Plusieurs études épidémiologiques suggèrent une association entre les marqueurs d’une déshydratation (natrémie élevée, concentration plasmatique élevée d’hormone antidiurétique, osmolalité…) et un risque accru de survenue de pathologies chroniques comme le diabète, l’insuffisance rénale ou l’insuffisance cardiaque. Des travaux sur modèle murin ont même trouvé qu’une hydratation insuffisante, soutenue sur le long terme, pouvait réduire la durée de vie.
Puisque la déshydratation est relativement facile à corriger, il est intéressant de savoir dans quelle mesure elle contribue au fardeau de maladies chroniques très prévalentes, notamment l’hypertension artérielle (HTA). Cette mesure préventive serait d’autant plus importante qu’une grande partie de la population n’atteint pas aujourd’hui les seuils d’apports hydriques recommandés, selon certaines enquêtes américaines, mais aussi internationales (jusqu’à 50 % de la population générale et plus des trois quarts des personnes âgées). C’est dans cette optique qu’un groupe de chercheurs américains et israéliens a étudié, chez plus de 400 000 adultes, le lien entre certains marqueurs de déshydratation et le risque de survenue d’HTA et d’insuffisance cardiaque sur 20 ans.
Un sur-risque pouvant aller jusqu’à 30 %
Les auteurs se sont servis des dossiers médicaux électroniques de 407 187 personnes âgées d’entre 18 et 104 ans (âge moyen : 36 ans), extraits d’une base de données nationale israélienne. Il s’agissait de personnes pour lesquelles les résultats de deux analyses sanguines étaient disponibles, sans diagnostic de maladie chronique – notamment HTA ou diabète – au moment du premier test, ni dans les deux années suivantes et sans troubles de l’équilibre hydrique documentés.
Tous les participants avaient une natrémie normale (comprise entre 135 et 146 mmol/L) ; les valeurs des deux mesures de natrémie étaient prises comme un marqueur des habitudes d’hydratation des participants, et ces derniers étaient divisés en quatre sous-groupes selon les valeurs de natrémie en mmol/L (135 - 139,5 ; 140 - 142 ; 142,5 - 143 ; 143,5 - 146). L’osmolalité était également calculée et les participants répartis en trois sous-groupes (une valeur supérieure à 289 mOsm/kg indiquant une déshydratation). L’incidence d’HTA et d’insuffisance cardiaque a ensuite été traquée sur 20 ans, et comparée entre ces sous-groupes.
Les résultats ajustés sur l’âge et le sexe ont montré que, par rapport aux personnes ayant les valeurs plus basses de natrémie (135 - 139,5 mmol/L) et d’osmolalité (275 - 287 mOsm/kg) respectivement :
- celles ayant une natrémie entre 140 et 142 mmol/L avaient un risque accru de 13 % d’avoir une HTA ; ce sur-risque était de 29 % pour celles dont la natrémie dépassait 143 mmol/L (p < 0,0001). Une osmolalité supérieure à 289 mOsm/kg était, quant à elle, associée à un risque accru de 19 % d’HTA ;
- pour l’insuffisance cardiaque, le sur-risque associé à une natrémie > 143 mmol/L était de 20 %, et de 15 % pour une osmolalité > 289 mOsm/kg.
Dans les analyses sur un plus petit échantillon (N = 25 074), ajustées pour davantage de facteurs confondants – IMC, PA systolique, kaliémie, tabagisme –, le risque accru d’HTA persistait chez les personnes ayant les plus hautes valeurs de natrémie et d’osmolalité (sur-risques d’environ 40 % pour l’HTA et 20 % pour l’insuffisance cardiaque).
Ces résultats vont dans le sens de ceux d’études précédentes concernant l’insuffisance cardiaque. En ce qui concerne le sur-risque d’HTA, des études longitudinales précédentes avaient donné des résultats contradictoires, mais cette étude – qui est la première à inclure autant de participants – est en faveur d’une association significative entre une natrémie normale-haute (marqueur de déshydratation) et un risque accru d’HTA.
Ces conclusions suggèrent, d’une part, qu’une hydratation correcte pourrait contribuer à réduire le risque d’HTA et, d’autre part, qu’une natrémie > 140 mmol/L, bien que considérée normale, pourrait être un indicateur d’un risque accru de survenue future d’HTA.
Quels mécanismes ?
Si le lien entre l’ingestion de sodium et l’HTA est établi, cela ne se traduit pas nécessairement par une association positive entre HTA et natrémie élevée. Le lien entre ces deux paramètres est très inconstant, selon les diverses études épidémiologiques qui s’y sont intéressées. En effet, une expansion volémique due à un excès de sodium – qui augmente la pression artérielle – peut coexister avec une natrémie normale, puisque cette dernière est régulée par des mécanismes de l’homéostasie qui la maintiennent stable même en cas d’apport sodé élevé. Une natrémie élevée est ainsi plus souvent due à un déficit d’apport hydrique qu’à un apport excessif en sel.
Alors quels mécanismes pourraient expliquer l’association observée ici ? Chez les personnes de cette cohorte, sans pathologies chroniques ni troubles de l’équilibre hydrique à l’inclusion, les valeurs élevées de natrémie et osmolalité traduisent probablement un déficit d’apport hydrique pouvant entraîner une déshydratation intra- et extracellulaire. Or l’hypovolémie liée à cette dernière peut, en particulier, activer le système rénine-angiotensine-aldostérone, entraînant une vasoconstriction et une rétention hydrique pour maintenir la pression artérielle. De plus, les seuils à partir desquels un sur-risque d’HTA était observé dans cette étude (natrémie > 140 mmol/L ; osmolalité > 287 mOsm/kg), bien que dans les normes, correspondent à ceux qui déclenchent la sécrétion d’hormone antidiurétique. Si la déshydratation est chronique, ce mécanisme compensatoire pourrait éventuellement entraîner un risque d’HTA à long terme.
D’autres études prospectives sont nécessaires pour confirmer et affiner ces résultats.