Pour ceux qui auraient manqué l’épisode 1, j’explore la relation « je t’aime, moi non plus » qui résume actuellement les liens entre les médecins généralistes et la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) – je m’excuse, d’ailleurs, de partir du postulat que mon expérience avec la CPAM dont je dépends est superposable à celle de tous.

Dans le système actuel, l’un des problèmes majeurs est la communication entre les -médecins et la CPAM. Il est, par exemple, impossible de joindre directement un -médecin-conseil. Le 3608 – numéro dédié aux professionnels de santé – est l’enfant spirituel des plateformes Urssaf et France Travail ! On appelle… On attend… On a une personne au bout du fil qui écoute notre demande… On nous transfère, évidemment, à un autre service… On réexplique notre demande… On nous répond que le message va être transmis et que le médecin-conseil nous rappellera… Il nous rappelle (en numéro masqué sur notre portable personnel, sinon ce n’est pas drôle !), on ne répond pas car on est en consultation… Et il laisse un message en disant de rappeler en passant par le 3608… Vous vous êtes ennuyé en lisant ce paragraphe, alors imaginez lorsque la scène est réelle et que les temps d’attente sont de quatre à vingt-huit minutes à chaque étape… 

Exemple récent et qui a une fâcheuse tendance à se répéter depuis quelques mois : refus de renouvellement d’une affection de longue durée (ALD) hors liste à la suite d’une demande via amelipro (cas d’un patient en ALD depuis presque toute sa vie et qui a souvent reçu une notification lui demandant de faire renouveler l’ALD justement !). Malgré la justification déjà faite lors de la demande, on doit re-justifier sur la messagerie d’amelipro, puisqu’on ne peut pas discuter en direct, entraînant perte de temps, d’énergie et, surtout, un sentiment de frustration intense... Quel serait notre intérêt de renouveler une ALD non nécessaire ?

Par ailleurs, ces problèmes relationnels sont assez bien représentés par la visite du délégué CPAM, même si, là aussi, la situation est forcément très disparate d’un département à un autre, d’un délégué à un autre. Lors d’une discussion récente (à l’occasion d’un excellent congrès en octobre organisé par une excellente revue !), une consœur ne mâchait pas ses mots pour raconter cette visite annuelle, mais le politiquement correct m’oblige à ne pas les répéter ! De mon expérience, l’entretien peut être tout à fait agréable et on y glane quelquefois des informations utiles pour la pratique. Cependant, l’écueil principal est que lorsque le délégué est à l’écoute de nos problèmes et de nos suggestions d’amélioration, la réponse est toujours celle-ci : « Une majorité de médecins nous font les mêmes retours que vous, nous sommes conscients de vos difficultés et nous les faisons remonter, mais on ne nous écoute pas... » Comment, dans ces conditions, croire à la bonne foi de la CPAM sur sa volonté de tenir compte de nos avis ? Alors que ces entretiens étaient déjà peu satisfaisants, ils ont en plus tendance à se démultiplier, avec, en prime, l’intervention de nouveaux interlocuteurs. On a désormais la visite du délégué « spécial Ségur », qui nous relance tous les trois mois pour vérifier qu’on alimente bien le dossier médical partagé (DMP) et vient nous convaincre de l’utilité de l’ordonnance numérique. Pas de problème pour moi, j’attends juste que ces avancées numériques soient concrètes ; peut-être les moyens pourraient-ils être consacrés en priorité à ce développement ?

Le jour où ce délégué est venu m’expliquer qu’on pourrait désormais être rémunéré en contactant nos patients par mail, les bras m’en sont tombés... C’est donc avec ce type de moyens, associés à l’incitation à faire de la consultation à distance que les décideurs espèrent donner l’illusion d’un meilleur accès au soin ?

Malgré cette tribune à charge, je ne remets pas en question la nécessité de cette tutelle : comme dans toute profession, il faut un cadre, des contrôles, des idées pour faire évoluer le système. Mais l’espoir que cette énorme machine complètement déconnectée de nos difficultés de terrain puisse y voir clair dans des évolutions pertinentes me paraît de plus en plus incertain... Est-ce parce que les décideurs sont des -administratifs ? Est-ce parce que le lien est quasi rompu entre les médecins et la Sécurité sociale ? 

Le plus triste est que la défiance qui s’est installée (de façon bilatérale) fait que même de bonnes décisions seront accueillies à l’avenir avec une échelle de sentiments allant du rejet le plus complet au scepticisme dans le meilleur des cas... 

Encadre

Vive les acronymes…

CPAM : caisse primaire d’Assurance maladie

ALD : affection de longue durée

DMP : dossier médical partagé