Les termes utilisés pour désigner la déficience intellectuelle ont beaucoup évolué au cours du temps : idiotie, handicap mental, retard mental… Actuellement, la littérature scientifique parle de trouble du développement intellectuel, dont les critères diagnostiques dans le DSM- 5 sont les suivants :
- quotient intellectuel (QI) inférieur à la moyenne de la population générale d’environ deux écarts types, soit inférieur à 70 ;
- performance du comportement adaptatif approximativement à deux écarts types sous la moyenne de la population générale ;
- apparition des déficits intellectuels et adaptatifs au cours de la période développementale, soit avant l’âge de 18 ans.
Affection fréquente avec des problématiques sanitaires spécifiques
En France, entre 10 et 20 personnes sur 1 000 seraient atteintes de déficience intellectuelle légère (1 à 2 % de la population) et 3 ou 4 personnes sur 1 000 d’une déficience intellectuelle sévère.1
Les causes en sont multiples et relèvent d’un événement prénatal ou post-natal, qu’il soit environnemental ou génétique.
Les causes environnementales représentent 15 à 20 % des causes de déficience intellectuelle (embryofœtopathies, exposition maternelle à l’alcool ou à des toxiques, prématurité, etc.).
Les causes génétiques sont infinies et représenteraient entre 25 et 50 % des causes identifiées de déficience intellectuelle (anomalie chromosomique de nombre ou de structure, anomalie génétique héréditaire liée au chromosome X, de forme autosomique dominante ou récessive, de transmission non mendélienne).
Dans près de la moitié des cas, la déficience intellectuelle est de cause indéterminée ou multifactorielle.
On estime que l’espérance de vie se rapproche de plus en plus de celle de la population générale. Elle est estimée aujourd’hui à 66,1 ans mais varie selon la cause sous-jacente.2
Plusieurs études menées par l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) et la Haute Autorité de santé mettent en évidence une difficulté d’accès aux soins primaires des patients avec déficience intellectuelle, expliquée par des facteurs individuels (problèmes de mobilité, de communication, de compréhension des messages de prévention) et environnementaux (formation insuffisante des professionnels, défaut d’accessibilité des lieux, manque de coordination).3 Cela entraîne un renoncement aux soins médicaux, une moins bonne prévention et une altération de la qualité des soins.4
Les problèmes liés au vieillissement peuvent survenir de façon plus précoce chez ces patients, ce qui fait de leur dépistage et de leur prise en charge des éléments majeurs pouvant retentir sur la survie. Il est donc utile de s’intéresser au déroulé de ces consultations, particulièrement en médecine générale, afin d’essayer d’en comprendre les forces, les limites et les enjeux et ainsi identifier les outils à disposition des médecins pour mieux prendre en charge ces patients.
Spécificités de la consultation
Le cadre des consultations avec des patients ayant une déficience intellectuelle est spécifique. Les limites des patients et celles des médecins se font face (fig. 1) :
- le patient a souvent besoin d’un tiers pour s’exprimer : c’est son aidant. Il y a donc un intermédiaire entre le patient et le médecin, avec une part d’interprétation dans les explications ;
- l’autonomie du patient est à respecter, sans chercher à l’aider pour ce dont il n’a pas besoin. Pour autant, le médecin doit avoir conscience et connaissance des capacités parfois limitées du patient ;
- la situation médicale du patient est en général complexe (polypathologie, polymédication, suivis spécialisés), mais les médecins traitants rapportent disposer souvent de peu d’informations précises concernant la cause de la déficience et le suivi à réaliser. Il existe une vraie difficulté de coordination entre les professionnels ;
- souvent, ces patients connaissent mal les messages de prévention (tabac, alcool, dépistages), sujets pourtant peu ou pas abordés en consultation.
Le déroulé des consultations répond à certaines spécificités.
D’abord, concernant les patients :
- l’expression des symptômes peut être limitée par les capacités langagières, ou être inhabituelle ;
- l’évaluation de la douleur est complexe (les échelles numériques usuelles sont peu adaptées au patient déficient intellectuel) ;
- certains ont des troubles du comportement. Ils peuvent être l’expression de symptômes ou d’une douleur, à rechercher attentivement. Ils peuvent modifier la place du patient en consultation, qui peut alors devenir spectateur de ce qui se passe, ou avoir des difficultés à accepter la prise en charge ;
- le patient peut avoir une difficulté à communiquer, à comprendre ou à se faire comprendre.
Pour les médecins, différentes adaptations sont possibles :
- l’attention au patient nécessite d’être intensifiée ;
- l’examen clinique peut être limité si le patient n’est pas en mesure d’être déshabillé ou le refuse ; à l’inverse, il peut être plus approfondi s’il s’agit du seul moyen d’explorer une plainte chez un patient non verbal, par exemple. La prescription d’examens complémentaires peut être plus fréquente du fait des limites de l’interrogatoire et de la clinique ou, au contraire, diminuée, pour le confort des patients ;
- la communication s’ajuste en utilisant des termes plus simples. Les notions complexes de consentement et de secret sont néanmoins intégrées à la discussion ;
- la temporalité des consultations est modifiée, avec des consultations plus longues ou plus fréquentes.
