Le scorbut en France… vraiment ?« Une situation dans laquelle une personne ne dispose pas d’un accès garanti à une alimentation suffisante et de qualité, durable, dans le respect de ses préférences alimentaires et de ses besoins nutritionnels, pouvant entraîner ou découler de l’exclusion et de la disqualification sociale ou d’un environnement appauvri » définit la précarité alimentaire ;1 en 2024, 440 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde étaient dans ce cas.2 Mais ne nous imaginons pas à l’abri de ces graves carences, en tant que pays développé : en France, parmi 20 000 enfants âgés de 6 à 18 ans, 23 % étaient en situation de privations alimentaires entre 2023 et 2024, du fait d’inégalités sociales et de l’impact de crises cumulées (sanitaire, climatique, inflation…).3 Et à Mayotte, territoire français dont le taux de pauvreté frôle les 80 %, l’insécurité alimentaire touche plus d’un foyer sur deux ; il y règne une persistance de formes modérées à sévères de dénutrition infantile, soit 5 à 10 % d’enfants âgés de 0 à 5 ans.4 En 2019, chez les 15 ans et plus, la consommation quotidienne de boissons sucrées était plus importante à Mayotte que dans l’Hexagone (15 % versus 10 %) ; seuls 16 % déclaraient consommer des fruits et 9 % des légumes tous les jours (contre respectivement 59 % et 63 % en métropole) !5 Conséquence directe : réapparaissent des cas de scorbut infantile, maladie liée à une carence profonde en vitamine C, que l’on croyait définitivement éradiquée… En France, entre 2015 et 2023, 888 patients atteints de scorbut ont ainsi été hospitalisés, avec un âge moyen de 11 ans.6
Une étude Ifop révélait qu’en 2024, 8 Français sur 10 vivant avec le Smic ou moins avaient des difficultés à nourrir correctement leurs enfants et privilégiaient une mauvaise alimentation, faute de moyens.7 On pourrait être tenté, en réponse, de miser sur l’aide alimentaire – solution qui ne peut pourtant pas être pérenne et qui est tellement sollicitée que nombre d’associations sont contraintes de refuser leur secours à des familles démunies…
Outre le frein que représente le coût d’une alimentation équilibrée, le manque d’information et d’éducation joue un rôle dans la précarité alimentaire. Certaines écoles françaises ont donc intégré des programmes spécifiques – « Nutrition en action », par exemple –pour sensibiliser à la nutrition, souvent en collaboration avec des professionnels de santé.8 D’autres s’associent à des initiatives communautaires* pour fournir des repas équilibrés à tous les élèves.8
Lutter contre la précarité alimentaire et la malnutrition des enfants sur le territoire français pourrait paraître anachronique. C’est pourtant un sujet de santé publique d’actualité brûlante. Créer une sécurité sociale alimentaire garantissant à tout individu un accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive est-il une solution ? En tout état de cause, il s’agit d’agir rapidement, peut-être en tirant parti de l’existant et des expérimentations locales : par exemple, en améliorant le repérage des familles en difficulté, notamment avec l’aide des médecins traitants, permettant que des conseils sur l’alimentation leur soient prodigués et qu’une orientation puisse être proposée vers un accompagnement social, notamment via les dispositifs d’appui à la coordination (DAC) ;9 ou en généralisant les initiatives communautaires (distribution de petits déjeuners et cantine gratuites, pour tous, contribuant ainsi à réduire les inégalités sociales).
2. Unicef. Pauvreté alimentaire de l’enfant. Rapport sur la nutrition des enfants. 2024. https://bit.ly/411BQtq
3. Unicef. Enfants et adolescents en souffrance – privations, déficit de protection et rejet social. Consultation nationale des 6-18 ans. 2024. https://bit.ly/43fS70H
4. ARS Mayotte. La malnutrition infantile, un axe de santé prioritaire à Mayotte. Novembre 2020.
5. ARS Mayotte. Panorama statistique 2024 de la santé à Mayotte. Octobre 2024.
6. Assad Z, Trad M, Valtuille Z, et al. Scurvy incidence trend among children hospitalised in France, 2015-2023: A population-based interrupted time-series analysis. Lancet Regional Health – Europe, 2025;49:101159.
7. Étude Ifop. Enquête sur la pauvreté et l’éducation alimentaire. Vague 2. Février 2024. https://bit.ly/4aXp7g7
8. Ministère de l’Éducation nationale. Éducation à l’alimentation et au goût. Février 2025.
9. Ministère de la Santé. Les dispositifs d’appui à la coordination (DAC). Février 2023. https://bit.ly/4ibC4VV