Bien transmettre les messages de prévention est déterminant pour améliorer la santé de la population. Pourtant, les campagnes d’information grand public échouent souvent à changer en profondeur les comportements... Alors, quelle est la clé pour communiquer efficacement sur la santé, à grande échelle comme au cabinet ? Combinant science et arts, Laure Garancher apporte un éclairage original...

Pourquoi avoir choisi la bande dessinée pour communiquer sur la santé ?

Je suis socio-anthropologue et dessinatrice. Je me suis toujours servie de l’image comme d’un outil de médiation, notamment lorsque j’ai travaillé pour l’Organisation mondiale de la santé sur l’accès aux soins dans des territoires isolés, avec des personnes dont la culture est très éloignée de la mienne (Vietnam, Afrique du Sud, Caraïbes…).

Ma méthode était alors de dessiner des portraits, que je donnais aux gens. Ce moment se prêtait aux confidences, il me permettait d’établir un lien. Autour de ces échanges, j’ai compris que, selon sa culture, on ne perçoit pas les causes des maladies et les déterminants de santé de la même manière. Or l’image permet souvent de combler ce fossé, en particulier quand les langues sont différentes. Par exemple, en Casamance (Sénégal), j’ai travaillé sur un projet de lutte contre les résistances microbiennes. Mais, dans la langue locale, le concept de « microbe » n’existe pas ! C’est grâce à des dessins que nous avons réussi à communiquer – et même, finalement, à inventer avec la population un nouveau terme pour désigner cette réalité.

Ces exemples peuvent paraître lointains, mais le principe de la communication scientifique reste le même partout, car même si deux interlocuteurs parlent la même langue ou ont la même culture, leurs savoirs et leurs perceptions sont différents.

Le but de la vulgarisation est de pallier ces différences afin de transmettre les informations de façon adaptée au receveur, ce pour quoi les images sont particulièrement utiles : elles permettent d’expliquer facilement des notions plus ou moins abstraites – biologiques, épidémiologiques… – qui sont importantes pour la littératie en santé. Et comprendre donne le pouvoir d’agir pour sa santé ! C’est l’objectif des projets de vulgarisation de santé en « récits visuels » (BD, brochures dessinées, etc.) menés par l’association The Ink Link en France et à l’étranger (encadré).

Mais est-ce réellement efficace pour inciter les gens à adopter des comportements favorables à leur santé ?

Même s’il est difficile d’évaluer concrètement leurs effets, nous avons des bons retours du terrain. En 2023, nous avons réalisé une campagne de sensibilisation au dépistage organisé des cancers (colo-rectal, sein, col de l’utérus) dans la Somme Sud-Ouest. Cette communauté de communes nous avait sollicités car le taux de dépistage y est l’un des plus faibles de France métropolitaine.

Lors de l’enquête que nous avons menée pour évaluer les perceptions vis-à-vis des campagnes nationales d’information existantes, nous avons vu que ces dernières n’étaient pas adaptées aux réalités locales. Par exemple, elles utilisaient des statistiques qui n’étaient pas parlantes pour la population. De ce fait, elles engendraient davantage de craintes et de rejet que d’adhésion au dépistage, d’autant plus que les connaissances en matière de cancer étaient très lacunaires : un tiers des femmes interrogées ne savaient pas que le but du frottis cervico-utérin était de détecter un cancer et, de façon générale, il y avait une sous-estimation des bénéfices d’un diagnostic précoce, aboutissant à l’impression que le dépistage n’améliore pas le pronostic.

Face à ces craintes, nous avons choisi de travailler sur la notion qu’il est important de se faire dépister quel que soit le résultat (négatif, on est soulagé ; positif, la maladie sera prise en charge tôt). Notre campagne comprenait des ateliers de création participative pour que chacun puisse s’exprimer sur le sujet (par exemple sur la peur de l’examen, de l’attente, de l’annonce…) ; les œuvres  ont été présentées lors d’une exposition itinérante, qui a eu beaucoup de succès ! Ensuite, nous avons créé des affiches pour transmettre de façon ludique les informations biologiques basiques sur le cancer (fig. 1 et 2).

Au terme de cette campagne, des médecins locaux nous ont rapporté que leurs patients avaient mieux compris le cancer et l’enjeu des dépistages, et les habitants eux-mêmes étaient satisfaits : « Même si c’est un sujet qui fait peur, c’est très rassurant... Se dépister, c’est important ! » 

Quelles leçons en tirer pour améliorer la communication en santé publique ?

Un maillon faible des campagnes nationales est précisément l’approche uniforme et descendante. L’exemple précédent montre qu’une information n’est entendue que si elle est développée en fonction du regard du receveur, ce qui implique de s’adapter aux spécificités de ce dernier.

En effet, l’une des erreurs les plus communes de la vulgarisation scientifique – et, par extension, de la communication en santé – est l’idée qu’il s’agit de transmettre un savoir de façon verticale. Cette approche ne fonctionne pas en pratique, car elle crée une distance avec l’interlocuteur, qui peut conduire à l’indifférence et même au rejet… et le rejet en santé est dangereux : il peut alimenter la désinformation, voire mener au complotisme.

Cela veut dire que pour que des supports de promotion de la santé soient acceptés et efficaces, il faut les cocréer avec la population cible. Et puisqu’il est impossible de faire autant de campagnes que d’individus, nous prônons des actions d’« aller vers » à des échelles plus locales.

... et pour véhiculer les messages de prévention en consultation ?

Quand on est expert dans un domaine, on a parfois du mal à concevoir que les autres ne comprennent pas le sujet en question… Les médecins sont souvent confrontés à ce fossé. Or pour communiquer efficacement, il faut sans cesse se rappeler que les savoirs qu’on a acquis ne sont pas universels.

Ce qui fonctionne, c’est donc d’intégrer les représentations des personnes et de prendre comme point de départ ce qu’elles savent déjà. Au lieu de délivrer un message de manière descendante, il s’agit d’accompagner le patient dans la réflexion pour qu’il arrive lui-même à la réponse. Cette démarche participative (presque socratique !) est formidable : elle renforce durablement les compétences en santé des patients, car être capable d’expliquer quelque chose signifie qu’on a compris.

Mais, bien sûr, on ne peut pas tout demander aux médecins généralistes : le problème est, comme toujours, que le temps de consultation est limité, et il serait utopique de croire qu’ils peuvent s’attarder sur les connaissances et les croyances de chacun de leurs patients…

Néanmoins, la relation privilégiée de long terme que créent les médecins généralistes avec leurs patients peut bien s’y prêter : deux ou trois minutes à chaque consultation peuvent finir par faire la différence au long cours – ce sera plus efficace que la délivrance des messages « universels » qui peuvent tomber dans le vide.

Enfin, utiliser des métaphores ou un support visuel comme les BD que nous créons peut aussi faciliter la tâche… 

Encadre

L’association The Ink Link

The Ink Link est née en 2016, alors que Laure Garancher travaillait au Suriname avec un scénariste, Wilfrid Lupano, et une illustratrice, Mayana Itoïz, créant des affiches de promotion vaccinale avec la population locale et adaptées à elle.

Depuis, l’association utilise la BD au service de projets de santé publique : santé mentale, santé reproductive et parentalité, gériatrie, etc. 

Ses outils sont consultables et téléchargeables sur ce lien : https ://www.theinklink.org/fr.