Alors que la plupart des acteurs ou responsables répètent que «  les solutions sont connues  » et que les plans ou mesures s’additionnent depuis des années, la crise du système de soins perdure. Pourquoi  ?

Voilà des années que les évolutions nécessaires de notre système de santé sont, les unes après les autres, identifiées, formulées, présentées, discutées, souvent largement commentées et finalement timidement ou très partiellement mises en œuvre, sinon abandonnées… au point que le sentiment qui domine est que chaque innovation se dilue dans un existant immuable, fort de son inertie.

On peut ainsi rappeler, en confondant les évolutions structurelles et d’autres davantage ponctuelles : la redéfinition des hiérarchies dans les établissements hospitaliers, le « virage ambulatoire » et son corollaire, la « fluidité ville-hôpital », la priorité accordée aux « soins primaires », les « pratiques avancées » et les « nouveaux métiers » dont les indispensables assistants et coordonnateurs*, la « diversification des modes de rémunération », la « marginalisation de l’exercice isolé » et la montée en puissance du « travail en équipe » auquel on doit associer les « diverses fonctionnalités de la télé­santé », le rapprochement « du sanitaire et du social » et, last but not least, le « repositionnement du patient au centre du système de santé » avec la finalité de répondre prioritairement à son ressenti (ce qui n’est pas nouveau puisque que c’était déjà le credo des fondateurs de la Mayo Clinic voilà plus d’un siècle) ; sans oublier la saga du « dossier médical » partagé ou personnel et celle, moins médiatisée, de la misère de la prévention primaire ; ou encore, pour finir, les mirages de la pertinence des soins, de l’intelligence artificielle et, dans un autre registre, de la « responsabilité populationnelle ».

Ces évolutions**, mises en application, auraient ­sûrement conduit à des améliorations très sensibles de notre système de santé et, en réalité, des conditions de prise en charge des malades et de la population.

Au passage, il faut souligner que ces diverses évolutions sont mises en œuvre dans l’ensemble des pays du périmètre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis maintenant deux ou trois décennies ; avec des résultats le plus souvent probants – en particulier dans les pays scandinaves, en Amérique du Nord ou en Australie – même si des « frottements » ont pu se produire ici ou là.

Alors, comment expliquer le sentiment d’impuissance qui domine quand il s’agit de réformes du système de soins  ?

On peut évoquer la brièveté des mandats exercés par les nombreux ministres de la Santé successifs, ce qui n’aide pas à une action réformatrice d’ampleur ; on y opposera volontiers la présidence précédente, pendant laquelle la ministre en charge de la Santé était restée en responsabilité pendant les cinq années de la législature… On peut aussi se tourner vers l’appareil administratif, par nature davantage disposé à reconduire l’existant qu’à pousser l’innovation  ; d’autant que sa prolifération continue à tous les échelons tout au long des dernières années n’en réduit pas la viscosité.

En réalité, il faut convenir que le sujet lui-même, la « santé », est une affaire sensible, susceptible de mobiliser autant les patients à titre individuel que les populations, et de nature à déclencher des emballements médiatiques. Dans ces conditions, il peut être tentant pour nombre de responsables des affaires publiques de préserver avant tout l’existant. Pourtant, chacun peut convenir des mutations importantes survenues ces dernières décennies. Ainsi, patients et malades, dans une large majorité, ont changé autant dans leur expression que dans leur ressenti. De même, la présentation et l’évolution des maladies ainsi que la manière de les aborder et de les traiter ont été profondément modifiées. C’est aussi vrai pour les médecins, dont la conception de l’exercice, les aspirations et le positionnement sociétal n’ont plus grand-chose à voir avec ce qui prévalait voilà seulement trente ans. En revanche, ni la formation ni l’organisation des soins ou les « valeurs professionnelles » qui déterminent largement les conditions d’exercice n’ont été l’objet d’une analyse globale afin de prendre en compte les mutations intervenues, si bien que les médecins, et plus largement l’ensemble des professions de santé, éprouvent durement un sentiment de déshérence.

C’est pourquoi il faut interroger les professionnels et leurs représentants afin de bien intégrer en quoi leur histoire, leur quotidien, la manière dont ils ont été formés et sont arrivés là où ils sont les conduisent à voir les choses comme ils les perçoivent ; jusqu’à, le cas échéant, être durablement résistants à des évolutions qui les menacent.

Une fois cette intégration menée à bien, il sera peut-être plus aisé d’aller au-delà des paroles et d’engager les évolutions nécessaires. 

* On peut se remémorer l’expérimentation « Pays de santé » menée en 2009 - 2012 par la MSA et Groupama en Dordogne et dans les Ardennes. Dans ces deux sites ruraux, un assistant mis à disposition d’une dizaine de médecins généralistes avait montré sa très grande utilité au bénéfice des praticiens et des patients. L’initiative est malheureusement restée sans lendemain...** Pour apprécier le hiatus entre paroles et réalités, on peut aussi, par exemple, relire le discours-programme qu’avait prononcé Nicolas Sarkozy en septembre 2008 – voilà plus de quinze ans – au cours d’une journée qui avait conduit le microcosme de la santé tout entier à visiter une maison de santé pluridisciplinaire exemplaire dans le bourg de Bletterans (Jura).