L’empreinte carbone des systèmes de soins est notoire mais encore peu prise en compte. Dans ce domaine aussi les efforts doivent s’intensifier pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le changement climatique s’est mué en urgence climatique. Au rythme actuel, dans moins d’une dizaine d’années, l’humanité aura émis suffisamment de gaz à effet de serre pour s’assurer un réchauffement mondial supérieur à 1,5 °C. Les conséquences attendues sont majeures, que ce soit en termes d’événements météorologiques extrêmes, d’inondations et de sécheresses, d’élévation du niveau de la mer et de disparition d’espèces vivantes.1 En retour, ces évolutions auront de nombreuses répercussions sanitaires sur nos sociétés : dégradation de la sécurité alimentaire, hausse de la morbidité et de la mortalité du fait du stress thermique, augmentation des maladies vectorielles, détérioration des conditions d’hygiène, risque de tensions et de conflits, etc.2 Le « compte à rebours » du Lancet vient d’en rappeler de façon exhaustive les enjeux.3
Pour avoir une chance raisonnable de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, l’humanité doit ramener ses émissions de gaz à effet de serre au niveau de ce que les écosystèmes peuvent absorber entre 2050 et 2100. Ce défi immense requiert une implication totale mondiale, des gouvernements aux populations en passant par les acteurs économiques. Le secteur de la santé compterait pour 5 % environ des émissions de gaz à effet de serre des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).3 Il est à ce titre doublement concerné par la question climatique, en devant à la fois réduire son empreinte carbone et se préparer aux nouveaux risques. Seul le premier sujet sera abordé ici.
Pour avoir une chance raisonnable de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, l’humanité doit ramener ses émissions de gaz à effet de serre au niveau de ce que les écosystèmes peuvent absorber entre 2050 et 2100. Ce défi immense requiert une implication totale mondiale, des gouvernements aux populations en passant par les acteurs économiques. Le secteur de la santé compterait pour 5 % environ des émissions de gaz à effet de serre des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).3 Il est à ce titre doublement concerné par la question climatique, en devant à la fois réduire son empreinte carbone et se préparer aux nouveaux risques. Seul le premier sujet sera abordé ici.
Empreinte environnementale des systèmes de soins
Relativement peu de pays ont mesuré l’empreinte environnementale de leurs systèmes de soins. Une publication de référence correspond à la première estimation historique de l’empreinte du système de soins américain.4 Le dioxyde de carbone (CO2), le méthane, le protoxyde d’azote et les chlorofluorocarbures étaient pris en compte. Cette étude proposait une estimation des effets directs du système de soins mais aussi de ses effets indirects (via les processus en amont). Les auteurs estimaient que le secteur des soins émettait un équivalent de 546 millions de tonnes de CO2 (MtCO2éq), dont 254 (46 %) par effet direct. Les plus gros émetteurs étaient les hôpitaux (39 %) et le secteur du médicament (14 %). Environ 80 % du potentiel de réchauffement global – un autre indicateur évalué dans ce travail – provenait du CO2. Alors qu’en 2007, année de l’analyse, le secteur des soins correspondait à 16 % du produit intérieur brut (PIB) des États-Unis, les activités de soins contribuaient à hauteur de 8 % de l’ensemble des émissions américaines de gaz à effet de serre (7 150 MtCO2éq). Une réévaluation par d’autres auteurs du système de soins des États-Unis pour l’année 2013 a conclu à une augmentation des émissions à 655 MtCO2éq, soit 9,8 % du total national.5 D’autres pays ont publié leurs émissions liées au secteur de la santé. En 2015, l’empreinte carbone des activités de soins du Royaume-Uni était estimée à 26,6 MtCO2éq, en baisse de 12 % par rapport à une précédente mesure datant de 1990. En Australie, sur une période d’un an entre 2014 et 2015, les émissions ont été estimées à 35,8 MtCO2éq, soit 7 % des émissions totales du pays.6 Enfin, le système de soins canadien aurait émis 33 MtCO2éq en 2014, soit 4,6 % du total national.7
Réduire les émissions des systèmes de soins
