Les données récentes montrent que les douleurs liées à l’interaction intestin-cerveau – tels que le syndrome de l’intestin irritable (SII) et les douleurs abdominales fonctionnelles (DAF) – partagent des mécanismes physiopathologiques similaires. Ces deux affections seraient même des manifestations différentes d’un même trouble, dans lequel la présentation de la douleur est similaire, la distinction reposant principalement sur le profil des selles. En pratique clinique, des approches thérapeutiques semblables sont adoptées pour le SII et la DAF, et ces affections sont souvent étudiées conjointement dans les études cliniques. Les avancés récentes dans la compréhension de leur étiologie intègrent de plus en plus le modèle biopsychosocial : les perturbations structurelles et fonctionnelles de l’axe intestin-cerveau peuvent être induites à la fois par des facteurs gastro-intestinaux (exemple : infection intestinale) et par des événements psychosociaux sensibilisants (ex. : expérience traumatique), sur un terrain de prédisposition génétique possible.
Les déclencheurs de la maladie peuvent survenir bien avant l’apparition des symptômes, ce qui limite les stratégies de prévention ou l’établissement d’une relation de cause à effet directe. La prise en charge vise essentiellement à réduire la douleur chronique. Un large éventail d’options thérapeutiques a été étudié ou utilisé de manière empirique dans la population pédiatrique, mais on ne dispose pas de données solides.
Après une analyse exhaustive de la littérature, les sociétés européenne et nord-américaine de gastroentérologie (ESPGHAN et NASPGHAN) ont émis de nouvelles recommandations. Elles se fondent sur 86 essais contrôlés randomisés originaux évaluant les traitements du syndrome de l’intestin irritable et des douleurs abdominales fonctionnelles.
Hypnothérapie et TCC fortement recommandées
Huit études randomisées évaluant l’hypnothérapie ont été retenues par les auteurs. Une méta-analyse des données regroupées a montré un taux de succès thérapeutique significativement plus élevé pour l’hypnothérapie par rapport aux groupes témoins : 54,2 % vs 11,6 %. Malgré une hétérogénéité clinique importante dans les modalités de traitement, les effets favorables de l’hypnothérapie, sous différentes formes, se sont montrés constants et sont restés robustes dans les analyses de sous-groupes. De plus, l’hypnothérapie est considérée comme sûre. Aucune modalité de délivrance ni module thérapeutique particulier n’est à privilégier : le choix entre une hypnothérapie en présentiel, en téléconsultation ou via des programmes autodirigés doit donc être fondé sur la disponibilité des ressources et les préférences du patient.
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont l’approche la plus largement étudiée chez l’enfant (19 études retenues). Bien que les bénéfices soient faibles, les études montrent globalement des effets favorables par rapport aux soins standards, avec un bon profil de sécurité.
Trois traitements « suggérés »
Le groupe de travail a formulé une recommandation conditionnelle concernant la stimulation électrique percutanée du champ nerveux auriculaire. Il s’agit d’un domaine encore très récent dans le traitement des douleurs fonctionnelles, mais les résultats sont prometteurs. L’unique étude incluse dans la revue systématique montre en effet l’une des plus fortes réductions de l’intensité de la douleur parmi toutes les options évaluées, avec 48,3 % des patients répondant au traitement (vs 18,2 % en cas de stimulation fictive ; RR = 2,66 ; IC 95 % = [1,43 ; 4,94]).
Les données sur les probiotiques sont très hétérogènes. Cependant, lorsqu’elles ont été regroupées dans des méta-analyses, l’ensemble des souches probiotiques a montré un effet favorable significatif par rapport au placebo pour la réduction de l’intensité de la douleur (différence moyenne standardisée = - 0,42 [- 0,80 ; - 0,05]). De plus, des analyses de sous-groupes montrent que les patients atteints de SII ont obtenu une réduction statistiquement significative de l’intensité et de la fréquence de la douleur lorsqu’ils recevaient la souche Lactobacillus rhamnosus , par rapport au placebo – ce qui n’a pas été observé chez les patients ayant une DAF.
Selon le groupe de travail, il pourrait exister certaines souches individuelles ayant des effets favorables chez les enfants atteints de ces deux pathologies, mais les preuves demeurent limitées pour émettre des recommandations ciblées par souche (en dehors du Lactobacillus rhamnosus dans le SII). Ils précisent que les souches probiotiques en vente libre sont généralement considérées comme sûres chez les enfants par ailleurs en bonne santé et sont souvent essayées de manière empirique par les patients.
Enfin, les compléments de fibres alimentaires solubles (gomme de guar hydrolysée, glucomannane, psyllium) sont suggérés comme option de traitement du SII uniquement.
Autres traitements possibles
Malgré les données parcellaires chez l’enfant, quatre autres traitements peuvent être considérés (compte tenu de leur efficacité et tolérance prouvées chez l’adulte) :
- gélules d’huile de menthe poivrée ;
- amitriptyline à dose antalgique ;
- dompéridone ;
- cyproheptadine.
Traitements non recommandés
En raison de l’absence de bénéfice démontré ou d’un rapport bénéfice/risque défavorable, la buspirone, la mébévérine, la drotavérine, le citalopram et le yoga ne sont pas recommandés (tableau).
De plus, les traitements suivants n’ont pas fait leurs preuves chez l’enfant :
- acupuncture ;
- ostéopathie ;
- biofeedback ;
- régime strict pauvre en FODMAP ;
- régime limité en fructanes ;
- régime restreint en fructose ;
- immunoglobuline dérivée du sérum bovin ;
- antibiotiques ;
- trimébutine ;
- mélatonine.
Le tableau ci-contre résume ces recommandations.
Analgésiques : à éviter
Selon les experts, les antalgiques et antispasmodiques (autre que l’huile de menthe poivrée), fréquemment utilisés, ne devraient pas être employés sans l’avis et la supervision d’un spécialiste ; en particulier, aucune preuve ne permet de soutenir ou de rejeter l’utilisation des antispasmodiques anticholinergiques. Le cannabidiol et le cannabis sont à proscrire.
Mesures diététiques : prudence !
Si les mesures diététiques peuvent paraître inoffensives et sont donc souvent envisagées en première ligne, les régimes restrictifs peuvent exiger un engagement irréaliste voire excessif de la part des enfants. Prudence donc, surtout chez les enfants à risque de troubles du comportement alimentaire.
Enfin, le groupe de travail souligne qu’il est crucial de mettre l’accent sur l’éducation, dès les premières consultations ambulatoires. Elle doit insister sur le caractère positif du diagnostic, sur l’importance de la connexion entre l’intestin et le cerveau, sur les effets du mode de vie et d’autres déclencheurs, ainsi que sur les approches et options thérapeutiques possibles.
Pour en savoir plus :
Lemoine A, Lemale J. Douleurs abdominales récurrentes de l’enfant. Rev Prat Med Gen 2021;35(1053):13-4.
Mercier JC, Basmaci R, Gaschignard J, et al. Item 269-270. Douleurs abdominales et lombaires aiguës chez l’enfant et chez l’adulte – Partie : Chez l’enfant. Rev Prat 2020;70(9):e299-308.
Martin Agudelo L. Douleurs abdominales de l’enfant : les probiotiques sont-ils efficaces ? Rev Prat (en ligne) 25 avril 2023.
Martin Agudelo L. Douleurs abdominales de l’enfant : des fiches pour les familles. Rev Prat (en ligne) 16 avril 2024.