Dans un article paru le 12 mars 2025 dans Annals of Oncology,1 Santucci et coll. présentent les évolutions de la mortalité depuis 1970, avec une estimation jusqu’en 2025, pour l’ensemble des cancers et pour 10 localisations de cancer fréquentes – estomac, côlon et rectum, pancréas, poumon, sein chez les femmes, utérus (col et corps), ovaire, prostate, vessie et leucémie – et dans les 5 pays les plus peuplés de l’Union européenne (France, Allemagne, Italie, Pologne, Espagne), ainsi que dans l’ensemble de l’UE et le Royaume-Uni. Ils étudient aussi plus particulièrement les variations de la mortalité par cancer du sein dans les différentes classes d’âge.
Les données annuelles de mortalité utilisées portent sur les années 1970 à 2020 ou 2021 selon les pays (2020 pour la France), et sont extrapolées jusqu’en 2025 en prolongeant la tendance la plus récente.
Leur analyse comporte aussi une estimation des décès par cancer évités entre 1989 et 2025, grâce au calcul de la différence entre les décès réellement survenus et ceux auxquels on aurait pu s’attendre si les risques de mortalité étaient restés ceux de 1988.
Selon leurs projections, il y aura, en 2025, 1 280 000 décès par cancer dans l’ensemble de l’Union européenne.
Entre 2020 et 2025 :
- le taux de mortalité tous cancers standardisé sur l’âge a diminué de 3,5 % pour les hommes et de 1,2 % pour les femmes dans l’ensemble de l’UE, et cette diminution est observée dans chacun des pays étudiés ;
- la diminution dans l’ensemble de l’UE a concerné les localisations étudiées à l’exception des cancers du pancréas chez les hommes (+ 2,0 %) comme les femmes (+ 3,0 %), du poumon chez les femmes (+ 3,8 %) et de la vessie chez les femmes (+ 1,9 %) ;
- la mortalité par cancer du sein a diminué dans tous les pays étudiés : par exemple, de - 8,5 % en France, - 10,4 % au Royaume-Uni et - 14,1 % en Allemagne ; les baisses du taux de mortalité les plus importantes ont été observées chez les femmes de 50 à 69 ans (- 9,8 %) et de 70 à 79 ans (- 12,4 %).
Enfin, les auteurs ont estimé à environ 6,8 millions le nombre de décès par cancer évités entre 1989 et 2025 dans l’ensemble de l’UE, parce que les risques de décès par cancer ont diminué depuis 1988 : il y aura donc 4 677 000 de décès évités chez les hommes et 2 120 000 chez les femmes, dont plus de 373 000 de décès par cancer du sein évités.
Ci-dessous le commentaire d’Alexandre Lolivier et de Catherine Hill.
Le risque de décès par cancer doit être évalué à taille de population égale et à répartition d’âge égale
L’évolution de la mortalité est étudiée à partir des taux de décès standardisés sur la population mondiale. On cherche en effet à étudier l’évolution du risque de décès par cancer qui doit s’évaluer à taille de population égale et à répartition d’âge égale. Les augmentations de la taille de la population et de la proportion de personnes âgées entraînent une augmentation automatique du nombre de décès qui ne doit pas s’interpréter comme une augmentation du risque.
Pour illustrer la différence entre l’évolution des nombres et l’évolution du risque, Santucci et coll. présentent en annexe les résultats par pays pour les nombres et pour les taux standardisés en 2020 et en 2025.
Ils étudient enfin l’évolution de la mortalité par cancer du sein plus en détail et montrent que le risque de décès par cancer du sein diminue dans chacune des classes d’âge (20 à 49, 50 à 69, 70 à 79) sauf à 80 ans et plus.
La situation en France est dans la norme européenne
Santucci et coll. ont utilisé les données de mortalité jusqu’en 2020 ou 2021 selon le pays et les ont extrapolées jusqu’en 2025.
Les données sont aujourd’hui disponibles en France jusqu’en 2022, ce qui permet de confirmer les prédictions faites pour la France par ces auteurs, sauf l’augmentation de la mortalité par cancer de la vessie chez les femmes qui ne s’observe pas sur les données disponibles jusqu’en 2022.
La figure 1 ci-contre montre que la mortalité par cancer diminue en France depuis 1988 chez les hommes et depuis 1950 chez les femmes.
La figure 2 montre les évolutions de la mortalité pour les localisations de cancer étudiées par Santucci et coll., auxquelles nous avons ajouté l’évolution de la mortalité par cancer des voies aérodigestives supérieures et de l’œsophage car ces cancers associés aux consommations d’alcool et de tabac sont particulièrement fréquents en France chez les hommes.
La figure 3 montre l’évolution de la mortalité par cancer du sein observée en France jusqu’en 2022, à gauche pour tous les âges et entre 20 et 49 ans, et à droite pour les différentes classes d’âge. C’est seulement dans la population de 80 ans et plus que la mortalité par cancer du sein augmente en France ; ceci s’observe aussi dans les autres pays étudiés par Santucci et coll., sauf en Espagne et au Royaume-Uni.
Bien interpréter les chiffres
L’ensemble de ces données est d’autant plus important que les médias communiquent majoritairement des informations alarmantes sur les augmentations des nombres de cancer, en ne tenant pratiquement jamais compte de l’évolution démographique.
Il faut aussi toujours comparer les évolutions de l’incidence et de la mortalité car l’incidence dépend beaucoup des pratiques diagnostiques. On a ainsi observé en France une importante augmentation de l’incidence du cancer de la prostate entre 1998 et 2005,2 conséquence d’une pratique trop systématique de son dépistage par dosage du PSA qui n’a jamais été recommandé.3,4 L’augmentation très importante de la mortalité par cancer du poumon chez les femmes est la conséquence du tabagisme, tandis que les causes de l’augmentation du cancer du pancréas ne sont pas clairement identifiées.
Enfin, l’évolution de la mortalité par cancer en France n’est pas très différente de celle du reste de l’Europe : la mortalité diminue globalement, et les principales augmentations concernent le cancer du poumon chez la femme et le cancer du pancréas chez les hommes comme chez les femmes. On observe partout une diminution de la mortalité par cancer de la bouche, du pharynx, de l’œsophage et du larynx chez les hommes ; cette mortalité était anormalement élevée en France autrefois, conséquence des consommations d’alcool et de tabac, la baisse de ces deux consommations a heureusement réduit ce risque.
2. Hill C. La fréquence des cancers en France. Bull Cancer 2024;111(1):33-6.
3. Aupérin A, Laplanche A, Hill C Le dépistage du cancer de la prostate dans la population générale : des inconvénients certains, un bénéfice hypothétique. Presse Med 2007;36(7-8):1045-53.
4. Laplanche A, Hill C. Dépistage du cancer de la prostate : pas de preuve du bénéfice. Presse Med. 2009;38:1393–5.