Voilà longtemps que le rôle du médecin généraliste est questionné. Dans les années 1970, la médecine de spécialités d’organe était triomphante, confortée par un plateau technique en innovation permanente et des avancées thérapeutiques incessantes qui, pour la plupart, échappaient au médecin généraliste. Dès lors, la primauté du médecin généraliste se trouvait écornée et l’attractivité de l’exercice limitée.

Les choses se sont ainsi plutôt dégradées* jusqu’au terme des années 1990 – compliquées par une démographie professionnelle qualifiée de « pléthorique » – alors que l’installation en ville pouvait se révéler périlleuse et que le choix d’une pratique en « mode d’exercice particulier » attirait un nombre croissant de jeunes diplômés. Les pouvoirs publics avaient alors institué en catastrophe un « Mécanisme d’incitation à la cessation d’activité », heureusement abrogé en 2003 et par lequel près de 10 000 médecins libéraux – principalement généralistes – avaient pu bénéficier d’une « retraite bonifiée » dès 57 ans ( !).

Cependant, avant même la fin des années 2000, de plus en plus de patients étaient en demande d’une écoute et d’une prise en charge plus globalisée et synthétique, que seule la médecine générale pouvait assumer. Cette attente renouvelée s’est alors trouvée en synergie avec la transition épidémiologique annoncée, dans l’incrédulité, par l’OMS. En effet, celle-ci alertait sur ce qui est maintenant devenu un truisme : le « défi des maladies chroniques ». Les systèmes de santé, notamment dans les pays développés, ­allaient être confrontés à une double charge jusque-là inconnue : d’abord, les ressources humaines à mobiliser pour assurer l’accompagnement et les soins de malades chroniques polypathologiques, de plus en plus nombreux ; ensuite, la charge financière qui en résulterait, jusqu’à mettre en péril la soutenabilité des politiques sociales mises en œuvre depuis plus de cinquante ans.

La médecine générale, médecine de continuité et de premier recours, allait alors être revalorisée, notamment par une inclusion en 2008 dans les spécialités du troisième cycle des études médicales.

Il restait à identifier les mutations possibles pour assumer la transition épidémiologique et l’accompagnement d’une population vieillissante. Justement, des suggestions puissantes étaient venues, dès 1993, de la ­division du développement des ressources ­humaines pour la santé (OMS Genève), dont le responsable** assurait la diffusion d’un concept novateur : le médecin « 5 étoiles ».

Cinq compétences apparaissaient alors prioritaires pour ce « nouveau » médecin géné­raliste : attentif aux bonnes pratiques ; veillant aux dimensions physiques mais aussi psychiques et sociales des patients ; utilisateur des nouvelles technologies ; promoteur des approches préventives, particulièrement sur les modes de vie ; adepte du colloque singulier comme des approches populationnelles ; et, finalement, habile à exercer en équipe.

Aujourd’hui, ces compétences se sont banalisées. Mais à y regarder de plus près, ce sont de véritables caps qu’elles proposent de franchir. En rappelant que la santé est un ressenti avant d’être un état, elles ouvrent la médecine à des champs de prise en soins tels que la douleur ou la représentation du schéma corporel, et soulignent son indispensable dimension narrative. Elles affirment la place de la science, pour des pratiques rationnelles, actualisées, plutôt que calquées sur un compagnonnage empirique. Elles repla­cent le préventif aux côtés du curatif, enjoignant le soignant à être proactif sans seulement répondre à la demande du patient. Elles incitent à enrichir l’arsenal thérapeutique d’interventions non médicamenteuses. Elles invitent à concilier responsabilités individuelle et collective. Elles décloisonnent les pratiques pour que, par la pluriprofessionnalité, le patient ne se trouve plus isolé au milieu d’injonctions parfois contradictoires. 

La WONCA a fait siens ces enjeux. Pour les ­promouvoir, elle décerne chaque année depuis 2010 le prix du médecin 5 étoiles. En 2022, un médecin français a été primé : le Dr Philippe Binder, pour son implication dans le repérage et la prise en charge des addictions et du risque de suicide chez  l’adolescent (medecin-­ado.org). C’est bien un signe que les choses bougent, y compris dans notre pays ! 

* Dégradation observée, nonobstant certaines spécificités locales, dans la plupart des pays développés (tout comme la revalorisation interviendra, vingt à trente années plus tard, avec la priorité affichée aux « soins primaires »).** bit.ly/4ayIL1H