Les psychédéliques suscitent un intérêt croissant en psychiatrie, au point que l’Association française de psychiatrie biologique et neuropsychopharmacologie (AFPBN) veut lancer un DIU spécifique dès 2025. En particulier, la psilocybine – contenue dans les « champignons magiques » – a montré un effet dans la dépression résistante et son usage en addictologie est prometteur. Le point avec le Dr Amandine Luquiens, addictologue au CHU de Nîmes et investigatrice du premier essai de médecine psychédélique sur le sol français.

Substances hallucinogènes modifiant temporairement l’état de conscience, les psychédéliques font l’objet d’un intérêt croissant des patients et de la communauté psychiatrique – notamment la psilocybine, principe actif des « champignons magiques ». Avec cette molécule à effet thérapeutique rapide, les résultats positifs d’études randomisées de grande ampleur s’accumulent dans la dépression, y compris résistante aux traitements standards. Son mécanisme d’action, possiblement basé sur la désynchronisation de régions cérébrales , est de mieux en mieux compris. De nouvelles pistes de traitement émergent en recherche, en particulier en addictologie. C’est le sujet de l’étude PAD, premier essai de médecine psychédélique sur le sol français. 

Pourquoi utiliser la psilocybine en addictologie ?

L’objectif de notre étude PAD est d’investiguer la faisabilité et l’efficacité de la psychothérapie assistée par la psilocybine dans le traitement des troubles liés à l’usage de l’alcool, avec signes de dépression après sevrage, en complément du traitement habituel. En pratique, on se sert de la psilocybine comme d’un tremplin pour que nos patients bénéficient davantage de la psychothérapie que nous proposons habituellement en addictologie, dans notre programme de prévention des rechutes. En effet, les données actuelles laissent penser qu’après une prise de psilocybine, il y a une augmentation de la plasticité cérébrale et de la flexibilité cognitive et psychologique, qui est au cœur de l’approche moderne en addictologie. Or on sait que les patients ayant un problème d’alcool ont des processus cognitifs qui ne sont pas optimaux, du fait de la toxicité de l’alcool et des processus addictifs. La psilocybine pourrait donc aider certains patients à ne pas rechuter.

Comment se déroule une psychothérapie assistée par psilocybine ?

Elle repose sur une triade : préparer le patient avant la prise (pour qu’il comprenne ce qui va se passer et ne se sente pas entraîné dans quelque chose d’incontrôlé), le surveiller et assurer sa sécurité physique et psychologique pendant la prise, et procéder dans les jours qui suivent à une intégration, c’est-à-dire faire quelque chose de cette expérience en thérapie. Dans notre étude, les patients sont hospitalisés pendant quatre semaines. Ils rentrent à l’hôpital une semaine avant la première dose, ont une première session de psilocybine, puis suivent notre programme intensif contre la rechute basé sur la thérapie cognitive et comportementale (TCC) et la remédiation cognitive pendant cette période très favorable à la plasticité cérébrale. Ils ressortent de l’hôpital le lendemain de la deuxième dose.

Pendant la préparation à la prise de psilocybine, on travaille sur des stratégies de faire-face, car l’expérience peut s’accompagner d’émotions intenses parfois négatives. On va faire méditer les patients pour activer leurs capacités d’introspection et d’analyse des émotions, afin qu’ils ne se laissent pas emporter par le flux. Dans une optique de thérapie ACT [thérapie d’acceptation et d’engagement, une TCC dite de troisième vague, NDLR], on travaille aussi sur les intentions des patients pour qu’ils se recentrent sur ce qui est important pour eux, ce qu’ils veulent faire de cette expérience dans leur projet thérapeutique.

Pendant l’expérience psychédélique, le patient est accompagné d’au moins un psychiatre ou un psychologue. Ce dernier ne parle pas au patient – préparé à l’avance à cette absence d’interactions – sauf s’il sollicite de l’aide. On ne cherche pas à induire ou suggérer quoique ce soit, pour protéger les patients éventuellement dans un état de conscience modifié. Enfin, le lendemain les patients sont invités à raconter leur expérience, puis on travaille sur ce qu’ils veulent en faire pour la suite.

Cette stratégie a-t-elle des précédents ?

Il y a une seule autre étude randomisée qui a évalué la psychothérapie assistée par psilocybine dans cette indication mais elle s’est déroulée en ambulatoire, et nous travaillons avec des patients ayant des troubles bien plus sévères et des signes de dépression.

Avez-vous des premiers résultats ?

