Depuis plus de deux décennies, la chirurgie bariatrique est devenue une option thérapeutique majeure pour le traitement de l’obésité sévère et de ses comorbidités, au premier rang desquelles figure le diabète de type 2 (DT2). Pourtant, avec l’arrivée de traitements médicamenteux de plus en plus efficaces sur la perte de poids et sur l’amélioration glycémique, certains s’interrogent : la chirurgie bariatrique a-t-elle toujours sa place dans la stratégie thérapeutique du DT2 ?
Prévenir la survenue et permettre des rémissions à long terme du DT2
La chirurgie bariatrique a des bénéfices spectaculaires sur le plan métabolique, à la fois pour la prévention et le traitement du DT2. Les études à long terme ont montré une réduction du risque de survenue du DT2 d’un facteur 4 à 5 après chirurgie bariatrique.1 Pour les patients vivant avec un DT2, des études randomisées et de cohortes montrent qu’après un bypass gastrique ou une sleeve gastrectomie, la rémission du DT2 est observée chez 60 à 70 % des patients à un an, et de 25 à 50 % à cinq à sept ans.2,3 Ces chiffres illustrent que, malgré la rémission initiale, il existe un risque de récidive du DT2 de 30 % à huit ans après chirurgie bariatrique. Néanmoins, malgré ces récidives, les patients conservent un bénéfice clinique, avec un poids inférieur, une HbA1c significativement plus basse qu’avant la chirurgie bariatrique, parallèlement à une réduction du nombre de traitements antidiabétiques et un moindre recours à l’insuline.4
La chirurgie bariatrique permet également une réduction significative du risque d’événements cardiovasculaires, traduite par une espérance de vie prolongée d’environ 9,3 ans chez les patients avec un DT2 opérés en comparaison aux personnes non opérées, contre 5,1 ans pour les patients non DT2.5 Par ailleurs, la survenue de complications microangiopathiques (rétinopathie, néphropathie, neuropathie) est également réduite sur le long terme.6,7 Cependant, une surveillance renforcée du fond d’œil est indiquée pour les patients ayant une rétinopathie sévère, compte tenu du risque d’aggravation initiale de la rétinopathie par l’amélioration glycémique rapide après chirurgie bariatrique.
Malgré ces bénéfices et une faible mortalité postopératoire (inférieure à 0,1 %), la morbidité postopératoire n’est pas négligeable, et le DT2 figure parmi les facteurs de risque de complications de la chirurgie bariatrique.8
Indications actuelles de la chirurgie bariatrique chez les patients avec DT2
La chirurgie bariatrique est habituellement envisagée chez les patients avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 40 kg/m2 ou avec un IMC supérieur ou égal à 35 kg/m2 en présence de complications susceptibles d’être améliorées par la perte de poids dont le DT2 (quel que soit l’équilibre glycémique). Les données de la littérature scientifique ont permis à la Haute Autorité de santé (HAS) de valider l’indication de chirurgie dite « métabolique » chez des patients ayant un IMC entre 30 et 35 kg/m2 en cas de DT2 insuffisamment contrôlé malgré une prise en charge médicamenteuse optimale, avec les mêmes impératifs concernant les modalités de préparation à l’intervention et de suivi postopératoire.9
Il est maintenant bien démontré que les facteurs impliqués dans la prédiction de la rémission du DT2 incluent une courte durée d’évolution, un bon équilibre initial, un faible nombre de traitements antidiabétiques et l’absence d’insulinothérapie. Des scores prédictifs, tels que le DiaRem et l’Ad-DiaRem, permettent d’informer le patient des chances de rémission du DT2 après chirurgie bariatrique.3,10
Alternatives thérapeutiques à la chirurgie bariatrique
Les options thérapeutiques du DT2 se sont enrichies avec l’avènement des agonistes des récepteurs du GLP- 1 comme le sémaglutide, et désormais des coagonistes GLP- 1/GIP comme le tirzépatide. Ces nouveaux médicaments injectables permettent une diminution de l’HbA1c de l’ordre de 1,5 à 2,5 % et induisent des pertes pondérales significatives mais néanmoins moindres que chez les personnes en obésité sans diabète.11 - 13 Des essais récents réalisés dans l’obésité et chez des personnes sans DT2 ont montré un bénéfice de ces médicaments pour le traitement des comorbidités de l’obésité (comme le syndrome des apnées du sommeil ou l’hépatopathie métabolique) et la réduction significative de la morbi-mortalité cardiovasculaire chez des patients en prévention secondaire.14
Cependant, plusieurs limites subsistent. Le maintien de la perte de poids exige la poursuite du traitement au long cours ; en effet, son arrêt s’accompagne d’une reprise de poids d’environ 50 % du poids perdu en un an.15,16 Par ailleurs, la tolérance digestive est parfois compromise, avec 6 à 10 % d’interruptions pour effets indésirables. Enfin, leur coût demeure élevé, n’étant actuellement pas pris en charge par l’Assurance maladie dans l’indication d’obésité. En France, pour les patients avec un DT2, seuls les agonistes des récepteurs du GLP- 1 sont remboursés et à une dose moindre que celle ayant montré les effets maximaux sur la réduction pondérale. Les coagonistes GLP- 1/GIP ne sont, pour l’instant, pas remboursés.
