Au sein des métiers que je qualifierais « de l’humain » (c’est-à-dire pétri de relations avec l’autre), l’une des -particularités du nôtre est la nécessité de gestes physi-ques. Ce peut être plus ou moins naturel selon les personnalités et les valeurs éducatives qui nous ont été transmises, et cela peut difficilement être acquis formellement. On apprend par l’observation de médecins plus expérimentés et par sa propre expérience. On adapte son comportement pour être le plus professionnel possible, mais on n’a pas tous les mêmes façons de faire : des gestes peuvent gêner certains, alors que pour d’autres, il n’en est rien.
Jusqu’à la fin de la médecine dite « paternaliste », et majoritairement masculine (notez bien que je ne fais pas de lien entre les deux !), serrer la main du patient en -début et en fin de consultation était non seulement un prérequis, mais ne pas le faire aurait probablement été vécu par le patient comme un manque de politesse, voire de considération.
La féminisation avait déjà, je pense, modulé ce besoin de démarrer l’échange par la sacro-sainte poignée de main (qui se veut virile souvent, non ?). Puis le Covid est arrivé et elle a été FORMELLEMENT interdite ! C’est, en effet, une façon assez banale de propager les virus – et pas seulement le SARS-CoV- 2, bien sûr. Le naturel revenant souvent au galop, depuis quelques mois (donc quatre ans après le début de la pandémie), j’ai remarqué que de plus en plus de patients tendent la main en fin de consultation, demandeurs de reprendre ce contact physique qui -clôture l’échange. Certains vont même jusqu’à mettre un « pschitt » de gel hydro-alcoolique juste avant, ne voulant pas contaminer leur docteur (qui, pourtant, n’est probablement pas si stérile que ça !).
Au cours de l’examen physique, il y a évidemment des gestes techniques à réaliser : poser le stéthoscope sur un patient déshabillé, palper l’abdomen, rechercher des adénopathies… Ils sont stéréotypés et, en général, ne vont gêner ni le patient ni le médecin. Certains gestes sur des zones plus intimes (touchers pelviens, examen de la marge anale par exemple) peuvent mettre mal à l’aise le patient mais pas le médecin, qui a l’expérience et le détachement nécessaires. Expliquer précisément le geste et s’assurer du consentement du patient constituent une évolution tout à fait pertinente.
D’autres gestes – spontanés – se situent en dehors du cadre purement professionnel. Ils peuvent être le fait du médecin : toucher l’épaule ou la main en fin d’examen en geste de réassurance, aider à se relever du brancard… mais ils ne s’adaptent pas à tous les patients et le médecin sent inconsciemment à qui il peut adresser ce petit geste en plus.
Ils sont parfois le fait du patient et peuvent prendre le médecin au dépourvu : câlin d’un enfant au moment de se dire au revoir, bise d’un patient lors d’une consultation d’adieu…
À l’heure où l’informatisation, la robotisation et l’intelligence artificielle intègrent de plus en plus de domaines personnels et professionnels, ces gestes et contacts physiques n’en sont que plus singuliers. Ils maintiennent l’humanité dans une médecine qui se veut toujours plus scientifique. Certains outils d’intelligence artificielle seraient plus empathiques qu’un médecin à l’interrogatoire. Cependant, le temps où ils seront capables de sourire, de tenir la main ou de prendre des nouvelles de la famille spontanément paraît heureusement bien lointain !