Le rapport de pharmacovigilance, réalisé par les CRPV de Tours et de Marseille, a été présenté à l’ANSM en 2024.
L’ibuprofène incriminé
Le rapport de pharmacovigilance indique que les infections bactériennes sévères représentent une part importante des effets indésirables graves déclarés avec le AINS, en particulier avec l’ibuprofène. En effet, en moins de 5 ans, 21 % des effets indésirables graves déclarés avec l’ibuprofène (pris pour la fièvre ou la douleur) ont concerné une infection ou une aggravation d’infection bactérienne, versus8 % pour le kétoprofène.
Lorsque le germe a été identifié, les streptocoques étaient en cause dans 62 % des cas pour l’ibuprofène et dans 44 % des cas pour le kétoprofène. Concernant les souches impliquées, Streptococcus pyogenes était le plus souvent retrouvé (50 %), suivi par Streptococcuspneumoniae (28 %). Les infections, invasives dans 97 % de cas, ont nécessité le plus souvent une hospitalisation. Les déclarations de pharmacovigilance concernaient surtout des enfants ou des jeunes adultes sans facteur de risque.
Selon la Société française de pharmacologie et thérapeutique (SFPT) : « Compte tenu de la sous-notification habituelle en pharmacovigilance, a fortiori pour une classe médicamenteuse ancienne, l’augmentation du nombre de cas graves de 2020 à 2023 dans un contexte de diminution des ventes est particulièrement inquiétant ».
Les AINS augmentent la gravité des infections
Il a été évoqué que l’utilisation d’un AINS en cas d’infection bactérienne pourrait retarder le diagnostic et la mise en place d’une antibiothérapie. Or, les travaux expérimentaux ne plaident pas pour cette hypothèse de « masquage de l’infection ».
Tout d’abord, les données in vitro montrent que les AINS augmentent l’expression de la vimentine, protéine du cytosquelette qui favorise l’adhésion locale des streptocoques et leur diffusion.
Les résultats chez la souris indiquent qu’en présence d’une infection cutanée à Streptococcus pyogenes, la prise d’un AINS augmente la sévérité de l’infection cutanée nécrosante, diminue ou retarde l’efficacité de l’antibiothérapie associée et augmente le taux de mortalité.
Par ailleurs, plusieurs études sur les infections pulmonaires communautaires suggèrent également une association entre l’exposition à un AINS et une augmentation du risque de complications pleuro-pulmonaires, d’un facteur compris entre 1,8 et 8 selon les études. Un lien entre l’exposition à un AINS et une augmentation (entre 3,9 et 10,2) du risque d’infection nécrosante sévère des tissus mous a été aussi mis en évidence dans la varicelle.
Ainsi, les données sont en faveur d’un effet propre des AINS sur l’augmentation de la gravité des infections, plutôt qu’un effet de « masquage de l’infection ».
L’avis de la SFPT
Selon la SFPT, l’ensemble de ces données souligne le rôle aggravant des AINS, en particulier de l’ibuprofène, lorsqu’ils sont utilisés dans un contexte de fièvre ou de douleur en présence d’une infection bactérienne débutante à streptocoque (cutanée, ORL ou pulmonaire), y compris lorsqu’une antibiothérapie est associée.
Ainsi, elle juge que – dans un contexte de recrudescence des infections invasives à streptocoques A en Europe – la délivrance et la prescription d’ibuprofène, de kétoprofène et de fénoprofène pour la fièvre et/ou la douleur non rhumatologique est une pratique particulièrement à risque, même sur une courte durée, et même en cas d’association à un antibiotique.
Enfin, compte tenu de la mise en place des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) en pharmacie et de la délivrance possible d’antibiotiques directement par les pharmaciens sans prescription (en cas d’angine ou de cystite), la SFPT estime que ces informations devraient être connues du plus grand nombre.
Recos de l’ANSM
À la suite de ce rapport de pharmacovigilance, l’ANSM a élaboré des recos pour les praticiens et les patients :
⇒ Privilégiez l’utilisation du paracétamol en cas de douleur et/ou de fièvre, notamment dans un contexte d’infection courante comme une angine, une rhinopharyngite, une otite, une toux, une infection pulmonaire, une infection dentaire, une lésion cutanée ou la varicelle.
⇒ Pour un bon usage des AINS en cas de douleur et/ou fièvre :
- Prescrire et utiliser les AINS à la dose la plus faible possible et sur la durée la plus courte possible (3 jours si fièvre, 5 jours si douleurs).
- Arrêter le traitement dès la disparition des symptômes.
- Ne pas prendre en même temps un autre AINS.
- Éviter les AINS en cas de varicelle.
- Si vous êtes traité au long cours par un AINS, par exemple pour une pathologie rhumatismale, n’arrêtez pas votre traitement et rapprochez-vous de votre médecin si vous avez des doutes, notamment en cas de fièvre.
- Tous les AINS sont contre-indiqués à partir du début du 6e mois de grossesse et leur utilisation doit se faire avec précaution avant cette période.
ANSM. Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et complications infectieuses graves. 28 avril 2023.
ANSM. Comité scientifique permanent de surveillance et pharmacovigilance. Formation restreinte expertise et bon usage. 30 janvier 2024.
CRPV de Tours, CRPV de Marseille. Enquête relative aux infections bactériennes graves rapportées avec l’ibuprofène ou le kétoprofène. 17 avril 2019.
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