Elle était jeune médecin ce jour-là, le jour de l’accident. Car, oui, cela pouvait être assimilé à un accident.
Elle aimait beaucoup faire du sport, n’avait pas de soucis particuliers de santé et croquait la vie à pleines dents. En vacances, un jour d’août, elle enfila, comme tous les matins, ses baskets pour aller courir sur un chemin de forêt. Elle écoutait sa playlist quand son pied droit buta contre une grosse racine. Elle entendit un gros « crac » et eu le temps de se dire « et miiince ! » avant de tomber. Premier réflexe de médecin : rotation et mobilité de la hanche, « Hum, semble ok… flûte ! probablement une déchirure musculaire ! ». Elle se releva et rentra en boitant chez elle. La voyant, sa mère lui dit : « Je t’avais bien dit de pas aller courir, tu pouvais te blesser, tu as ton train cet après-midi, va consulter en rentrant ! ».
Elle ne consulta évidemment pas. Les jours passèrent, elle reprit le travail aux urgences en traînant la patte. Fini le sport momentanément. L’avantage ? Aucun patient n’osait l’embêter, ils avaient presque pitié d’elle !
Après une semaine, sa collègue, qui n’avait eu de cesse de lui répéter de faire une imagerie, l’entraîna, de force par le bras, en radiologie ! Le diagnostic tomba : « Fracture de la paroi postérieure du cotyle droit multifragmentée ». Les radiologues étaient éberlués et ne comprirent pas comment elle avait fait pendant une semaine pour marcher malgré la douleur, et le chirurgien orthopédique non plus.
« Pitié, pas d’opération ! », pensa-t-elle, mais la sentence tomba… Cela nécessitait une prise en charge chirurgicale en urgence. Le chirurgien lui parla bien du risque d’arthrose, de boiterie résiduelle car le délai de prise en charge après la chute était déjà trop important. C’est ainsi que, le lendemain, elle se retrouva hospitalisée. Quelle ironie du sort de se retrouver patiente... en belle blouse d’hôpital, les fesses à l’air ! Tous les soignants s’occupèrent bien d’elle. Elle hérita d’une plaque dans la hanche et d’une belle cicatrice sur la fesse. Elle découvrit les joies de la toilette au lit, d’uriner dans un bassin ou encore des délicieux plateaux repas de l’hôpital.
Elle était jeune médecin, quand elle sortit de l’hôpital. C’était le jour de ses 30 ans, qu’elle fêta sous antalgiques, aux bulles sans alcool. Assise dans un fauteuil roulant, elle dut apprendre à se servir de cannes anglaises, avec interdiction de poser le pied pendant six semaines… bah, pas si simple ! Même en tant que médecin ! Les personnes qui venaient la voir ne parlaient que d’une chose : comment ne s’était-elle pas rendu compte plus tôt de cette fracture ? C’était en effet une très bonne question et elle se repassa le film dans la tête des milliers de fois sans avoir la réponse…
Sa visite quotidienne était celle de l’infirmier ; son passage, même de quelques minutes, lui faisait le plus grand bien. En parallèle, s’ensuivirent des semaines de rééducation chez le kinésithérapeute : réapprendre à marcher avant de courir. Réapprendre à vivre. Garder le moral. Se retrouver du jour au lendemain dépendante, sans pouvoir se déplacer facilement, avec la peur de ne jamais remarcher normalement… C’était très difficile à vivre.
Mais toutes ces petites choses qu’elle avait apprises et ce contact avec les autres professionnels de santé en tant que patiente lui apportèrent beaucoup.
Cette jeune médecin, c’est moi, et cet accident, c’était il y a un an. Je ne peux en retenir qu’une leçon : j’aurais dû consulter plus tôt et ne pas miser sur l’autodiagnostic.
Je ne remercierai jamais assez ma collègue. Les conséquences auraient pu être graves. J’ai appris que nous ne sommes pas un bon médecin pour nous-mêmes.
Cependant, dans mon malheur, j’ai eu la chance de rencontrer des équipes formidables qui m’ont permis de reprendre la course et, aujourd’hui, de n’avoir aucune séquelle !