperacousiques ont tendance à s’isoler, à tort, dans un monde artificiellement silencieux en utilisant bouchons et casques antibruit) ;
– l’avis de l’audioprothésiste est souvent nécessaire ;
– on utilise des systèmes de diffusion de sons moins contraignants et coûteux : chaîne hi-fi, haut-parleurs ou écouteurs possédant une bande passante suffisamment large, voire certains modèles d’aides auditives, bruiteurs, à la condition que les niveaux atteints ne soient ni très intenses ni agressifs ;
– ils émettent des bruits blancs (souffles contenant toutes les fréquences du spectre audible) filtrés ou non, ou des sons naturels (bruits de vagues, de nature, musiques fractales relaxantes…) qui sont parfois mieux tolérés.
Les thérapies de type cognitivo-comportemental :
– ont démontré une efficacité ;
– 5 à 10 séances sur une période de 2 à 4 mois, en sessions individuelles ou de groupe ;
– dans un premier temps : éducation thérapeutique centrée sur l’analyse critique des pensées dysfonctionnelles (par exemple, crainte de subir un traumatisme en cas d’exposition sonore peu intense mais douloureuse) et des comportements inadaptés (comme une surprotection constante, majorant la sensibilité du système auditif) ;
– puis exposition progressive et guidée sous couvert de techniques de relaxation et de contrôle respiratoire ;
– l’avis d’un psychiatre peut être sollicité, en amont, pour évaluer la capacité du patient à adhérer à ce type de prise en charge.5
* Le gain central est la capacité du cerveau à traiter les informations sensorielles en fonction du contexte, et donc à constamment moduler la perception de l’entrée sensorielle (p. ex. : un son ou une lumière sont perçus de façon plus intense après une période de silence ou d’obscurité).
L’essentiel
Éviter de se surprotéger et de s’isoler dans un environnement artificiellement silencieux.
Bannir les expositions sonores ou trop intenses.
S’exposer raisonnablement et progressivement.
Utiliser des techniques de relaxation avant et après exposition.
1. Tyler RS, Pienkowski M, Roncancio ER, et al. A review of hyperacusis and future directions: part I. Definitions and manifestations. Am J Audiol 2014;23:402‑19.
2. Andersson G, Lindvall N, Hursti T, Carlbring P. Hypersensitivity to sound (hyperacusis): a prevalence study conducted via the Internet and post. Int J Audiol 2002;41:545‑54.
3. Londero A, Bouccara D. Hyperacousie. EMC - Oto-rhino-laryngologie 2018;14: 1-7 [Article 20-180-C-10].
4. Fackrell K, Potgieter I, Shekhawat GS, et al. Clinical Interventions for Hyperacusis in Adults: A Scoping Review to Assess the Current Position and Determine Priorities for Research. BioMed Res Int 2017;2017:2723715.
5. Cole P, Peignard P. Liaison en ORL et chirurgie orale. In: Lemogne C, ed. Psychiatrie de liaison. Paris: Lavoisier Médecine Sciences; 2018: 390‑3.