Qui sont les clowns qui interviennent dans vos services de cancérologie pédiatrique ?
Ce sont les comédiens-clowns de l’association Le Rire Médecin (encadré 1), qui ne sont pas des bénévoles mais bien des professionnels, salariés, formés spécifiquement pour intervenir en milieu hospitalier. Tout comme le personnel soignant, ils sont soumis au secret professionnel.
Quel est leur rôle et quel est l’intérêt de travailler avec eux ?
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’ambiance dans nos services de cancérologie pédiatrique est très joyeuse et vivante, et les comédiens-clowns y participent grandement. Ils apportent du rire, de la joie et de la douceur aux enfants hospitalisés, à leur famille, mais aussi au personnel soignant. C’est une parenthèse, « une bulle » comme j’aime le dire, pour toutes les personnes du service confrontées quotidiennement à la maladie. Ce rôle fondamental a été d’autant plus évident durant la période Covid : les couloirs étaient alors vides, sans bruit, et l’atmosphère très pesante… Les clowns sont les premiers intervenants extérieurs que nous avons fait revenir !
Parfois, nous pouvons solliciter aussi leur intervention lors de soins douloureux (ponction lombaire, pose d’aiguille de Port-a-Cath…), à visée de distraction, afin de diriger l’attention de l’enfant vers un événement ou un stimulus non agressif pour que la douleur ne soit plus au centre de la vigilance.
Enfin, le comédien-clown peut également faciliter le dialogue entre le personnel soignant et un enfant et/ou sa famille : lors d’une arrivée dans le département perçue comme anxiogène ; quand existe une méfiance vis-à-vis des soignants du fait d’une culture différente et/ou de la barrière de la langue ; lorsqu’un enfant est hospitalisé seul, loin de ses proches et de son pays d’origine ; en cas de relation très fusionnelle entre une mère et son enfant… Le comédien-clown aide à faire comprendre à l’enfant et/ou à sa famille que l’hôpital n’est pas qu’« une agression médicale » et qu’ils sont ici pour être aidés et accompagnés du mieux possible (encadré 2). Notre approche est donc multidisciplinaire et transversale, au sens très large.
Une intervention des comédiens-clowns en cancérologie pédiatrique, comment ça marche ?
Les comédiens interviennent deux fois par semaine à Gustave-Roussy, dans les quatre services du département de cancérologie de l’enfant et de l’adolescent (regroupant un secteur protégé, un hôpital de jour et deux secteurs accueillant des enfants, des adolescents et de jeunes adultes pour des séjours plus longs).
Ils se déplacent toujours en duo ; cela permet à l’enfant ou à l’adolescent d’être simple spectateur ou acteur, selon sa motivation du moment.
L’association Le Rire Médecin désigne un clown dit « référent » pour le département, avec lequel j’échange sur les événements à organiser, les idées et demandes du personnel soignant ainsi que celles des autres comédiens-clowns. Tout est codifié, jusqu’à la manière dont le personnel soignant communique avec les comédiens-clowns : lorsqu’ils ont leur nez rouge, on parle à leur personnage ; lorsqu’ils l’enlèvent, nous nous adressons à la personne. La communication et la gestuelle s’adaptent à la situation.
Pour mieux cibler leurs actions, les comédiens doivent connaître l’ambiance du service et l’humeur de chacun des patients ; leur journée débute donc par des transmissions (les comédiens sont alors en tenue civile) : même si le lien avec le personnel soignant est permanent, c’est spécifiquement lors de cet échange avec les infirmières que les comédiens décident à quels enfants ils vont rendre visite, et de la façon dont ils vont les approcher selon leur état physique et psychique.
Ils jouent toute la journée, dans les chambres, dans les espaces communs, dans les couloirs ; ils interragissent avec les patients, leur famille et l'ensemble des soignants.
Quelles sont les réactions des enfants et des familles ?
Les comédiens sont très bien accueillis par les soignants, les familles et certains enfants. Je dis « certains », car il y a évidemment ceux qui craignent les clowns et ceux qui refusent tout simplement le contact ; les clowns sont des personnes à qui les enfants peuvent dire non, il est plus compliqué de refuser l’intervention des soignants... Une tentative d’approche – sans jamais forcer – est alors possible, par exemple sur le pas de la porte ou dans le couloir. À l’inverse, d’autres enfants les attendent de pied ferme et se prennent facilement au jeu.
