C’est la question polémique que soulève l’actuel PLFSS, qui prévoit de placer sous objectifs les médecins jugés trop prescripteurs d’arrêts de travail. Une mesure qui se trompe de cible – s’attaquant aux symptômes plutôt qu’aux causes – et risque de décourager davantage les médecins…

Alors même que les dispositifs d’accompagnement des prescripteurs ont démontré leur efficacité en favorisant une approche positive, l’actuel PLFSS prévoit la mise sous objectifs obligatoire des médecins qui prescriraient trop d’arrêts de travail.

Selon l’article R.4127 - 5 du Code de la santé publique, « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ». Un praticien qui ne serait pas libre de ses prescriptions pourrait en effet prendre des décisions défavorables à ses patients. Il ne ferait plus des choix en leur faveur mais en considérant les sanctions auxquelles il s’exposerait.

On se trompe de problème : les arrêts maladie coûtent cher à la Sécurité sociale, mais ce n’est pas en contrôlant leur prescription que leur nécessité va diminuer !

Le coût de la santé n’est pas le fait des médecins qui prescrivent trop… il est celui de la chronicisation des maladies, du vieillissement de la population, de la précarisation des travailleurs.

Si les médecins prescrivent des arrêts de travail, c’est qu’ils sont devenus médecins traitants, coordonnateurs des soins. De ce fait, cette tâche leur revient et leur est même parfois déléguée par leurs confrères d’autres spécialités. Quant aux arrêts de complaisance (« mon médecin va m’arrêter ») tant décriés, s’ils existent, il s’agit d’arrêts de courte durée et à la marge. Et c’est d’éducation et de responsabilisation des patients dont il s’agit, pas de sanctions envers les médecins généralistes !

Ce sont les arrêts maladie de plus de six mois qui coûtent le plus cher (50 % des dépenses alors qu’ils ne représentent que 7 % des arrêts indemnisés).1 Il serait utile de s’attarder sur la cause de la croissance exponentielle de leur prescription : retraites plus tardives, médecine du travail débordée, prévention toujours oubliée malgré tant de promesses… Oui, réfléchir à long terme serait économiquement tellement favorable : investir dans la santé publique, telle est la solution claire, mais impossible à l’échelle chronologique des décisionnaires...

Supprimer les réponses (prescriptions) à des problèmes (maladies),n’a jamais supprimé les problèmes ! Tel est donc pourtant le projet. Raisonner de la sorte induit un risque majeur. Celui de décourager les médecins se voyant déposséder de leur indépendance de prescription, qui changeraient alors volontiers d’orientation, diminuant d’autant l’effectif médical déjà bien affecté, majorant des pathologies chez des patients ne bénéficiant plus de soins optimaux et coûtant donc d’autant plus, in fine, à la société. Dans un communiqué de presse, le Collège de la médecine générale a ainsi alerté sur « le risque de perte d’attractivité du métier et d’aggravation des déserts médicaux ». Et d’ajouter : « Ce n’est qu’en soutenant les professionnels de santé, en renforçant les conditions d’exercice et en revalorisant leur rôle central dans le système de soins qu’il sera possible de lutter efficacement contre les déserts médicaux. »2

Dans un contexte où les soignants vont déjà mal – le numéro vert de l’association Soins aux professionnels de la santé (SPS) a enregistré 7 000 demandes d’aide et de soutien en 2024, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2023,3 – et où presque un médecin sur 5 (et 43 % des remplaçants) envisage de changer de situation professionnelle à court terme (changement de lieu, de type d’activité, ou arrêt total),4 il serait peut-être pertinent de ne pas trop tirer sur l’ambulance…

Références
1. Drees. Études et résultats. Arrêts maladie : au-delà des effets de la crise sanitaire, une accélération depuis 2019. Décembre 2024.
2. Collège de la médecine générale. PLFSS 2026 et projet de loi contre la fraude : le CMG alerte sur le risque de perte d’attractivité du métier et d’aggravation des déserts médicaux. 12 novembre 2025.
3. Association Soins aux professionnels de la santé. SPS dresse le bilan 2024 des appels sur la plateforme d’écoute. 4 avril 2025.
4. Conseil national de l’Ordre des médecins. Quelle activité pour les médecins généralistes ? Médecins n°98. 21 juillet 2025.