À ce jour, aucun essai randomisé n’a directement comparé la chirurgie bariatrique métabolique aux nouveaux traitements pharmacologiques. Si les données pharmacologiques sont prometteuses, en particulier pour la perte de poids, les bénéfices à long terme sur la mortalité ou la prévention des complications micro- et macrovasculaires n’ont pas encore été établis avec le même niveau de preuve que pour la chirurgie bariatrique.
La chirurgie bariatrique reste indiquée en cas de DT2 associé à une obésité sévère
La chirurgie bariatrique demeure aujourd’hui chez les patients avec une obésité sévère (IMC supérieur à 35 kg/m2) et un DT2 l’option la plus efficace pour obtenir une rémission ou une amélioration durable du DT2, en particulier chez les patients dont la durée d’évolution du diabète est inférieure à dix ans, associée à une réduction durable du poids. La chirurgie bariatrique figure désormais parmi les options à considérer dans les recommandations professionnelles concernant la stratégie thérapeutique des patients vivant avec un DT2 (HAS, Société francophone du diabète).
En pratique, sa place reste en deuxième intention, après une réponse insuffisante à la prise en charge nutritionnelle et à un traitement optimisé comportant un agoniste des récepteurs du GLP- 1 et après un avis diabétologique.17 Les rémissions pouvant être transitoires, le suivi postopératoire doit comporter une surveillance systématique à long terme de la glycémie, et renforcée en cas de circonstances hyperglycémiantes (corticothérapie, par exemple). En cas de traitement à risque d’hypoglycémie (insuline, sulfamides), le suivi postopératoire des glycémies doit être rapproché pour mieux en adapter les doses. Pour les patients en situation d’obésité modérée (IMC à 30 - 35 kg/m2), l’acceptabilité d’un traitement chirurgical du DT2 et son intégration dans les stratégies thérapeutiques par les professionnels de santé restent un enjeu, tout comme la nécessaire préparation comportementale et médicale, pour en optimiser les résultats et en prévenir les complications.
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3. Aron-Wisnewsky J, Sokolovska N, Liu Y, et al. The advanced-DiaRem score improves prediction of diabetes remission 1 year post-Roux-en-Y gastric bypass. Diabetologia 2017;60(10):1892-902.
4. Aminian A, Zajichek A, Arterburn DE, et al. Predicting 10-year risk of end-organ complications of type 2 diabetes with and without metabolic surgery: A machine learning approach. Diabetes Care 2020;43:852-9.
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7. O’Brien R, Johnson E, Haneuse S, et al. Microvascular outcomes in patients with diabetes after bariatric surgery versus usual care: A matched cohort study. Ann Intern Med 2018;169:300–10.
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17. Darmon P, Bauduceau B, Bordier L, et al. Prise de position de la Société francophone du diabète (SFD) sur les stratégies d’utilisation des traitements anti-hyperglycémiants dans le diabète de type 2, 2023. Med Mal Metab 2023;17(8):664-93.