Les comédiens doivent donc savoir composer avec les pouvoirs et les limites du masque de leur personnage, élaborer une stratégie bienveillante afin de conquérir l’enfant ou l’adolescent, quels que soient sa situation et son état (ouvert d’esprit, réservé, peu ou non coopératif, en soin, en fin de vie, etc.). C’est tout l’intérêt de la formation certifiante du jeu clownesque en établissement de soins, très différent du jeu des clowns de cirque.
La distraction semble être l’un des rôles principaux du comédien-clown. En leur absence, comment approchez-vous l’enfant ? Le personnel soignant est-il formé à cette technique ?
À Paris, au siège de l’association Le Rire Médecin, une formation de deux jours – que j’ai moi-même suivie – est accessible aux soignants du département d’oncopédiatrie. Elle n’est pas obligatoire, mais je l’encourage fortement.
Fort de son expérience dans l’approche des patients fragilisés par la maladie, Le Rire Médecin a développé ces stages fondés sur le jeu de rôle et la mise en situation spécifiquement liés aux contextes rencontrés par les participants. Au-delà de la maîtrise de l’art de la distraction, cette courte formation permet au soignant, quelle que soit sa fonction dans le service, de favoriser les échanges positifs et bienveillants en améliorant son relationnel avec le patient, d’installer une véritable relation de confiance avec l’enfant et sa famille via une approche ludique personnalisée et d’allier le divertissement aux gestes techniques, les rendant ainsi moins anxiogènes. Cette formation est aussi l’occasion, pour le soignant, d’initier un véritable travail sur lui-même en apprenant à dédramatiser – travailler dans un service de cancérologie pédiatrique est, de fait, pesant mentalement – et valoriser tout son potentiel, parfois ignoré.
La distraction des soignants eux-mêmes est importante pour le bien-être des patients. C’est tout l’intérêt des Journées soignants ; elles ont lieu une fois par an dans le département. Il s’agit d’une journée dédiée aux soignants et organisée sur une thématique choisie par les comédiens-clowns de l’association. Les soignants se déguisent, se détendent et rient.
En outre, le personnel soignant, les patients et leurs familles partagent régulièrement des moments de joie et de bonne humeur – cet été, nous avons organisé les Olympiades dans le département ; l’ensemble des services s’affrontaient ; les équipes comportaient autant de patients, de parents que de soignants, et la compétition était forte ! Ce type d’événements contribue à « humaniser » le personnel soignant, à favoriser les échanges non conventionnels avec les patients et leurs familles et à pérenniser la confiance mutuelle. Notre motivation première est de faire en sorte que la vie des enfants hospitalisés soit la plus « ordinaire » possible ; le rire, le bien-être et la normalité contribuent en effet fortement à la guérison de l’enfant.
Les parents sont souvent amenés à participer aux soins de leur enfant. Existe-t-il une formation pour eux ?
La Récré des parents est un dispositif pensé pour les parents afin de leur apprendre à distraire les enfants lors de soins douloureux et/ou anxiogènes. Coencadrés par un comédien-clown de l’association Le Rire Médecin et un soignant du département, les parents d’enfants hospitalisés sont réunis en petits groupes (six par session) afin d’évoquer leurs expériences plurielles des soins (à l’hôpital et à la maison) et les méthodes de distraction – actives (souffler des bulles, chanter, serrer la main…) ou passives (musique, mobiles…) – qui conviennent le plus à leur enfant.
Ce groupe de réflexion est fondé uniquement sur l’oral et les mises en scène simples et ludiques afin de n’exclure aucun parent, quel que soit son niveau de français. L’un des objectifs est de faire prendre conscience qu’il existe des contraintes techniques et sanitaires liées à des soins de qualité, que la distraction doit soutenir le soin et non le perturber. La diversité culturelle des parents présents permet d’échanger aussi sur la façon dont le jeu avec l’enfant est perçu et vécu en dehors de l’hôpital, dans chaque famille. Le rôle des intervenants est ici de pointer les ressources, la créativité et l’originalité ludique de chacun, ce qui revalorise la fonction parentale, parfois altérée par la maladie.
