La grossesse est souvent comparée à un état de greffe semi-allogénique qui permet, par tolérance immunitaire, la placentation et le développement d’un fœtus dont la moitié du patrimoine génétique appartient au coprocréateur. Cette immunotolérance est la conséquence d’une immunomodulation aboutissant à une véritable immunodépression. Par conséquent, certaines infections parfaitement banales pour un adulte immunocompétent peuvent s’avérer plus dangereuses pour une femme enceinte (augmentation de la morbidité, voire de la mortalité maternelle). D’autres agents infectieux peuvent être responsables d’une infection asymptomatique chez la femme enceinte, mais leur retentissement fœtal peut s’avérer majeur (embryofœtotoxicité) en lien avec une infection verticale par voie hématogène ou transplacentaire. Enfin, indépendamment de sa cause, l’apparition de fièvre durant la grossesse expose au risque de contractions utérines et d’accouchement prématuré. Une infection dite banale ne doit donc jamais être négligée. Elle doit faire l’objet d’une évaluation clinique systématique pour apprécier un possible retentissement obstétrical, poser un diagnostic étiologique, faire discuter des mesures de prévention secondaire pour protéger la mère et/ou le fœtus et organiser la surveillance fœtale éventuelle. La connaissance et la diffusion de mesures de prévention primaire d’hygiène et de diététique peuvent permettre d’éviter certaines infections, banales sur le versant maternel mais potentiellement sévères sur le versant fœtal ou obstétrical.
Une prise en charge commune
Toute symptomatologie en lien avec une possible infection maternelle durant la grossesse doit faire suspecter un éventuel retentissement fœtal ou obstétrical. L’anamnèse et l’examen physique d’une femme enceinte doivent prendre en compte cette dimension et incorporer une évaluation systématique du bien-être fœtal (mouvements actifs fœtaux) et du risque d’accouchement prématuré ou de fausse couche tardive (perte vaginale de liquide, contractions utérines, métrorragies). En cas de contractions utérines rapportées, un toucher vaginal doit être proposé, à la recherche de modifications cervicales (longueur, ouverture). En cas de modifications cervicales, de perte de liquide ou de métrorragies, la patiente doit être adressée à sa maternité de référence pour la suite de la prise en charge obstétricale. Par ailleurs, l’existence d’une fièvre maternelle et/ou d’une diminution des mouvements actifs fœtaux, même en l’absence de contractions utérines ressenties, doit faire considérer la réalisation d’un enregistrement du rythme cardiaque fœtal après 24 - 25 semaines d’aménorrhée. En cas de doute, un avis téléphonique peut être pris auprès de la maternité de référence pour discuter d’un éventuel adressage.
Infections à risques obstétrical et fœtal
La prise en charge de la majorité des infections banales pendant la grossesse peut être assurée de façon initiale en soins primaires ambulatoires après exclusion d’une situation à risque obstétrical. Certaines de ces infections peuvent avoir un impact sur le devenir du fœtus et nécessitent une coordination avec la maternité de référence et/ou un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal pour discuter des mesures de prévention secondaire et articuler la surveillance fœtale.
Une synthèse des principales infections banales à risque fœtal et/ou obstétrical est proposée dans le tableau.
Covid- 19 (SARS-CoV- 2)
L’immunité collective ainsi que l’essor de la vaccination contre le SARS-CoV- 2 ont abouti à une diminution de l’incidence des pneumopathies maternelles sévères. Il faut néanmoins savoir que le SARS-CoV- 2 a un tropisme placentaire et est susceptible de générer des lésions inflammatoires pouvant altérer les échanges et être à l’origine d’une acidose, voire d’une mort fœtale.1 Ces morts fœtales ont été observées dans la quasi-totalité des cas chez des patientes non vaccinées.2 Une prévention primaire par un rappel vaccinal en début de grossesse doit donc être proposée, d’autant plus en période de résurgence.
Cytomégalovirus
Les primo-infections par le cytomégalovirus (CMV) sont asymptomatiques dans près de 90 % des cas (dépistables par sérologie au premier trimestre). Un tableau peu spécifique (adénopathies cervicales, fièvre, asthénie, myalgies) peut faire évoquer le diagnostic, qui doit être confirmé par sérologie maternelle. En raison du risque d’infection congénitale sévère, une sérologie compatible avec une primo-infection débutante doit faire orienter les patientes en urgence vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. L’introduction de valaciclovir en prévention secondaire peut être proposée pour réduire le risque d’infection congénitale et ses conséquences.3
Grippe (Influenza )
Le raisonnement est similaire à celui des infections par le SARS-CoV- 2. La grossesse est un facteur de risque de pneumopathie sévère. La vaccination permet de réduire le risque de formes sévères ainsi que de mort fœtale. L’oséltamivir trouve sa place en prévention secondaire des infections maternelles sévères aux deuxième et troisième trimestres de la grossesse.
Herpès génital(virus Herpes simplex 1 et 2)
La présence de lésions herpétiques génitales en péripartum expose le nouveau-né à un risque d’herpès néonatal. Une prévention secondaire par valaciclovir ou aciclovir à partir de 36 semaines d’aménorrhée est indiquée en cas de récurrence ou primo-infection herpétique durant la grossesse afin de limiter le risque de transmission en péripartum.4 Une césarienne prophylactique peut être discutée dans certains cas.