Vécu des médecins
Les médecins cherchent à agir de façon identique avec ces patients qu’avec les autres, tout en ayant besoin d’adapter leur pratique. On peut voir dans cette ambivalence une volonté de non-discrimination plutôt qu’une volonté d’effacer les différences.
Pour explorer cette ambivalence, il est intéressant d’analyser le vécu de ces consultations par les médecins eux-mêmes. Elles sont souvent source de satisfaction, fondées sur une bonne relation avec les patients et leur aidant. L’expérience du praticien permet de limiter l’appréhension de les soigner. Toutefois, un sentiment de gêne peut exister, lié notamment à un environnement et une patientèle inconnus. L’incertitude est présente, qu’elle concerne le diagnostic, les surveillances à effectuer, les comorbidités. Elle trouve sa source dans une crainte de l’erreur et de l’échec, qui concerne tous les champs de la consultation. Cette peur peut s’expliquer par le manque d’habitude, de temps, de disponibilité de l’esprit et de formation : nous, médecins, n’avons pas appris à gérer la différence liée au handicap et spécifiquement celle du handicap intellectuel. La responsabilité médicale est mise à rude épreuve.
Finalement, les peurs des médecins renvoient à leurs besoins (fig. 2). Ils sont inquiets vis-à-vis de leurs compétences, de la qualité de leur prise en charge, de leur manière de communiquer, et mal à l’aise dans un environnement souvent inconnu. Or il est nécessaire de se sentir en sécurité pour faire preuve de professionnalisme, d’établir une relation médecin-patient satisfaisante, et d’avoir le soutien de ses confrères. Ces points constituent en eux-mêmes des leviers sur lesquels agir.
Leviers pour améliorer la prise en charge
S’informer
Le manque de formation et la méconnaissance des outils sont des freins à une prise en charge optimale des patients avec déficience intellectuelle. Pourtant, le sujet du neurodéveloppement constitue l’une des priorités des plans nationaux de santé.
Une brochure à destination des médecins généralistes a été publiée en 2020 et mise à jour en 2024, visant à améliorer le repérage des troubles du neurodéveloppement chez les enfants de moins de 7 ans.5
Un questionnaire parental, appelé Modified Checklist for Autism in Toddlers (M-CHAT), est un outil facile pour le dépistage de l’autisme.
Les protocoles nationaux de diagnostic et de soins (PNDS), publiés et mis à jour régulièrement, proposent une synthèse précise des suivis à effectuer et des prises en charge à initier (trisomie 21, syndrome de l’X fragile, polyhandicap, etc.).
Certains sites internet proposent des échelles pour l’évaluation de la douleur (www.pediadol.org), des fiches concernant le polyhandicap (www.r4p.fr), les troubles du sommeil (www.reseau-morphee.fr), les soins dentaires (www.rhapsodif.com), l’oncologie (www.oncodefi.org) et l’accompagnement juridique (www.fragilis.fr).
L’association CoActis Santé a développé une boîte à outils de supports visuels afin de mieux comprendre et expliquer les soins aux patients en situation de handicap (www.santebd.org), pratiques au quotidien et d’utilisation facile en consultation.
Cette liste, non exhaustive, démontre la multiplicité des initiatives mises en place et la nécessité de mieux les communiquer et les faire connaître.
Coordonner le parcours de soin
Des réflexions sont à mener afin d’améliorer l’accueil de ces patients et la qualité des soins qui leur sont proposés. Par exemple, une consultation annuelle dédiée au dépistage et aux questions de prévention pourrait être instituée : puberté, vaccination, dépistages des cancers, conduites à risque...
La fluidité du parcours de soin pourrait s’améliorer en identifiant les médecins formés à la prise en charge de ces patients, qui pourraient s’appuyer sur un réseau de praticiens hospitaliers avec lesquels organiser des hospitalisations. Les pharmaciens pourraient être impliqués dans l’éducation thérapeutique et le soutien à l’observance médicamenteuse.
L’ouverture de « centres ressources » sur un modèle comparable à celui d’HandiConsult est à encourager ; composés de professionnels médicaux et paramédicaux, ces centres sont dédiés spécifiquement aux personnes déficientes intellectuelles et assurent leur suivi dans des locaux adaptés.
Se former
La formation des professionnels doit commencer dès les études de médecine, en généralisant les stages auprès de ces patients. Elle doit ensuite se poursuivre lors de l’exercice avec, par exemple, du compagnonnage entre médecins novices et expérimentés. Une mise à jour régulière est indispensable : un module sur la déficience intellectuelle aurait toute sa place dans l’offre de formation continue des médecins.
2. Coppus AMW. People with intellectual disability: What do we know about adulthood and life expectancy ? Dev Disabil Res 2013;18:6-16.
3. Belorgey JM. Rapport de la commission. Audition publique « Accès aux soins des personnes en situation de handicap ». Paris, 22-23 octobre 2008. HAS, 2009.
4. Aulagnier M, Gourheux JC, Paraponaris A, et al. General practitioners’ health care for disabled patients: A survey among a panel of general practitioners in Southeastern France, in 2002. Ann Readapt Med Phys 2004;47(3):98-104.
5. Martin-Agudelo L. Détecter un trouble du neurodéveloppement avant 7 ans : des fiches pratiques pour le MG. Rev Prat (en ligne), avril 2024.