Qu’est-ce qu’un virage (hypo)maniaque ?
Dans les premières semaines après initiation d’un antidépresseur, les symptômes dépressifs ou anxieux sont remplacés par, ou co-existent avec, des symptômes (hypo)maniaques :
- humeur euphorique, irritable ou labile ;
- réduction du besoin de sommeil ;
- hyperactivité motrice ;
- accélération des idées et du débit verbal ;
- augmentation de la confiance en soi, projets multiples ;
- conduites à risque (dépenses excessives, consommation de toxiques, conduites à risque sexuelles, etc.).
Ces symptômes sont d’intensité variable : de très discrets à intenses justifiant une hospitalisation. Pour rappel, la dépression avec caractéristiques mixtes (co-existence de symptômes dépressifs et maniaques) est une situation à haut risque de suicide.
Lorsque ces symptômes apparaissent chez une personne sans trouble bipolaire connu, ils témoignent d’une vulnérabilité bipolaire qui s’exprime sous l’effet de l’antidépresseur. Plusieurs critères permettent de repérer cette vulnérabilité :
- 1er épisode dépressif avant 25 ans ;
- antécédents familiaux de trouble bipolaire ou de suicide ;
- début en post-partum ;
- symptômes psychotiques ;
- ralentissement moteur ;
- fluctuations de l’humeur, surtout si caractère saisonnier.
Une situation fréquente est celle où ces facteurs de vulnérabilité n’ont pas été recherchés, et où les symptômes hypomaniaques survenant sous antidépresseurs ne sont pas repérés. Cela est en grande partie responsable du retard diagnostique de plusieurs années des personnes ayant un trouble bipolaire.
Tous les traitements antidépresseurs peuvent induire un virage maniaque, mais certains sont plus à risque : il s’agit des antidépresseurs tricycliques et de la venlafaxine.
Que faire en cas de virage (hypo)maniaque ?
La conduite à tenir est très claire concernant l’antidépresseur : il est vivement conseillé de l’arrêter, ou au moins de réduire la dose (mais c’est le plus souvent une prise de risque de le maintenir). Le risque de symptômes de sevrage lié à l’arrêt rapide de l’antidépresseur est le plus souvent négligeable si l’antidépresseur a été introduit récemment.
⇒ Chez certains patients, cela suffit à normaliser l’humeur, et cet épisode sera sans lendemain (à condition d’éviter de reprendre un antidépresseur sans régulateur de l’humeur). La normalisation du sommeil est prioritaire, il est le plus souvent nécessaire de prescrire un traitement hypnotique. Les symptômes disparaissent en général en quelques jours, parfois plus avec la fluoxétine du fait de sa demi-vie très longue.
⇒ Pour d’autres, la stabilisation de l’humeur nécessite la prescription de psychotropes ciblant les symptômes maniaques ou hypomaniaques (antipsychotiques, lithium, valproate, etc.). Un avis psychiatrique peut être alors demandé. S’il n’est pas possible de l’obtenir en urgence et que l’état ne justifie pas une hospitalisation, on peut prescrire un antipsychotique de 2e génération à doses initialement modérées (par ex : aripiprazole 10 mg ou amisupride 100 mg). Les antipsychotiques dits « sédatifs » comme la cyamémazine ou la lévomépromazine n’ont pas d’effet antimaniaque et ne doivent pas être utilisés dans cette indication.
⇒ Un diagnostic de trouble bipolaire peut être posé devant un virage de l’humeur, notamment en cas d’épisodes antérieurs non diagnostiqués ou de nombreux critères de vulnérabilité. On peut alors proposer un traitement préventif thymorégulateur. La lamotrigine est le thymorégulateur à privilégier si les symptômes dépressifs prédominent au cours de l’évolution du trouble.