Malgré la variabilité évidente entre les pays, les systèmes de soins sont bien des émetteurs notoires. Les approches d’amélioration de la performance environnementale sont nécessairement multiples, complexes et restent à établir. L’optimisation énergétique et la consommation de matériel sont des axes majeurs. Il existe des initiatives qui devront inéluctablement être amplifiées et généralisées. Plusieurs assureurs privés américains, qui sont en fait des systèmes de soins intégrés, ont des politiques ambitieuses et effectives. Le Kaiser Permanente, un des plus importants et souvent présenté comme un modèle d’efficience et de qualité, aurait déjà substantiellement réduit son impact environnemental. Les moyens sont divers, depuis l’achat de la nourriture, des équipements ou des produits de santé jusqu’à la gestion des bâtiments en passant par le type d’énergie utilisée et le traitement du gaspillage. Depuis 2016, l’entité aurait ainsi réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 29 %, son utilisation d’eau de 12 % et émis 1 milliard de dollars d’obligations vertes pour financer des projets immobiliers certifiés Leadership in Energy and Environmental Design (certification environnementale LEED). La trajectoire du Kaiser Permanente lui permettrait selon ses propres estimations de devenir neutre en carbone en 2020. Plus proche de nous, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), plus grand groupe hospitalier d’Europe, a engagé un plan d’actions pratiques pour réduire son empreinte carbone. Deux axes ont été définis : la conception des bâtiments et la mise en œuvre de pratiques, y compris médicales, moins émissives (la résilience aux événements extrêmes étant un 3e axe mais non relié au sujet de cet article).8 Pour le premier axe, la production d’électricité à partir de biomasse a été expérimentée. L’hôpital Avicenne a ainsi réussi à la fois à optimiser sa dépense énergétique et à réduire son empreinte carbone : sur les 21 ans du contrat liant l’AP-HP à la société Cofely Services, l’émission de 90 000 tonnes de CO2 devrait être évitée (soit 4,3 ktCO2/an). De façon générale, la rénovation du bâti ancien doit faire appel à chaque fois aux techniques les plus à même d’en réduire la consommation énergétique. Concernant les soins eux-mêmes, le poste des achats et approvisionnements est l’un des plus émissifs : 70 % des émissions de l’hôpital Necker, et 60 % des émissions du National Health Service britannique à titre de comparaison.8 L’alimentation est un autre domaine à fort impact, où la réduction du gaspillage, la composition des menus pour réduire la consommation de viande de ruminant et des circuits courts sont des options d’amélioration. D’autres activités en apparence plus anecdotiques permettent une réduction d’empreinte relativement facile : par exemple un moindre recours au protoxyde d’azote pour les procédures d’anesthésie au bénéfice de perfusions, et un contrôle plus strict des débits.9 Le culte de l’usage unique doit aussi être questionné.9
Publier des bilans carbone réguliers
Comme tous les secteurs d’activité, les systèmes de soins doivent intensifier leur effort de réduction de leurs propres émissions, celles-ci étant loin d’être négligeables. Nous anticipons que ce sera difficile pour au moins deux raisons. D’abord, la question est relativement nouvelle et il existe un déficit d’expertise en la matière, notamment parmi les professionnels de santé. Ensuite parce que la plupart des systèmes de soins sont déjà soumis à des contraintes fortes, notamment économiques, dans pratiquement tous les pays. Il est vraisemblable qu’aujourd’hui la réduction de l’impact environnemental n’est pas perçue comme prioritaire.
Une question sans réponse est celle de l’équation économique finale de la baisse active des émissions. Cette réduction de l’empreinte carbone nécessite des investissements ainsi qu’une réorganisation dont le solde final n’est pas précisément établi à notre connaissance. D’autres auteurs ont souligné avant nous la convergence entre d’une part une conservation des ressources et une soutenabilité environnementale, et d’autre part une réduction des coûts et une amélioration de la santé populationnelle.8 Enfin, la méthodologie d’évaluation des émissions, fonction par fonction, reste à préciser de façon fine. Une nouvelle métrologie doit être développée. De la même façon que plusieurs indicateurs de qualité ou d’efficience sont mesurés et publiés par les autorités ou par des tierces parties comme les médias, le bilan carbone des hôpitaux et des industriels devra faire partie des critères de jugement disponibles si l’on veut inciter tous les acteurs à maîtriser leur empreinte.