Enfin, le but est aussi d’apprendre aux parents le détournement d’objets. La consigne est simple : transformer un objet en tout, sauf ce qu’il est. L’idée est de proposer aux parents, installés dans une réalité souvent écrasante du cancer pédiatrique, de retrouver leur innocence et simplement de jouer. Le rire, le jeu, la distraction peuvent naître de tout objet qui les entoure ; c’est avec cette notion que repartent les parents.
L’apprentissage de la distraction des enfants par les parents durant les soins a tellement porté ses fruits qu’une étude pilote, effectuée dans le département en collaboration avec l’association, a donné lieu à une publication scientifique (https ://www.techscience.com/PO/v16n4/52802).
L’efficacité de la distraction pendant les soins est scientifiquement prouvée. Quels seraient vos conseils pour l’utiliser en cabinet de médecine générale ?
L’approche d’un enfant, lors d’une consultation amenant à un examen ou à des soins, est nécessairement différente de celle d’un adulte. Il est tout d’abord essentiel de sourire à l’enfant, de lui parler, quel que soit son âge, et de ne pas s’adresser uniquement à ses parents. La mise en place de cette communication simple a déjà pour effet d’instaurer un climat de confiance entre le praticien, le patient et la famille, de rassurer les parents, voire d’apaiser un enfant effrayé par la blouse blanche ou l’ambiance du cabinet médical.
User de la distraction et du jeu est indispensable. Le type de distraction utilisé dépend évidemment des contraintes liées au soin, mais, en consultation, examiner d’abord le doudou afin de montrer les gestes qui seront ensuite pratiqués sur l’enfant lui-même est une excellente approche.
Les bénéfices de la distraction et les possibilités d’évasion qu’elle ouvre ont été largement démontrés mais elle doit pouvoir être adaptée à chacun des patients, tous uniques par leur histoire, leur sensibilité et la disponibilité physique et psychique du moment.
1. Mieux connaître l’association Le Rire Médecin
Le Rire Médecin est une association fondée en 1991 par Caroline Simonds – alias Josette Girafe –, Américaine francophile, comédienne-clown. Grâce à l’appui du Pr Jean Lemerle, c’est à Gustave-Roussy (Villejuif) que les clowns hospitaliers ont joué pour la première fois. Le Dr Dominique Valteau-Couanet, prédécesseure du Dr Christelle Dufour au poste de chef du département d’oncopédiatrie, a grandement œuvré à pérenniser leurs actions à Gustave-Roussy. Elle est, depuis 2023, la présidente de l’association.
Le Rire Médecin, ce sont 150 comédiens-clowns, 76 services de pédiatrie et maternités, et 100 000 enfants visités par an, partout en France. C’est également un institut de formation professionnalisante et certifiante pour les comédiens qui souhaitent exercer le métier de comédien-clown en établissement de soins.
2. « Hors-piste, histoires de clowns à l’hôpital »
Qu’y a-t-il de mieux qu’une pièce de théâtre pour comprendre les multiples rôles du comédien-clown hospitalier ? Il y a quelques années, Le Rire Médecin, sous la direction de Patrick Dordoine, a mis en scène « Hors-piste, histoires de clowns à l’hôpital » (bande annonce à retrouver sur le lien :https ://www.youtube.com/watch ?v=OYpApGB0eM4). Il s’agit d’une pièce drôle et émouvante expliquant toute la difficulté du comédien à jouer l’art fantaisiste clownesque à l’hôpital, endroit où la rigueur est de mise. Toute la complexité est de savoir jusqu’où aller, de connaître les limites. Patrick Dordoine décrit l’intervention des comédiens-clowns comme « la vie avant tout, même dans les moments les plus sensibles ».
https://www.leriremedecin.org/
Une journée avec les comédiens-clowns Le Rire Médecin. Photoreportage de La Revue du Praticien. Mis en ligne le 2 sep 2024