Pendant des décennies, l’éviction stricte des aliments en cause a constitué la seule solution en cas d’allergies alimentaires, malgré les nombreuses contraintes qu’elle implique. Aujourd’hui, l’immunothérapie orale est une option thérapeutique pour traiter les allergies IgE-médiées (arachide, œuf, lait…). Point sur les nouveautés, les dernières recos de l’European Academy of Allergy and Clinical Immunology et la place du médecin généraliste.

L’immunothérapie orale (ITO) vise l’acquisition d’une tolérance alimentaire. Elle est toujours proposée après un bilan allergologique approfondi comprenant des tests cutanés, des dosages des IgE spécifiques et un test de provocation orale réalisé en milieu hospitalier. Ce dernier permet, entre autres, de déterminer le seuil de réactivité, c’est-à-dire la quantité minimale d’aliment ingéré pouvant déclencher des symptômes. Le protocole, initié en milieu hospitalier, est ensuite mis en place avec des doses progressivement croissantes prises à domicile.

Précautions préalables

Avant d’envisager une ITO, il est essentiel d’évaluer la balance bénéfices-risques surtout en cas d’allergie IgE-médiée. Certains protocoles, comme ceux établis pour le lait et l’œuf cuits, sont codifiés. D’autres aliments (fruits à coque et arachide) présentent un risque anaphylactique plus élevé.

Depuis 2015, conformément aux recommandations internationales, l’immunothérapie orale doit être initiée dans des services hospitalisés spécialisés sous la supervision de médecins experts. Un équipement adapté doit être mis à disposition en accord avec les protocoles cliniques approuvés par les comités d’éthique locaux.

Le principe repose sur l’administration de quantités progressivement croissantes de l’aliment afin d’induire une tolérance et d’augmenter le seuil de réactivité. Ensuite, il faut maintenir une dose d’entretien plusieurs fois par semaine pour pérenniser l’effet tolérogène. Chaque allergie alimentaire requiert une approche personnalisée. La durée de la phase d’entretien peut s’étendre sur plusieurs années voire à vie et varie selon l’aliment concerné. La dose initiale délivrée est toujours inférieure au seuil de réactivité définie par le test de provocation orale. Le protocole est modifié en fonction des TPO intermédiaires. Comme le signale le Dr Juliette Caron, PH d'allergologie à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul : « Nous réalisons des TPO tous les 6 mois mais ce n’est pas généralisé puisque d’autres centres font différemment. »

La mise en place d’une immunothérapie orale, à partir de l’âge de 4 à 5 ans, nécessite une information complète et éclairée du patient et de son entourage, afin de garantir l’adhésion au protocole proposé. Il faut informer les parents des contre-indications, des effets indésirables potentiels et de l’influence de certains facteurs pouvant augmenter le risque de réaction locale ou systémique (vaccination récente, infection virale ou bactérienne). Il est recommandé d’éviter les efforts physiques avant et après la prise de l’aliment. Les patients et leurs familles doivent également être capables de reconnaître les symptômes d’une anaphylaxie et d’administrer un traitement d’urgence (adrénaline IM) le cas échéant.

Le traitement ne doit jamais être arrêté sans l’avis d’un allergologue.

Avant de l’entamer, plusieurs aspects doivent être pris en compte (cf. encadré 1 ci-dessous).

Indications et CI

L’ITO est recommandée chez les patients ayant un risque élevé de réaction anaphylactique sévère, notamment en cas d’antécédents de réaction grave, d’exposition à des allergènes alimentaires difficiles à éviter ou lorsque l’allergie alimentaire ne se résout pas naturellement avec le temps comme c’est le cas le plus souvent pour l’œuf ou le lait.

Certaines contre-indications (cf. tableau ci-contre) sont absolues (œsophagite à éosinophile, incapacité du patient à assurer un suivi clinique, asthme non contrôlé…), d’autres relatives (eczéma atopique sévère non maîtrisée, urticaire chronique, etc.).

Effets indésirables

Des réactions locales, tels qu’une gêne pharyngée, une urticaire modérée ou des douleurs abdominales légères peuvent survenir lors d’une ITO.

Une réaction systémique (angiœdème, réaction anaphylactique) est possible, notamment en présence de facteurs favorisants : irrégularité de la prise de l’aliment, ingestion à jeun, exercice physique, existence d’une infection virale ou bactérienne, prise concomitante d’AINS, période menstruelle, asthme insuffisamment contrôlé, rhinite allergique.

La fréquence d’apparition d’une œsophagite à éosinophile est estimée à 2,7 % des traitements initiés.

