Soins palliatifs ne signifient pas d’emblée fin de vie. Pour les malades comme pour les proches et les soignants qui les accompagnent, les questionnements sont multiples : comment appréhender ce moment de vie, plus ou moins long ? Comment améliorer le confort ? Comment les soignants peuvent-ils soutenir le patient ? Comment la famille, les proches peuvent-ils aider ?
L’hypnose est une réponse possible à ces questions. Utilisable au quotidien, elle permet aux soignants de soulager le patient et aux aidants d’agir pour le mieux-être de leur proche. Elle offre au malade l’opportunité d’être acteur de sa vie jusqu’au bout et de garder le contact avec ce corps qui fait défaut.
Pour tous les patients ?
À ceux qui sont en fin de vie, épuisés et fragiles, et qui ont de surcroît une angoisse de mort prégnante, le cadre physique de l’induction hypnotique demande une attention toute particulière mais aussi beaucoup de précautions.
En effet, la position couchée, les yeux fermés peut être effrayante car elle revêt les stigmates non pas du dormeur mais du mort. Elle peut accentuer les symptômes de détresse respiratoire tandis que pour d’autres elle est l’occasion d’un vrai relâchement.
Nous demandons alors aux patients quelle est la position qui leur apporte le plus de confort. C’est une façon pour eux de se sentir en sécurité et de ne pas perdre complètement le contrôle. Le sujet peut aussi – et c’est souvent le cas – faire le choix d’emblée de ne pas fermer les yeux, effrayé à cette idée et ne le faire que secondairement.
D’où vient la demande ?
Cependant, la proposition est généralement bien acceptée.2 À noter que dans une unité même si tout le service n’est pas formé à la pratique de l’hypnose médicale, il y a déjà beaucoup à faire en termes de communication hypnotique. Par exemple, le cerveau n’entend pas la négation. On s’efforce alors de dialoguer avec le patient en n’employant que des affirmations ; l’impact cognitif est meilleur.
Ainsi, au départ d’un soin qu’on sait potentiellement douloureux, l’infirmière doit être positive « Détendez-vous cela va bien se passer ; nous sommes là ; vous avez eu un traitement anticipé pour que le ressenti soit le meilleur possible… Vous pouvez donc vous laisser aller tranquillement… ». Il serait catastrophique de dire « N’ayez pas peur…, vous n’allez pas avoir mal, soyez sans crainte… ». Il est essentiel d’enseigner cela à l’équipe car ce que le patient retient c’est peur, mal, crainte. L’insécurité est donc installée avant même que le geste douloureux ne soit réalisé.
Cette thérapie est un moyen complémentaire orienté vers la solution et non vers la cause. L’établissement de nouveaux objectifs peut ainsi stimuler le patient à trouver des réponses, à comment il peut mieux faire face à la maladie et aux soins aussi bien du point de vue physique qu’émotionnel ou comportemental, plutôt que de ressasser la question moins essentielle de la causalité, c’est-à-dire du « pourquoi ».
L’apprentissage de l’hypnose, puis de l’autohypnose lui donne un rôle actif, cela lui permet de retrouver un certain contrôle sur ses nouvelles conditions de vie avec la maladie.3
Médecine palliative : savoir s’adapter
Pour induire la transe hypnotique, on propose souvent au patient de l’accompagner dans un souvenir agréable. Dans le contexte de la fin de vie, cette suggestion n’est pas toujours opportune, c’est pourquoi nous lui préférons un souvenir d’apprentissage (de la bicyclette, du ski, de la cuisine…). La question est « Avez-vous souvenir d’une première fois comme si c’était hier, seriez-vous d’accord pour me faire partager ce souvenir ? Vous pouvez aussi faire le choix de le revivre sans me le commenter… ». Cette distinction est capitale car il n’est pas toujours aisé de demander à un sujet angoissé à l’approche de sa propre mort de se remémorer un épisode agréable de sa vie. L’exercice est alors plus accessible car il fait appel à des souvenir de l’enfance qui ramènent le patient des années en arrière. C’est ce qu’on appelle un exercice de régression en âge.