Fin août 2024, 23 patients ont déjà été inclus. Pour l’instant, tous les patients ont indiqué une anxiété inférieure à 5 (sur une échelle de 10) pendant la prise, la plupart avec une note très faible malgré la survenue d’émotions parfois négatives très intenses mais observées avec sérénité.

L’AFPBN veut lancer un DIU de médecine psychédélique en 2025. Comment voyez-vous l’avenir de cette pratique ?

Je reste très prudente. Le système actuel, plutôt lent, nécessite que des industriels se positionnent pour permettre la commercialisation de nouveaux médicaments, mais la santé mentale est réputée peu rentable. Sous réserve de résultats positifs des études de large ampleur utilisant des psychédéliques, je n’espère pas leur arrivée en clinique avant une dizaine d’années. Le futur DIU, qui est une excellente nouvelle, sera probablement dans un premier temps destiné à des chercheurs qui s’intéressent à cette stratégie.

Quel serait le rôle des MG dans la médecine psychédélique ?

Cela dépendra des indications des psychédéliques. En addictologie, le patient vient souvent d’abord voir son MG quand il souffre d’une problématique addictive, même si ce n’est pas toujours déclaré comme son motif de consultation. Le rôle du généraliste est donc essentiel pour le repérage des patients et pour réduire leur défaut d’accès aux soins, dans le cadre de stratégies thérapeutiques traditionnelles qui ne sont pas forcément attractives ou avec lesquelles les patients sont déjà en échec. Le MG peut donc faciliter l’accès aux soins spécialisés quand c’est nécessaire, y compris en mentionnant ce type d’approche nouvelle si elle s’avérait efficace. Étant donné que deux tiers des patients atteints de troubles liés à l’usage de l’alcool rechutent à un an post-sevrage, je pense qu’il faut se réjouir d’une potentielle nouvelle stratégie thérapeutique !

Quelle posture adopter vis-à-vis de la psilocybine auprès des patients ?

Il est très important de souligner qu’on n’a pas encore de preuves solides d’efficacité de la psilocybine en addictologie, et que son utilisation en clinique nécessite au préalable de mener des études de bonne qualité. Enfin, on parle bien jusqu’à présent de psychothérapies assistées par psychédéliques. Cela demande qu’un professionnel de santé qui maîtrise des techniques de psychothérapie assez pointues prenne du temps avec les patients, qui sont sélectionnés suivant différents critères, dont leurs antécédents personnels et familiaux, pour limiter la survenue d’effets indésirables lors de la prise. Il ne s’agit donc pas de prendre des psychédéliques par soi-même sans être accompagné, et sans en faire quoi que ce soit sur le plan psychothérapeutique.

Encadre

L’essai PAD en bref

Dans cet essai randomisé contrôlé monocentrique, 30 patients atteints de troubles liés à l’usage de l’alcool récemment sevrés et montrant des signes de dépression sont randomisés en 2 groupes : dans le cadre d’une psychothérapie de prévention des rechutes, un bras reçoit de la psilocybine à forte dose (25 mg) et l’autre en reçoit à très faible dose (1 mg, groupe contrôle). Les personnes prenant une faible dose peuvent expérimenter quelques distorsions sensorielles, mais ont rarement des expériences très riches comme en rapportent les patients sous forte dose. Les patients reçoivent deux fois de la psilocybine à trois semaines d’écart sous la supervision d’un professionnel de santé.

Les critères de jugement principaux sont la faisabilité de cette approche dans le contexte français, l’efficacité de l’expérience en aveugle (difficile à maintenir dans les études sur les psychédéliques) et l’acceptation de la randomisation entre les deux groupes. Les critères secondaires d’efficacité comportent le pourcentage de jours de consommation excessive d’alcool, l’intensité des signes de dépression ou encore la qualité de vie.

Pour en savoir plus
Centre hospitalier universaire de Nîmes. Psilocybin in Alcohol Use Disorder With Comorbid Depression (PAD). NCT06235411, description de l’essai sur clinicaltrials.gov, 31 janvier 2024.
CHU de Nîmes. Étude PAD : https://tinyurl.com/5e26vjzp 
Bogenschutz MP, Ross S, Bhatt S, et al. Percentage of Heavy Drinking Days Following Psilocybin-Assisted Psychotherapy vs Placebo in the Treatment of Adult Patients With Alcohol Use Disorder: A Randomized Clinical Trial.  JAMA Psychiatr 2022;79(10):953-62.