Consignes à respecter

  • L’ingestion de l’aliment concerné par l’ITO se fait pendant un repas ou une collation.
  • Éviter de se coucher dans l’heure qui suit la prise de la dose.
  • Ne pas pratiquer des exercices physiques dans les 2 à 3 h suivant l’ingestion.
  • Ajuster les doses en cas d’infection, d’exacerbation de l’asthme ou de troubles gastro-intestinaux (selon les conseils de l’allergologue).
  • L’immunothérapie orale s’accompagne systématiquement de conseils diététiques, solutions alternatives à l’aliment et de recettes adaptées délivrés par un diététicien nutritionniste spécialisé en allergologie (DNA, v. encadré 2) et d’un soutien psychologique.
  • Une formation approfondie sur la reconnaissance des symptômes et l’administration des traitements (apprentissage de la manipulation des stylo auto-injecteurs d’adrénaline) est réalisée lors de séance d’éducation thérapeutique.

Immunothérapie orale multiallergénique

Les protocoles d’ITO concernent essentiellement le lait cuit ou cru, les œufs et l’arachide, mais aussi les fruits à coque et la pomme. Cette méthode peut être étendue à plusieurs aliments dans le cadre de polyallergies alimentaires. Ainsi, l’immunothérapie orale multiallergéniques (ITOMA) permet d’induire une tolérance en combinant trois ou cinq aliments, parmi lesquels le lait, l’œuf, le sésame, l’arachide, les amandes, les noix de cajou, les noisettes, les noix de Pécan et les noix. Le choix des mélanges est déterminé en fonction du bilan allergologique initial et les résultats du test de provocation. Le protocole suit le même principe que pour un seul aliment, avec cependant une progression plus lente en raison de la diversité des allergènes. Une fois la dose d’entretien atteinte, le traitement se poursuit sur une durée définie par l’allergologue afin de maintenir la tolérance acquise.

Association à l’omalizumab

L’ajout de l’omalizumab (anticorps monoclonal) à l’ITO permet d’améliorer l’efficacité du protocole en réduisant la fréquence et l’intensité des réactions allergiques indésirables. En effet, il permet d’utiliser des doses plus élevées d’allergènes alimentaires. Bien que cette molécule soit désormais autorisée aux États-Unis à partir de l’âge d’un an, son utilisation dans cette indication reste en cours d’évaluation dans plusieurs pays. Dans un essai de février 2025, l’omalizumab s’est révélé plus efficace qu’une immunothérapie orale multiallergénique, mais l’étude a dû être arrêtée prématurément à cause du taux élevé d’effets indésirables observés chez les patients sous ITOMA.

 Rôle du médecin généraliste

Le Dr Séverine Fernandez (présidente du Syndicat français des allergologues) précise : « Nous sommes en train de définir, avec le CNPA, le parcours de soin en allergologie. En amont, le médecin généraliste peut débrouiller le diagnostic à l’aide d’un interrogatoire adéquat et un dosage des IgE spécifiques classiques pour ensuite nous adresser le patient. Concernant l’ITO, le médecin généraliste peut aider en analysant son efficacité ou en communiquant directement avec l’allergologue si nécessaire ».

Encadre

Réflexion à mener avant d’instaurer une ITO

Confirmation de l’allergie IgE médiée.

Évaluation de la probabilité d’une rémission spontanée de l’allergie alimentaire, notamment des allergies au lait de vache et aux œufs qui peuvent régresser spontanément au fil du temps.

Vérifier que le patient et la famille sont disposés et motivés à entreprendre un traitement d’urgence en cas d’anaphylaxie, y compris l’injection intramusculaire d’adrénaline.

Vérifier la disponibilité des centres spécialisés avec les connaissances et infrastructures nécessaires pour une immunothérapie orale sûre. Les patients devraient avoir accès à des services d’urgence, pouvant les prendre en charge 24 heures sur 24 en cas de réaction allergique.

Évaluation d’éventuelles contre-indications absolues et relatives.

Évaluation de la compliance et de la compréhension du traitement, de la part, du patient et de sa famille.

Définir les attentes et les objectifs avec la famille.

D’après Giovanni Pajno, reconnu comme le pionnier de l’immunothérapie orale.
D’après Giovanni Pajno, reconnu comme le pionnier de l’immunothérapie orale.
Encadre

Qu’est-ce qu’un DNA ?

Le diététicien-nutritionniste spécialisé en allergies (DNA) ajuste le protocole alimentaire en tenant compte des préférences et des contraintes de chaque allergique. Grâce à des équivalences nutritionnelles spécifiques et à des recettes adaptées, il veille à proposer des alternatives qui respectent les habitudes alimentaires, les goûts personnels et les éventuelles restrictions. De nombreux renseignements sont accessibles sur le site : https ://allergodiet.org/ ?s=immunothérapie+orale

Références
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