Une question sans réponse est celle de l’équation économique finale de la baisse active des émissions. Cette réduction de l’empreinte carbone nécessite des investissements ainsi qu’une réorganisation dont le solde final n’est pas précisément établi à notre connaissance. D’autres auteurs ont souligné avant nous la convergence entre d’une part une conservation des ressources et une soutenabilité environnementale, et d’autre part une réduction des coûts et une amélioration de la santé populationnelle.8 Enfin, la méthodologie d’évaluation des émissions, fonction par fonction, reste à préciser de façon fine. Une nouvelle métrologie doit être développée. De la même façon que plusieurs indicateurs de qualité ou d’efficience sont mesurés et publiés par les autorités ou par des tierces parties comme les médias, le bilan carbone des hôpitaux et des industriels devra faire partie des critères de jugement disponibles si l’on veut inciter tous les acteurs à maîtriser leur empreinte.
Références
1. The Intergovernmental Panel on Climate Change. Summary for Policymakers. IPCC, 2018. In: Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the impact of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty. https://www.ipcc.ch/sr15/
2. Watts N, Amann M, Arnell N, et al. The 2019 report of The Lancet Countdown on health and climate change: ensuring that the health of a child born today is not defined by a changing climate. Lancet 2019;394:1836-78.
3. Pichler PP, Jaccard IS, Weisz U, Weisz H. International comparison of health care carbon footprints. Environ Res Lett 2019;14. https://iopscience.iop.org ou http://bit.ly/34Ygpu8
4. Chung JW, Meltzer DO. Estimate of the carbon footprint of the US health care sector. JAMA 2009;302:1970-2.
5. Eckelman MJ, Sherman J. Environmental impacts of the U.S. Health Care System and effects on public health. PLoS One 2016;11:e0157014.
6. Malik A, Lenzen M, McAlister S, McGain F. The carbon footprint of Australian health care. Lancet Planet Health 2018;2:e27-e35.
7. Eckelman MJ, Sherman JD, MacNeill AJ. Life cycle environmental emissions and health damages from the Canadian healthcare system: An economic-environmental-epidemiological analysis. PLoS Med 2018;15:e1002623.
8. Jouve M, Campagnac C. Impact de l’activité hospitalière sur l’environnement : enjeux en termes de changement climatique. Les Tribunes de la santé 2019;61:75-82.
9. Sherman JD, MacNeill A, Thiel C. Reducing pollution from the health care industry. JAMA 2019. doi: 10.1001/jama.2019.10823.
2. Watts N, Amann M, Arnell N, et al. The 2019 report of The Lancet Countdown on health and climate change: ensuring that the health of a child born today is not defined by a changing climate. Lancet 2019;394:1836-78.
3. Pichler PP, Jaccard IS, Weisz U, Weisz H. International comparison of health care carbon footprints. Environ Res Lett 2019;14. https://iopscience.iop.org ou http://bit.ly/34Ygpu8
4. Chung JW, Meltzer DO. Estimate of the carbon footprint of the US health care sector. JAMA 2009;302:1970-2.
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6. Malik A, Lenzen M, McAlister S, McGain F. The carbon footprint of Australian health care. Lancet Planet Health 2018;2:e27-e35.
7. Eckelman MJ, Sherman JD, MacNeill AJ. Life cycle environmental emissions and health damages from the Canadian healthcare system: An economic-environmental-epidemiological analysis. PLoS Med 2018;15:e1002623.
8. Jouve M, Campagnac C. Impact de l’activité hospitalière sur l’environnement : enjeux en termes de changement climatique. Les Tribunes de la santé 2019;61:75-82.
9. Sherman JD, MacNeill A, Thiel C. Reducing pollution from the health care industry. JAMA 2019. doi: 10.1001/jama.2019.10823.