Listériose (Listeria monocytogenes )
L’incidence des listérioses est très faible dans les pays industrialisés grâce aux contrôles systématiques de l’industrie agroalimentaire. Les listérioses maternelles, bien que rares, sont susceptibles d’induire des complications obstétricales et/ou néo-natales très sévères (mort fœtale, prématurité, méningo-encéphalites néonatales), tranchant avec la pauci-symptomatologie maternelle. La présence d’une fièvre maternelle nue ou sans point d’appel infectieux évident doit faire réaliser des hémocultures et justifie d’introduire précocement une antibiothérapie adaptée à dose neuroméningée (amoxicilline 2 g, 3 fois/j, en l’absence d’allergie).
Érythème infectieux (parvovirus B19)
Une épidémie mondiale de parvovirus sévit actuellement.5 Les infections fœtales peuvent être à l’origine d’une anémie fœtale en lien avec la destruction des précurseurs hématopoïétiques. Cette anémie est dépistable de façon non invasive par échographie, et peut être traitée par transfusions in utero. En cas de symptomatologie maternelle compatible (tableau) ou de suspicion de contage, un diagnostic précoce doit être porté par réalisation d’une sérologie, éventuellement répétée. Les cas d’infections maternelles avérées nécessitent un adressage rapide vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal pour la mise en place de la surveillance fœtale.
Rubéole (Rubivirus )
La rubéole est une infection hautement tératogène lorsqu’elle est contractée avant 18 à 20 semaines d’aménorrhée. Elle fait partie des dépistages systématiques de début de grossesse. Un diagnostic avéré de rubéole avant 20 semaines d’aménorrhée impose une surveillance échographique fœtale renforcée.
Les recommandations vaccinales en vigueur ont heureusement permis de rendre les cas de rubéole congénitale anecdotiques en France.
Toxoplasmose (Toxoplasma gondii )
Lorsque les infections maternelles sont symptomatiques, elles sont responsables d’un tableau clinique peu spécifique (fièvre, adénopathies cervicales). Le diagnostic doit être porté par la sérologie. Un diagnostic précoce permet la mise en place d’une prévention secondaire par spiramycine (infection avant 14 semaines d’aménorrhée) ou par sulfadiazine et pyriméthamine (infection après 14 semaines d’aménorrhée) pour limiter le risque d’infection congénitale et ses conséquences.6 Une prise en charge en centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal est nécessaire pour décider du traitement et guider la surveillance fœtale (amniocentèse et examens d’imagerie).
Varicelle (virus varicelle-zona)
La grossesse est un facteur de risque de pneumopathie varicelleuse sévère. Une varicelle, même peu sévère, survenant avant 20 semaines d’aménorrhée peut entraîner une forme congénitale dans 1 % des cas. Une varicelle maternelle en péripartum est une situation à très haut risque de transmission néonatale, avec une mortalité néonatale importante. En l’absence d’infection antérieure, la prévention primaire passe par la vaccination des femmes en âge de procréer en dehors de la grossesse. Le valaciclovir et les immunoglobulines spécifiques trouvent leur place en prévention secondaire (contage) ou tertiaire (infection avérée).7 Une infection avant 20 semaines d’aménorrhée indique une surveillance échographique fœtale renforcée. La stratégie de prise en charge d’une varicelle durant la grossesse doit impliquer une discussion avec la maternité de référence de la patiente.
Que dire à vos patientes ?
Une fièvre caractérisée ou une éruption cutanée au cours de la grossesse doivent amener à consulter rapidement son médecin traitant.
La coexistence d’une symptomatologie infectieuse avec des contractions utérines doit faire consulter sans délai aux urgences obstétricales.
Des mesures de prévention primaire comme des règles d’hygiène et de diététique permettent de limiter le risque de transmission de certains agents infectieux potentiellement dangereux pour la grossesse (listériose, toxoplasmose, cytomégalovirus).
En cas de risque de contage (enfant et/ou coparent symptomatiques), des mesures de prévention doivent être mises en place. L’identification de la cause permet d’adapter la prise en charge maternelle en cas de transmission infectieuse.
2. Alcover N, Regiroli G, Benachi A, et al. Systematic review and synthesis of stillbirths and late miscarriages following SARS-CoV-2 infections. Am J Obstet Gynecol 2023;229(2):118‑28.
3. Chatzakis C, Shahar-Nissan K, Faure-Bardon V, et al. The effect of valacyclovir on secondary prevention of congenital cytomegalovirus infection, following primary maternal infection acquired periconceptionally or in the first trimester of pregnancy. An individual patient data meta-analysis. Am J Obstet Gynecol 2024;230(2):109117.e2.
4. Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Prévention et prise en charge de l’infection herpétique au cours de la grossesse et de l’accouchement. 2017 : https://bit.ly/4djOZ5a
5. Russcher A, Verweij EJ, Maurice P, et al. Extreme upsurge of parvovirus B19 resulting in severe fetal morbidity and mortality. Lancet Infect Dis 2024;24(8):e475‑6.
6. Mandelbrot L, Kieffer F, Sitta R, et al. Prenatal therapy with pyrimethamine + sulfadiazine vs spiramycin to reduce placental transmission of toxoplasmosis: A multicenter, randomized trial. Am J Obstet Gynecol 2018;219(4):386.e1-386.e9.
7. Charlier C, Anselem O, Caseris M, et al. Prevention and management of VZV infection during pregnancy and the perinatal period. Infect Dis Now 2024;54(4):104857.