La pratique hypnotique chez le patient en fin de vie ne peut souvent se faire que dans un temps restreint (fatigabilité croissante). Le travail est alors organisé autour du contrôle de l’angoisse générée par les différents symptômes terminaux comme la gêne respiratoire, les nausées et vomissements, la douleur, l’insomnie, la peur de mourir, la perte de sens, d’autonomie, la dégradation corporelle…
L’hypnose s’inscrit dans une approche globale de prise en soin de la personne. Son intérêt est double : soulager certains symptômes et aussi établir une relation de confiance avec entraide. Ces notions correspondent à la démarche palliative, qui associe la prise en charge symptomatique la plus efficace possible compte tenu du contexte et l’accompagnement dans toute son humanitude. Cela signifie que l’on redonne au malade sa dignité d’être humain.
Surtout, l’hypnose permet au patient de reprendre contact avec son corps et sa vie via un travail autour des perceptions. Mettre en place cette thérapie offre de nombreux avantages dans les structures où des accompagnements palliatifs ont lieu, quel que soit le degré d’avancée de la maladie.
Ainsi l’hypnose a tout à fait sa place dans l’accompagnement en soins palliatifs, comme pratique de soin intégrée à la relation humaine et non pas comme un outil ou une technique plaquée sur une prise en charge. L’objectif premier de la médecine n’est-il pas « d’aider le patient à vivre avec plaisir le corps qu’il est en dépit des vicissitudes du corps qu’il a. »
Être ailleurs que dans la souffrance
Carole, 49 ans, est atteinte d’un cancer découvert il y a 1 an lors d’une visite à la médecine du travail pour un bilan de routine. Elle supporte mal la chimiothérapie : fatigue intense entre les cures et envies de vomir importantes. Elle est actuellement sous immunothérapie. Une toux fréquente l’épuise. Elle a l’impression de manquer d’air et d’étouffer. Son anxiété est forte.
Sa chambre est personnalisée, elle a couvert les murs de très nombreuses photos de ses enfants âgés de 5, 8 et 13 ans, de cartes postales de vacances au bord de l’océan et même d’une toile qu’elle a peint elle-même et qui représente la vue depuis une des chambres de la maison de vacances familiale.
Je propose un exercice hypnotique, qu’elle accepte. Elle est invitée à entrer dans le tableau, se promèner sur la plage, quitter ses chaussures pour se retrouver pieds nus à même le sable, puis courir vers l’océan et s’y enfoncer jusqu’à mi-cuisses. L’eau est fraîche, vivifiante. Carole se laisse bercer par le bruit des vagues. Le temps de la séance, elle sourit et ne tousse pas.
Entrer dans la transe…
Cette patiente âgée, Solange, dont le hobby est la peinture, a demandé à sa fille de lui apporter 3 toiles parmi ses favorites pour décorer les murs. Un matin lors de la visite, j’entre dans sa chambre et je m’aperçois qu’elle est prise d’un hoquet résistant, durable et épuisant contre lequel elle lutte.
L’un des 3 tableaux accrochés retient mon attention car il représente un paysage de neige, un sous-bois qui me semble familier et je m’y arrête.
Solange se met alors à me raconter toute l’histoire de cette peinture. Son regard se fixe dans le vide, ses traits se détendent peu à peu, sa respiration se modifie… Cela nous occupe pendant un bon quart d’heure. Le relâchement musculaire en lien avec cet état de transe suffit à désamorcer le hoquet.
2. Forster A, Cuddy N, Colombo S. Hypnose en soins palliatifs. Infokara 2004;19:143-8.
3. Benhaiem JM. L’hypnose qui soigne. Paris: Josette Lyon; 2005: 313 p.
4. Roustang F. Qu’est-ce que l’hypnose ? Paris: Les éditions de minuit; 1994; 2003: 192 p.
5. Malherbe JF. Sujet de vie ou objet de soins ? Introduction à la pratique de l’éthique. Montréal: Fidès; 2008: 21.